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Le blog de Susanna Huygens

interview

Max Emanuel Cencic : une vie dédiée à la musique

19 Avril 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Interview

cencic420c.jpgMax Emanuel Cencic fait partie de ces artistes qui n'hésite pas à prendre des risques, y compris celui de la critique découlant de ses choix artistiques, plutôt que de se contenter d'une carrière facile. Il produit lui-même certains de ces projets. Nous l'avions rencontré l'année dernière pour parler de sa carrière et de ses projets. L'un d'entre eux va voir la jour durant la saison 2012/2013. Artasese de Leonardo Vinci .
Pourquoi chantez-vous ?
Chanter pour moi est une obsession. C'est parfois un métier de fou. Je pourrais travailler dans un bureau, j'ai étudié les affaires internationales et ainsi avoir une vie plus tranquille, mais j'aime chanter et c'est un choix de vie.
 
Pourquoi vous produire vous - même ?
J'ai chanté presque que tout ce qui existe dans le répertoire depuis que j'ai commencé ma carrière.
J'ai dû faire presque 2000 spectacles depuis que je chante, c'est-à-dire depuis 28 ans. Au risque de paraître "prétentieux" peut-être, c'est une expérience je pense qu'aucun autre contre-ténor ne possède. Je dis cela pour vous permettre de mieux cerner tout ce que j'ai fait dans ma vie. Je ne pense à rien d'autres qu'à la musique.... En arrivant à Zagreb par exemple, j'ai eu trois répétitions avec un pianiste et alors que cela faisait 15 ans que je ne les avais pas travaillé, j'ai chanté des lieder de Schubert. J'ai d'ailleurs enregistré deux CD de lui. Il n'y a pas de limites de répertoire pour un contre-ténor. Cette musique est dans mon sang. Donnez moi du Richard Strauss et je le chanterai sans problème, tout comme Ravel ou Poulenc. Mon répertoire est extrêmement large. J'ai même chanté du Verdi ou du Bach... Je n'ai pas de soucis à chanter l'ensemble du répertoire, mais l'on m'a catalogué comme un chanteur baroque. Regardez mon disque Rossini, certains ont considéré que c'était réservé aux voix de femmes, mais je peux le faire. Il n'y a pas très longtemps j'ai demandé sur une scène de télévision si l'on voulait bien faire connaître mon enregistrement de Schubert et l'on a ri. Les gens pensent que je suis fou. Je rêve d'être suivi sur ces autres répertoires.
 
rinaldo-lausanne.jpg
© marc vanappelghem
J'entends encore ce directeur d'opéra me dire " oh j'étais très surpris, dans votre Rinaldo, votre voix était très puissante. Je n'ai jamais pensé qu'un contre-ténor puisse avoir une voix aussi puissante". Ce a quoi j'ai répondu "donnez-moi un Rossini". Malheureusement, la réponse a été négative. J'ai même pourtant chanté dans Médée avec plus de 120 musiciens dans la fosse.
 
Vous voyez je me bats chaque jour avec la programmation et c'est pour cela que j'ai commencé à produire mes opéras moi-même. J'ai commencé avec Faramondo et Farnace et maintenant Artasese avec Philippe Jaroussky. Thésée et Tamelano sont également prévus. C'est très difficile de convaincre les programmateurs de faire quelque chose de nouveau. Ils ont peur de ne pas vendre si le public n'est pas préparé. Ils trouvent tout trop difficile.
En tant qu'artiste je raisonne mes projets. Peut - être ont-ils raison, le contexte économique est difficile, mais pour ma part en tant qu'artiste je trouve tous ces arguments frustrants. Je n'ai pas la liberté de faire tout ce que je veux. Mais j'ai contrairement à d'autres chanteurs désormais cette force de pouvoir proposer mes propres programmes et transmettre en partie certaines de mes idées. J'aime ce répertoire. Mais je suis loin de pouvoir faire tout ce que j'aimerais.
Il y a 30 ans on n'acceptait pas les contre-ténors dans les rôles que je chante aujourd'hui. C'est un combat contre la rigidité d'une certaine perception sociale. Alors que l'on est dans une société que l'on dit ouverte, aujourd'hui encore on est victime de préjugés. Il y a une certaine immobilité autour de nous.    
 
PJaroussky.jpgUne nouvelle production en 2013 avec Philippe Jaroussky, Artaserse. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
C'est un opéra romain et tous les rôles comme dans le San't Alessio de Stephano Landi seront chantés par des hommes. On aura comme pour Farnace, une tournée avec mise en scène et dans certains cas comme au TCE à Paris, on le donnera en version concert. Un CD est prévu et la tournée passera par Nancy, Cologne et Bilbao... Le compositeur Léonardo Vinci est très mal connu. Je suis très fier d'avoir poussé à cette redécouverte.
 
Ce que j'aime par-dessus tout c'est travailler en équipe. Je voudrais en profiter pour tout particulièrement remercier les directeurs d'opéras, Valérie Chevalier, Laurent Spielmann à Nancy, EricVigier à Lausanne et Eric Laufenberg à Cologne... A tous ceux qui m'ont soutenu sur ce projet et m'ont aidé à trouver un metteur en scène. Ce sera un opéra extraordinaire. J'ai essayé d'associer les meilleurs contre-ténors du monde : Francesco Fagioli, Youri Minenko qui a gagné le troisième prix à Cardiff, sopraniste extraordinaire... et un ténor Daniel Pehle.
 
Avec un casting international ne défendez-vous pas l'idée que la musique est un langage commun à tous  ?
Sur mes projets, j'invite des artistes qui ne sont pas forcément très connus dans le monde baroque mais qui sont formidables. Sur Farnace, pour le CD, j'avais invité par exemple Ruxandra Donose qui est plutôt une rossinienne ou Daniel Behle qui est un mozartien. Et bien sûr des personnes comme Ann Hallenberg ou Karina Gauvin ou un jeune chanteur comme Emioliano Gonzalez Toro qui travaille avec Christophe Rousset ou enfin Mary Ellen Nesi avec qui j'ai déjà travaillé sur Faramondo. Mais sur les représentations certains n'étant pas libres je suis amené à travailler avec d'autres. 
Vous savez je parle cinq langues, j'aime venir en France et je m'y sens chez moi. J'aime avoir autour de moi des casts internationaux. Les nationalités ne me m'intéressent pas du tout, j'ai une "haine" envers tous les nationalismes. Je ne les supporte pas. Car si aujourd'hui on est si libre de nous déplacer je ne pourrais comprendre comment l'art ne pourrait pas voyager entre des nations et partager la beauté. Je suis un peu une "mixture" viennoise. La seule chose qui compte dans l'art c'est l'excellence.
 
Interview réalisée par Monique Parmentier
Photos : DR sauf indication contraire  
Pour information : Nous retrouvons Max Emanuel Cencic dans le rôle titre de Il Farnace de Vivaldi à l'Opéra du Rhin (Strasbourg), du 18 au 26 mai avec l'ensemble I Barocchisti dirigé par Diego Fasolis.

L'opera est disponible au disque
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Interview Amandine Beyer

11 Août 2011 , Rédigé par Susanna Huyghens Publié dans #Interview

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Vous venez aux Préludes du Festival de Sablé avec les Quatre saisons de Vivaldi, une œuvre considérée comme archi connue. L’est-elle tant que ça ?

 

            Avec les musiciens de Gli Incogniti, nous pensons que le fait qu’une œuvre soit très connue provoque l’envie de venir au concert. Nous en profitons pour la marier avec d’autres pages moins connues. Avec les Quatre saisons, on s’aperçoit que les gens en restent trop souvent aux premiers thèmes, finalement, ou bien à des petits passages que l’on a entendus dans les sonneries de téléphone. Alors qu’il y a plein d’instants délicieux, dramatiques ou merveilleux dont les gens ne se rappellent plus. Pour nous c’est une occasion de la faire encore entendre, et par son biais de faire découvrir d’autres pièces un peu défavorisées du répertoire.

 

Pour préparer ses Quatre saisons, sur quelles sources vous êtes vous appuyées ?

 

            Nous avons travaillé sur l’édition Le Cène, une des sources principales des Quatre saisons. Nous l’avons mise en regard avec une édition d’un manuscrit de Manchester de la main d’un copiste inconnu. On s’aperçoit que très souvent, quand on pense composition, ou compositeur d’œuvres emblématiques, on a l’impression que c’est une chose vraiment sacrée, vraiment définie, dont chaque note est là pour l’éternité. En fait, et c’est vraiment très particulier au répertoire baroque, toute œuvre est en devenir. Il y a une sorte de liberté de composition à l’intérieur d’une même idée, mais les notes, les altérations peuvent parfois changer, des indications agogiques ou des indications d’articulations peuvent varier d’une version écrite à l’autre. Là-dessus, vient s’ajouter la liberté d’interprétation, de rubato, de jouer avec le temps, de jouer avec l’ornementation ou l’instrumentation. Tout cela suscite un nombre de lectures possibles infini.

 

 

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Comment abordez-vous ces libertés, le travail d’ornementation ?

 

            L’ornementation est quelque chose de vraiment très personnel. Je suis également professeur et, comme d’autres violonistes je ressens toujours un sentiment de panique lorsqu’il me faut faire quelque chose qui n’est pas écrit. Peut-être parce que j’ai reçu une formation classique. J’ai donc élaboré ma propre technique pour y parvenir. J’imagine, j’essaie de m’approprier le texte du musicien, et ensuite, puisque j’ai la base, j’ajoute mon langage. On peut ajouter des décalages, par exemple. Lorsque l’on dit ornementation, les gens pensent à plein de notes rajoutées. On peut faire cela, bien sûr, mais on peut aussi toucher aux nuances, aux articulations, au temps. Avec Gli Incogniti, nous jouons beaucoup sur le temps. Dans cet ensemble, nous sommes un par partie. Chacun est donc responsable de sa voix et la mène où il veut. L’ornementation est toujours une réaction au partenaire ou une réaction à l’existant pour faire quelque chose de nouveau. C’est un jeu entre nous, la partition et le temps réel, le temps du concert.

 

Pourquoi avez-vous créé cet ensemble ?

 

            Au départ, j’avais envie de retravailler avec Anna Fontana, la claveciniste du groupe, avec qui j’avais étudié à Bâle. On s’était perdu de vue pendant quelque temps et, un jour, on s’est retrouvé en Italie. On a décidé que c’était vraiment trop bête de ne pas jouer ensemble et créé un nouvel ensemble : Gli Incogniti. Nous nous sommes entourées de beaucoup d’Italiens (en particulier pour le continuo) et aussi de musiciens venant d’ensembles où j’avais joué et avec lesquels je me sentais des affinités. J’avais vraiment envie qu’on se retrouve tous.

 

Comment construisez-vous vos programmes ?

 

            Par des canaux très différents. J’avais en tête Matteis depuis mes études à Bâle, non seulement pour sa musique mais aussi pour le graphisme : le fac-simile, dont j’ai une copie, est très joli, son écriture est visuellement magnifique, très petite, toute resserrée, fine et en même temps assez libre et toujours claire. Elle me plaisait. J’y trouvais une adéquation avec sa musique. Avant de faire le disque, je ne connaissais que deux pièces de Matteis. C’est tout un univers.  Il y a un vrai travail musicologique à faire, pour essayer de retrouver l’histoire de ces musiciens inconnus, qui ne le sont que parce que, bien des fois, leur production et leur biographie ne nous sont arrivées que par fragments. Comme on a peu de musique et qu’on ne sait quasiment rien d’eux, cela ne favorise pas la diffusion de leur œuvre. Dans notre monde moderne, il faut tellement faire parler de soi que de ne pouvoir rien dire sur un musicien est souvent un handicap, ne serait-ce que pour défendre un projet. Ce qu’il y a de bien pour Matteis, c’est qu’Hélène Schmitt a sorti un disque sur le même musicien à peu près en même temps que moi : ainsi avons-nous attiré l’attention sur lui.

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Le Jeune violoniste par Bartolomeo CAVAROZZI - Musée du Louvre

 

Le secret ne favorise-t-il pas parfois l’envie de découvrir ?

 

            Oui, pour les musiciens et le public, je le crois vraiment. Il nous fallait juste chercher quelque chose comme point de départ. Dans le cas de Matteis, c’est, en fait, son destin quasi inconnu qui l’a été. C’est quelqu’un de tellement spécial qu’à la fin cette idée de secret valorise sa musique. Il y a une totale adéquation entre ce qu’il vécu vraisemblablement et ce qu’il écrivit. Du fait qu’il était violoniste et guitariste, cela passe directement dans l’instrument. J’adore ce musicien.

 

Votre prochain CD sera consacré à Rosenmüller, un programme que vous donniez l’été dernier à Sablé. Encore un musicien qui vous permet de montrer ce fil de la vie si mélancolique. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

 

            Rosenmüller, c’est vraiment différent. J’en ai joué beaucoup avec la Fenice et d’autres ensembles. C’est un compositeur que j’aime depuis toujours. Ecouter, jouer, penser, rêver son univers sonore me plait. Sa musique m’inspire beaucoup. Je connaissais bien sa production instrumentale, riche et assez publiée. Lui aussi possédait une graphie fort belle que le magnifique fac-similé permet d’apprécier. En montant ce nouveau projet, on s’est aperçu que Rosenmüller était surtout un compositeur de musique vocale que je n’avais jamais jouée. En fait, je pars souvent de choses que j’ai eu l’occasion de connaître, de toucher. Et là, par hasard, on s’est lancé dans la lecture de plusieurs motets. On en donna quelques-uns en concert, et quelques-uns sur le disque, mais il y en a énormément. J’ai pensé à deux chanteurs. D’abord Raquel Anduezza, un soprano espagnol avec qui nous avons joué ce programme à Sablé l’été dernier. Je voulais aussi une seconde voix, puisqu’il y a des motets à plusieurs voix (soprano, ténor, basse), une autre couleur vocale. Pensant à Wolf Matthias Friedrich, un chanteur allemand que j’apprécie infiniment, je découvre en l’appelant qu’il est né presque au même endroit où l’on situe la naissance de Rosenmüller ! Dans son village, Wolf a organisé pendant plusieurs années un festival Rosenmüller. Il est en contact avec un musicologue qui s’attèle à l’édition complète et révisée de toute sa musique, conservée à la bibliothèque de Berlin. Tout un jeu de circonstances a donc favorisé le projet. Les deux voix se marient parfaitement alors que ces chanteurs ne se connaissaient pas du tout. Ils ont des duos magnifiques. Au-delà de ces petites satisfactions, j’espère avant tout que le public ne boudera pas son plaisir.

 

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En doutez-vous ?

 

            On ne sait pas si les choses vont vraiment passer ou pas. Avec Matteis, je croyais que c’était vraiment sûr. Avec Rosenmüller, comme il est un peu plus connu, même si on ne le connaît pas forcément autant qu’on se l’imagine, le public pourrait ne pas se laisser tenter par la découverte.

 

Dans ces motets, quelles particularités pourraient les convaincre ?

 

            En microfilms, les manuscrits sont très difficiles à lire. C’est parfois mal écrit, il y a beaucoup d’erreurs. Parfois, le copiste a oublié cinq mesures et l’on s’interroge : est-ce vraiment Rosenmüller qui aurait pensé cette note bizarre, vient-elle vraiment de lui ou est-ce une faute des copistes ? Ces questions mettent parfois des barrières à l’expression immédiate. Je n’exprime que mon expérience. Peut-être certains connaissent-ils parfaitement ses motets, mais, pour moi et certainement pour beaucoup de gens qui découvrent cette musique, c’est vraiment quelque chose de très spécial à écouter.

 

De Vivaldi à Matteis et Rosenmüller, ce sont tous des personnages fantasques ou mystérieux, mais aussi très proches de nous ; cela ne contribue-t-il pas à la séduction du public ?

 

            Oui, je pense. Aujourd’hui, l’on dit baroque, mais à l’époque ils n’étaient pas conscient de l’être – savons-nous vraiment ce que cela veut dire ? Monteverdi et Rosenmüller ne se pensait pas en musiciens baroques. Ils répondaient à des commandes et devaient aussi manger. En même temps, ils avaient des tas de chose à dire et une inspiration débordante. Ce que j’aime beaucoup dans cette musique, c’est qu’en général elle nous vient de gens qui jouaient, qui mettaient la main à la pâte.

 

Certains, comme Matteis, développaient-ils une technique particulière ?

 

            En effet, c’est l’un des côtés intéressant d’un projet. Pour Matteis, cela m’a posé pas mal de problèmes. Je pense que Matteis tenait son violon d’une manière particulière - pratiquement au-dessus de la ceinture, comme une tenue de musique populaire. Cela devait donner un très beau résultat. Mais pour des questions d’anatomie féminine, avec moi, ça ne marche pas très bien ! Je n’ai pas le bras assez long. En revanche, cela montre paradoxalement que, malgré une position basse et la main qui reste souvent en première position, il n'hésitait pas à aller jusqu'en troisième et quatrième. De plus, c'est souvent rapide, il utilise  volontiers des doubles cordes : rien qui soit de tout repos. C’était certainement un musicien décontracté avec une technique remarquable, vraiment fort, je pense. Si je n’arrive pas à reproduire exactement sa technique, j’ai essayé de me déstabiliser moi-même en mettant le violon beaucoup plus bas. C’était vraiment un gros effort. Quelques violonistes arrivent à jouer très bas, mais ce ne sont pas ceux que l’on voit le plus souvent. Des exceptions. Je ne dis pas non plus qu’il serait mal de jouer en haut pour Matteis. Tout est possible. Ce sont des choix personnels. Il ne s’agit pas de faire cela pour se donner un genre. C’est une proposition, une idée. J’y entends un son spécial. Il nous arrive de le faire à deux violons et Alba, notre violoniste, n’utilise pas la même technique : elle place le violon entre les deux seins, ce que je n’arrive pas à faire.

 

Outre l’archet, qu’est-ce qui, pour vous, fait vraiment la différence entre le violon baroque et le violon classique ?

 

archet entier XVII

 

            C’est surtout l’archet, mais il faut faire la différence entre ce qui est technique ou organologique (ce qui est vraiment propre à l’instrument) et la pensée de l’instrumentiste. Je connais des artistes qui jouent baroque avec des instruments modernes avec une attitude vraiment baroque, ou qui mettent des cordes en boyaux sur des instruments modernes. Je pense qu’à l’heure actuelle, on ne peut pas être intégriste. On peut évidemment tenter de jouer les irréductibles Gaulois, mais je viens d’une famille de musiciens que j’aime bien, celle de Chiara Banchini, mon professeur. De Kuijken, elle tient sa technique qui permet un son très particulier. Pour le public, c’est avant tout une question de goût.

 

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En quoi vous sentez-vous une violoniste baroque ?

 

            Je me sens plutôt une violoniste qu’une violoniste baroque. Et j’essaie de me sentir à l’aise dans plusieurs répertoires. Je fis beaucoup de musique romantique et autant de musique médiévale parce que je pratiquais la flûte à bec. Il me faut savoir ce qui s’est passé avant et ce qui s’est passé après. Savoir d’où cela vient et où cela va. Il suffit de chercher. Il est vrai que mon histoire et les aléas de la vie m’ont fixé dans cette période baroque, car c’est une période phare pour mon instrument. Je n’aurais certes pas donnée toute ma vie à jouer de la vièle, dont le répertoire est plus limité, bien que j’aime cet instrument. Mais ce n’est pas ma spécialité. Tandis que le violon qui, à partir de la fin du XVIe au XVIIIe siècle, a vraiment connu une belle évolution, correspond plus à ma personnalité.

 

Quelle influence Chiara Banchini eut-elle sur vous?

 

            Quand je suis arrivée à Bâle, j’ai tout découvert de la musique ancienne. En fait, je la connaissais sans le savoir, grâce à la flûte à bec pratiquée depuis l’enfance. Je jouais Telemann, Corelli, ainsi que de la musique contemporaine, d’ailleurs. La flûte n’ayant pas de répertoire romantique, on cherche dans tout le reste. La flûte, c’est la Renaissance, le baroque et l’aujourd’hui. Tout ce que je travaillais de quatre à vingt ans, en marge du violon, sans savoir que c’était de la musique ancienne. Je suis ravie de n’avoir pas connu trop tôt ces catégories. A Bâle, avec Chiara, prenant conscience de ce qu’était vraiment la musique baroque, j’ai appliqué au violon ce que j’avais touché par un autre instrument. Elle m’ouvrit les yeux sur ce qui fait la principale qualité du violoniste baroque : le violon parlé, le violon qui exprime les sentiments, les affects, comme la voix. C’est vraiment avec Chiara que j’ai découvert cela.

 

Votre violon est-il un instrument ancien ?

 

            C’est une copie. Je n’ai pas les moyens de m’offrir un Stradivarius. A l’époque, les gens ne jouaient pas des violons de trois cent ans mais ceux qu’on venait de réaliser. Né en 1996, mon instrument n’est donc absolument pas illégitime. J’ai énormément confiance en mon luthier qui m’a donné un instrument que j’adore.

 

Outre l’enseignement, vous menez des actions spécifiques auprès d’enfants ou de personnes souffrantes ou en difficultés, comme à Sablé. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

 

            Il nous est arrivé de participer à des actions pédagogiques auprès d’enfants. Ici, en milieu hospitalier, c’est une première pour nous. Jean-Bernard Meunier, le directeur du festival de Sablé, m’en a parlé et ça nous intéressa. Cette expérience me semble positive des deux côtés. Nous sommes allés dans quatre instituts. Un institut médico-éducatif, avec des enfants de quatre à seize ans connaissant divers problèmes de comportement ou des handicaps ; puis une maison accueillant des schizophrènes - présents au concert donné dans le cadre des Préludes - ; une maison de retraite et un autre institut avec des personnes handicapées. La plupart du temps, les réponses furent positives et surprenantes par le degré de participation et de réaction de nos auditeurs. Cela a donné lieu à beaucoup de moments particuliers autant qu’émouvants, bien au-delà de tout ce que nous avions imaginé. Les gens se sont vraiment intéressés à ce que nous leur proposions et demandèrent d’assister au concert. C’était là le but de la démarche : aller vers eux afin qu’ils viennent ensuite vers nous. Je ne suis pas musicothérapeute ; mon métier, c’est d’être musicienne, de faire des concerts. Par cette démarche, nous avons souhaité apporter et porter la musique autrement qu’au concert, mais dans une sorte de contexte de spectacle. J’étais vraiment heureuse de faire cela.

 

Comment vous y êtes-vous pris ?

 

            Nous étions trois, deux violons et le théorbe ; la seconde violoniste chantait. On a présenté ce qu’on fait d’habitude, mais avec des composantes spécifiques : quelques explications et beaucoup de danses, avec la participation de tous, y compris le personnel. On a constitué plusieurs petites formations instrumentales et choisi un programme de pièces complètement inconnues pour eux, très courtes, avec des tempi variés. On a joué Matteis, Bonporti, Marini et Kasperger. On demandait aux enfants de fermer les yeux et de faire des mouvements calmes, très doux, ou bien on les faisait vraiment participer à la danse. C’était amusant et beau de voir tout le monde danser.

 

Quels sont vos projets ?

 

            Des motets et de la musique instrumentale de Bonporti que l’on fera l’été prochain à Sablé. Encore un compositeur que l’on croit connaître sans le connaître vraiment. J’ai fait le concours de musique de chambre de Rovereto, en Italie, avec cette musique que j’ai découverte alors, lorsque Chiara enregistrait les Inventions. Ce fut un grand choc pour beaucoup de violonistes, moi la première ! C’est vraiment de la très belle musique. Dans cette aventure, Raquel Anduezza nous rejoint une nouvelle fois. Après Sablé, je vais essayer d’enregistrer les Sonates et partita de Bach. Puis on se lancera dans un programme assez ambitieux, si on trouve les financements et les musiciens (cela demande vingt-deux instrumentistes…) avec des Concerti pour plusieurs solistes de Vivaldi.

 

Propos recueillis en mai 2010 pas Monique Parmentier

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Benjamin Lazar, comédien et metteur en scène - interview réalisée en avril 2008 pour Resmusica

8 Avril 2008 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Interview

@ DR

Le succès en 2004 du Bourgeois Gentilhomme a permis au public de découvrir un jeune comédien et metteur en scène, Benjamin Lazar. Son art nous révèle toute la richesse visuelle et sonore de la langue et de la gestuelle baroque. Digne descendant de Molière et de Vigarani, Benjamin Lazar aime par-dessus tout le travail de troupe, et conçoit le théâtre comme un lieu ludique de rencontre et de partage avec le public.

Cet hiver, il nous a offert avec Vincent Dumestre dans Cadmus et Hermione et avec William Christie dans Sant’Alessio, deux songes merveilleux. Nous le retrouvons en avril avec une nouvelle invitation aux voyages : L’Autre monde où les Estats et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac. Rencontre avec un comédien d’aujourd’hui.

ResMusica  : A l’âge des jeux vidéo, vous vous êtes plongé dans la déclamation et la gestuelle baroque, est-ce fruit de votre rencontre avec Eugène Green ?
 : Faire du théâtre, et du théâtre baroque en particulier, ne m’empêchait pas de jouer à des jeux vidéo de temps en temps ; ce n’était pas incompatible !
A 12 ans, j’ai rencontré Eugène Green. Il a animé un atelier de théâtre baroque dans mon collège jusqu’en 1995 date à laquelle il s’est consacré presque exclusivement au cinéma. Je l’ai eu comme professeur de théâtre, associé à un professeur de français, Isabelle Grellet.
Ce qui m’a attiré dans ce répertoire et cette façon de le jouer, c’était, outre l’échange avec mes camarades, le fait qu’avec la gestuelle, le texte prenait corps dans l’espace. Contrairement à ce qui pouvait se faire en classe où l’on peut rester facilement dans un rapport analytique un peu distant, le texte devenait un être vivant, une matière sonore qu’on pouvait modeler. Tout cela était très concret et fascinant.
Le répertoire baroque n’était pas le seul abordé : nous avons aussi travaillé sur les auteurs de l’Oulipo, dont Georges Perec.

RM : Donc du contemporain ?
BL : Oui, à l’Oulipo on retrouve un rapport ludique au langage, un art de faire de la contrainte une liberté créatrice. C’est finalement, assez commun avec les principes du théâtre baroque qui est assez strict dans ses conventions mais où ces contraintes se révèlent un formidable terrain d’invention pour l’acteur.

@ DR

RM : La « Parole baroque » à 11 ans ne vous a donc pas fait peur ?
BL : Non seulement cela ne m’a pas fait peur, mais cela ne fait peur à aucun enfant qui vient voir un spectacle baroque ! Les enfants aiment bien qu’on les sorte de leurs habitudes, qu’on leur permette de s’approprier un autre langage que le langage parental qui est une norme pour eux. Ils s’en saisissent donc très vite. En sortant des spectacles on entend des enfants (et pas seulement d’ailleurs) qui s’amusent à parler avec l’» accent » baroque.

RM : Le public aujourd’hui adhère à cette proposition, quels en sont les principes essentiels, reconstitution, adaptation ou proposition ?
BL : Il faut du temps pour que des idées qui révolutionnent la façon de voir et d’entendre un répertoire soient comprises, ressenties par les spectateurs. La musique baroque n’a commencé à percer qu’après un certain temps de recherche, qui remonte bien avant le succès des années 80. Pour le théâtre, les recherches et les premiers spectacles ont émergé dans les années 80 et trouve un public de plus en plus large à l’heure actuelle.
Pour rendre ce travail sur les techniques anciennes de l’acteur accessible, je ne pense pas qu’il faille l’adapter à un goût du jour, en atténuant tel son paraissant étrange aujourd’hui, ou tel geste trop ésotérique. Même si une règle de prononciation me paraît un peu stricte, je ne cherche pas à l’adoucir pour la rendre plus contemporaine, ce serait strictement contraire à la démarche, je fais une proposition franche, claire afin que le spectateur puisse en comprendre les codes et se les approprier lors d’une représentation.
Parler de reconstitution pour désigner ce travail me semble inexact. On reconstitue un vase brisé dont a gardé les pièces éparses. Mais dans le cadre qui nous intéresse, il n’y a pas que reconstitution, il y a aussi création. Le principe de ce travail est simple : il consiste à dire que le texte ou la partition ne sont que la trace d’une pratique et qu’il est donc intéressant de s’intéresser au contexte de création, à commencer par les techniques de l’acteur utilisés à l’époque. Mais à partir de la lecture des traités de l’art de l’acteur, de l’art des machineries ou de l’éclairage, mille spectacles sont possibles pour une même œuvre. Même informée par une recherche dramaturgique poussée, la part laissée à l’invention dans la salle de répétition et sur scène reste grande. De même pour le travail des scénogaphes et de costumiers.

RM : Le théâtre No ne possède-t’il pas ce type de démarche ?
BL : En Orient, la transmission du répertoire est double : il y a les textes, mais aussi les techniques pour les interpréter, transmises par écoles ou par famille. On transmet les gestes, les modulations de la voix, les masques.
Les codes gestuels orientaux ne sont cependant pas les mêmes qu’en Occident. Nous ne nous servons pas directement des gestes du théâtre oriental dans l’interprétation du répertoire baroque : c’est plus un point de comparaison, un autre exemple d’une utilisation non psychologique, mais rhétorique, du corps.

@ DR

RM : L’autre rencontre qui marque votre parcours c’est celle avec Vincent Dumestre, pouvez-vous nous en parler ?
BL : Elle s’est faite sur le programme « Musique et Poésie » en l’an 2000. Bougies, déclamation et chant : Nous sommes partis de cette base toute simple en apparence, à laquelle nous revenons tout le temps, même dans les grands projets où viennent s’ajouter de nombreux costumes et décors
Notre entente est liée à ce goût commun pour la parole musicale et la musique éloquente, et aussi pour l’esprit de troupe – celle de Molière ou de Lully nous fait rêver- où se crée souvent une belle émulation, une entente entre les artistes (danseurs, chanteurs, comédiens) que ressent le public et qui fait, je pense, partie de son plaisir.
Le Bourgeois Gentilhomme, monté à Royaumont, a été l’occasion de montrer à un large public, par le spectacle et le DVD, cette complémentarité des arts, cette porosité des frontières entre la musique, le théâtre et la danse.

RM : Texte et musique deux éléments clefs, porteurs d’un sens « sacré ?
BL : Le caractère sacré du théâtre se remet en cause, se réinvente à chaque représentation. Au théâtre on « prête », on ne donne pas foi. C’est une construction qui s’élabore entre les acteurs et les spectateurs.
Je ne prétends pas détenir la vérité sur la langue du XVIIe siècle, je n’affirme pas qu’elle était telle que nous la faisons entendre. Dans toute recherche, il y a des sources qui se recoupent, parfois se contredisent, mais pour arriver à une proposition théâtrale il faut bien choisir parmi des hypothèses différentes. Notre travail n’est pas figé. Mais par contre je suis persuadé de l’intérêt de ce travail et des possibilités expressives qu’il offre aux interprètes baroques, acteurs ou chanteurs. Car il s’agit bien de cela : rendre l’expressivité de ces œuvres, toucher le public. Pour moi, ce travail n’a rien d’élitiste, ou alors c’est un élitisme pour tous.

© Alvaro Yañez

RM : Parlons des productions de cet hiver, Sant’Alessio. Comment s’est faite la rencontre avec William Christie ?
BL : Peu de temps après le Bourgeois, il a demandé à me rencontrer. Nous avons déjeuné ensemble et quelque temps après il m’a demandé d’examiner trois partitions, parmi lesquelles le Sant’Alessio.

RM : Qu’est ce qui vous a plu dans Sant’Alessio ?
BL : L’étrangeté de l’histoire, du personnage principal, sorte d’anti-héros, dont le mystère ne pouvait s’explorer que dans la réalisation du spectacle. Le culte de Saint Alexis a été supprimé par l’Eglise tant le personnage semble bizarre aujourd’hui. Certaines réactions très fortes dans le public soulignent bien cette étrangeté : plusieurs personnes m’ont dit qu’elles détestaient ce personnage, son égoïsme. Ce personnage prend pourtant à la lettre certaines paroles de l’évangile de Saint-Matthieu : « je suis venu séparer l’homme d’avec son père, la fille d’avec sa mère, et la belle-fille d’avec sa belle-mère. Et l’homme aura pour ennemis ceux de sa propre maison. ». Cependant, cette antipathie n’était pas le sentiment général, tant la présence et la voix de Philippe Jarrouski ont de séduction !
Il y avait également le plaisir que procure la musique de Landi qui pourrait paraitre archaïque et rébarbative à certains à cause de la présence de nombreux récitatifs. Mais cette musique me touche et le récitatif est écrit avec une subtilité incroyable, dans une écoute du texte dans ses plus fines subtilités. On se trouve face à un dépouillement et une force d’expression immense.

RM : Le personnage oblige à continuer à chercher après la représentation ? 
BL : J’essaye de donner l’histoire avec assez de simplicité pour que celle-ci continue à travailler dans l’imaginaire du spectateur, qu’il puisse y repenser et lui donner des sens multiples. J’essayer que les spectacles deviennent aussi des lieux que l’on peut visiter dans sa mémoire. C’est en tout cas ainsi que je fais quand je suis spectateur.

RM : Comment s’est fait le travail avec William Christie ?
BL : Nous nous sommes retrouvés au Théâtre de Caen sur un temps plus long que d’habitude dans ce genre de production, les chanteurs étaient très présents et nous avions également un répétiteur très compétent, Benoît Hartoin, qui a un très bon sens de la déclamation et de l’expressivité. J’ai donc trouvé cette atmosphère d’écoute commune dont j’avais pris l’habitude et le goût à Royaumont. Il y avait 8 contre-ténors qui tous s’observaient, conscients de participer à quelque chose d’exceptionnel qu’ils ne connaîtraient peut être plus jamais, car je crois que l’on n’avait jamais essayé de réunir une distribution entièrement masculine sur ce genre de répertoire, comme chez les Barberini à la création, où de nombreux rôles étaient tenus par des castrats.

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RM : Travailler dans le même temps le Sant’Alessio et Cadmus et Hermione a –t-il posé des problèmes ?
BL : Ce sont deux œuvres très différentes, issues de deux pouvoirs forts, le pouvoir royal et l’Eglise de la Contre-Réforme. En 40 ans, et malgré des pratiques théâtrales communes, comme la gestuelle et la rhétorique, les auteurs ont créé des univers très distincts et qui nous ont amené dans des directions différentes, sans parler des deux chefs Vincent Dumestre et William Christie, qui influent bien sûr beaucoup sur l’atmosphère du spectacle. À noter aussi que les chorégraphes étaient différentes et ont chacune amené leur patte : Françoise Deniau pour Sant’Alessio et Gudrun Skamletz pour Cadmus. Sinon j’ai travaillé avec la même équipe : Adeline Caron, scénographe, Alain Blanchot, costumier, Christophe Naillet éclairagiste, Mathilde Benmoussa, maquilleuse, Louise Moaty, collaboratrice artistique, et ce qui était passionnant c’était de participer ensemble à la création de ces deux univers.

RM : Pouvez-vous nous parler de Pierrot Cadmus ?
BL : Pierrot Cadmus est la parodie de Cadmus et Hermione. Nous avions vraiment envie que le travail qui avait été fait sur le Bourgeois, et en particulier la constitution d’une troupe, ne soit pas perdue parce que Lully avait laissé de côté, à l’époque, les comédiens à la porte du spectacle royal ! D’où l’idée de rendre justice aux comédiens en leur faisant interpréter une parodie de la tragédie lyrique officielle, comme cela se faisait à l’époque dans les théâtres de foire. Notre troupe du Bourgeois – moins quelques uns engagés ailleurs – s’est donc retrouvée autour de Nicolas Vial qui a mis en scène le spectacle.
Le travail dramaturgique a été fait par Judith Leblanc qui a cherché tous les airs de Pierrot Cadmus de Carolet, car un livret de parodie se présentait toujours de la même manière : le texte et au-dessus du texte une indication renvoyant au « timbre » c’est-à-dire à un air connu, Les chansons étaient alors tellement connues qu’il n’y avait que rarement lieu de rajouter la partition. Philippe Grisvard, le claveciniste, a fait recoller le texte parodique sur les airs anciens. Il a ensuite composé les ritournelles et toute la musique qui sert aux transitions et aux parties pantomimes, en réintégrant les morceaux de l’époque de la création de Pierrot Cadmus, dans les années 1730.

RM : Et la chorégraphie ?
BJ : C’est un mélange entre les propositions des comédiens dont d’Anne-Guersande Ledoux et du regard de Gudrun Skamletz, la chorégraphe du Cadmus.
On aimerait bien que Pierrot Cadmus tourne avec le Cadmus mais il peut également tourner dans certaines circonstances de manière indépendante car la parodie a plusieurs degrés de lecture même si l’idéal est de les voir à la suite. Nous avons eu de bons retours de la part du public scolaire, notamment grâce au beau travail de préparation mené par Agnès Terrier à l’Opéra Comique. On aimerait aussi pouvoir le filmer pour l’intégrer au DvD ou en faire un second à joindre à celui du Cadmus.

RM  : Vous prêtez un joli brin de voix à votre Hermione sur Pierrot Cadmus?
BJ : Il y avait un jeu entre Nicolas Vial et moi. Il m’abordait en coulisses et me disait « Claire Lefilliâtre ? » et je lui répondais « oui, c’est moi », comme si mon travail vocal et celui de maquillage de Mathilde avait pu amener une confusion ! J’ai été très heureux de chanter en voix de fausset. Même s’il s’agissait d’un registre comique, cela m’a permis de la développer. C’est une voix qui m’a toujours fasciné. Enfant j’écoutais tout le temps le Stabat Mater de Vivaldi et j’imitais James Bowman, dont la version était sortie peu de temps avant.

RM : Est – ce sur le Sant’Alessio que vous avez travaillé cette voix ?
BJ : Non, mais cela dit j’ai pas mal regardé et j’ai appris pas mal de choses, tout comme j’en apprends chaque fois que j’observe des chanteurs que j’admire, telle Claire Lefilliâtre. En plus du travail de réécriture des partitions, Philippe Grisvard, nous a fait travailler le chant avec patience et exigence.
Jean-François Lombard (la nourrice de Cadmus et Hermione) nous a aussi donné d’excellents conseils. C’est quelqu’un qui est vraiment dans le plaisir du chant et alors que nous n’étions pas des chanteurs professionnels mais des comédiens utilisant le chant, il nous a beaucoup apporté sans aucun jugement.

RM : Intervenez-vous en tant que metteur en scène au niveau du chant ?
BL : Oui, mais pas sur la technique vocale. Parfois, le travail sur la gestuelle ou sur l’interprétation peut faire dépasser une difficulté technique à un chanteur. Parce que la concentration sur autre chose, le déplacement de la concentration, peut l’aider à dépasser une difficulté technique et trouver des ressources ailleurs. L’attention à un mot, à un geste, peut libérer son énergie.

RM : Entre Claire Lefilliâtre et vous, entre chant et déclamation, dans le programme Musique et Poésie, on peut constater le résultat de cette émulation, le public s’abandonne à l’émotion.
BL : Merci ! En tout cas, avec Claire et Vincent, nous avons effectivement l’impression que le concert est encore un lieu d’expérience et d’échange, où il se passe vraiment quelque chose, où l’on essaie de créer une autre réalité.

RM : Parlez-nous de L’Autre Monde ou les Estats et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac et de votre Compagnie.
BL : C’est un spectacle que je monte avec ma troupe le Théâtre de l’Incrédule et l’ensemble la Rêveuse. Le théâtre de l’Incrédule a pour but d’accueillir tous mes projets qui ne sont pas des commandes d’opéras et qui nécessitent une production propre. Je travaille sur plusieurs axes de travail dont la recherche sur le théâtre baroque et plus généralement sur le travail d’adaptation de grands textes de la littérature pour la scène. J’étudie la relation entre musique et théâtre et cherche des ponts avec le théâtre contemporain. Le champ d’investigation est assez large. On retrouve dans cette troupe les acteurs du Bourgeois mais pas seulement.
Cette année, nous avons trois projets au Théâtre de l’Incrédule : L’Autre monde une reprise, mais une première parisienne, au théâtre de l’Athénée, à partir du 10 avril. Pour la saison prochaine, je monterai un opéra composé entièrement de chanson LaLaLa avec le chœur Les Cris de Paris (Geoffroy Jourdain). Les compositeurs-arrangeurs (David Colosio, Morgan Jourdain, Vincent Manac’h et Geoffroy Jourdain lui-même) sont très doués et les premières répétitions musicales m’ont ravi ! C’est aussi assez émouvant de travailler avec un groupe de compositeurs autour d’une œuvre commune : cela me rappelle l’énergie du groupe des six travaillant aux Mariés de la Tour Eiffel !
Puis je m’associe à Louise Moaty pour mettre en scène la première des nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar Comment Wang-Fô fut sauvé avec Habanera, un quatuor de saxophone, sur une création musicale d’Alain Berlaud. Et dans une scénographie de Bernard Michel. La musique est ainsi présente dans les trois spectacles mais sous des aspects très différents
Cyrano m’accompagne depuis déjà un certain temps. C’était un écrivain qui accordait une grande importance à la musique. Sur la Lune, les nobles lunaires parlent en musique : c’est donc un lieu de dialogue idéal entre Florence Bolton, Benjamin Perrot et moi.
Cyrano est un écrivain très attachant. Il y a chez lui un foisonnement de l’imagination relié à un goût pour les sciences. Il revendique aussi une liberté de penser le monde, et non de se faire imposer une vision pré-établie des choses. Tout cela s’exprime dans un grand plaisir de l’écriture et un goût pour la conversation et l’amitié.
A chaque fois que je dis ce texte, j’ai l’impression d’en découvrir de nouveaux aspects grâce à la présence du public. Ainsi c’est devant un public d’adolescents à Rouen que je me suis rendu compte de la force d’un passage où Cyrano fait parler un être qui n’existe pas encore (il aime les paradoxes !). Ce non-être qui demande à la Parque de ne pas naître tout de suite a créé chez eux, si proches encore du moment de leur naissance, une très grande écoute, un peu stupéfaite, alors que jusque là ce passage faisait rire. J’ai gardé cette couleur-là et depuis le passage est plus suspendu qu’avant.

RM : Vous proposez une autre réalité, un autre monde au spectateur ?
BL : Oui, il y a l’idée de transporter, de créer avec les spectateurs quelque chose de différent de ce qui se passe dans la vie. Aux acteurs, je dis que le spectateur doit avoir l’impression que l’air n’est pas le même sur scène que dans la salle. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il s’agit uniquement de divertir, de couper de toute réflexion le spectateur. Il y a un discours aujourd’hui qui consiste à vouloir confronter le public à la réalité, l’idée que le plaisir est lié à un aspect bourgeois du théâtre, comme lieu de représentation sociale – un Brechtisme en peu simplifié en somme. Pour moi, le merveilleux, le rêve, ne sont pas obligatoirement le lieu d’un confort anesthésiant ! Je pense que ce n’est pas incompatible avec un regard critique sur la forme employé et la mise en perspective politique, sociale, ou toute autre lecture.

Par Monique Parmentier Pour Resmusica

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