Les pages et les chantres du Cmbv : 20 ans de découvertes
Musiques sacrées à Versailles
XXe anniversaire des Pages & et des Chantres du Cmbv - K617
Direction Olivier Schneebeli
Cela fait déjà quelques années que le Cmbv collabore avec le label K617 pour graver quelques unes des trop rares pages des splendeurs du répertoire non seulement français mais européen de la période baroque que les Pages et Chantres ont interprété depuis leur création il y a 20 ans.
Dans une interview que Philippe Beaussant, le co-créateur du Cmbv au côté de Vincent Berthier de Lioncourt m'avait accordé pour Resmusica, il m'avait évoqué cette maîtrise dont on a du mal à réaliser qu'elle n'existe à Versailles que depuis 20 ans : "Le Cmbv a un rôle essentiel de formation. La meilleure preuve de la réussite de cette mission est de voir aujourd’hui à quel point des enfants formés de 10 à 15 ans au centre depuis 20 ans, ont rayonné à travers tout le pays. Il est époustouflant de voir des chefs de chœur, des animateurs musicaux, des chanteurs, etc… issus de Versailles partout dans le pays..."
Et le Cmbv, dont son directeur en tout premier lieu, peuvent être fiers du travail réalisé durant ces deux décennies par le Chef Olivier Schneebeli et le soutien sans faille apporté à ce choeur hors du commun par les équipes du Centre. L'un, si ce n'est le meilleur de France pour ce répertoire.
Si sa priorité fut le répertoire français chanté à Versailles, il n'en a pas moins exploré lors des concerts du jeudi d'autres territoires. Mais ici dans ce triple CD anniversaire, c'est bien la musique française sacrée dans toute sa splendeur qu'il nous est donné d'entendre.
Toutes les qualités de cette maîtrise, sa personnalité faite de lumière, de gloire resplendissent ici. Pour tous ceux qui ont pu assister à certains concerts donnés à la Chapelle Royale, l'écoute de ce disque les ramènera dans ces lieux, en fin de journée, lorsque le soleil vient se refléter dans les vitraux, transformer en or la pierre blanche, faire flamboyer les regards des angelots de pierre et irradier ceux du maître-autel.
Dans ces trois CD, l'on retrouve des pièces déjà publiées et des extraits de concerts nous relatant ces 20 ans d'exploration et de bonheur à chanter.
Les couleurs de ces voix d'enfants et d'adolescents, celles des orchestres qui les accompagnent et des solistes dont les noms sont tous aujourd'hui très célèbres : Howard Crook, Claire Lefilliâtre, Damien Guillon, Jean-François Lombard, Arnaud Richard, Bruno Le Levreur, Hervé Lamy, Arnaud Marzorrati et bien d'autres nous envoûtent par la sensualité de leur interprétation de ce répertoire sacré qu'ils servent comme nul autre. Tout ici est sensation à fleur de peau. Des compositeurs les plus austères Claude Lejeune et Eustache Du Caurroy au plus voluptueux André Campra ou Marc - Antoine Charpentier, des plus connus aux plus méconnus Guillaume Bouzignac ou Nicolas Bernier, le soin apporté par les interprètes à nous faire vivre leurs partitions à chaque concert, et donc à chaque enregistrement, ainsi qu'à la prise de son, nous en fait ressentir toutes les richesses. Pas de doute, ici tout est éternité.
Olivier Schneebeli (j'avais organisé et co-réalisé cet entretien, signé par un autre chroniqueur) joue d'une palette d'une somptuosité rare, il sculpte la matière sonore comme la caresse de la lumière sur la pierre blonde. Avec passion, il fait vibrer cette spiritualité si charnelle et si éthérée pourtant.
Alors souhaitons un excellent anniversaire aux Pages et aux Chantres du Centre de musique baroque de Versailles.
Merci à ses créateurs et à ceux qui ont pris la relève, de leur (de nous) faire partager cette offrande unique au monde, celle de la musique.
Par Monique Parmentier
K617 3 CD (CD1 : 67'50'' - CD2 : 68'54" - CD3 : 69'38"") - Références : K617 7234/3 - Code barre : 3 383520 002342 -
CD 1 : Claude Lejeune - Eustache Du Caurroy - CD 2 : Nicolas Formé - Etienne Moulinié - Guillaume Bouzignac - Jean-Baptiste Lully - CD 3 : Henry du Mont - Pierre Robert - Marc-Antoine Charpentier - André Campra - Nicolas Bernier
Photos prises par mes soins à la Chapelle Royale de Versailles lors d'une répétition d'avant concert d'un jeudi après-midi des Pages et Chantres
Caligula... La redécouverte des pupi siciliennes.
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Utiliser les marionnettes pour remplacer les acteurs/chanteurs à l'opéra n'est pas en soi une nouveauté, d'ailleurs tout laisse à penser que les marionnettes ont précédé les acteurs sur scène.
L'originalité artistique de ce projet monté autour de Caligula delirente est multiple.
Tout d'abord parce qu'elle est le fruit d'une co-production qui montre combien cet artisanat de la musique baroque est avant tout une aventure humaine, permettant à chacun (des musiciens aux chanteurs en passant par de nombreux artistes, techniciens et administratifs) de trouver sa place et de partager avec enthousiasme la création autour d'un projet sortant de l'ordinaire participant tous ainsi à l'enchantement du public.
Si c'est Vincent Dumestre qui a découvert à la Marciana à Venise la partition et le livret de ce Caligula c'est grâce à ce système économique de la Co- production que cette œuvre a pu revoir le jour. Et c'est l'Arcal (Compagnie nationale de théâtre lyrique et musical) qui est ici le producteur principal aux cotés du Poème Harmonique.
Parmi les autres co-producteurs (qui participent ainsi, aussi bien au développement culturel qu'à l'économie locale de différentes régions), l'on trouve l'Opéra de Reims, la Fondation Orange, le Venetian Center for baroque Music, l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet coréalisant et le Festival mondial des théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières ayant acceuilli la première de ce spectacle en 2011.
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Quant aux marionnettes parlons-en. Elles seraient nées sous l'antiquité en Inde et en Chine, associée aux rites religieux. Elles ont acquis par mimétisme les caractéristiques locales des pays où elles se sont implantées. Le théâtre étant à l'origine un art sacrée, elles participent au rituel permettant ainsi à chacun de comprendre les mythes fondateurs. Elles sont le fruit d'un rite de création, d'un démiurge qui peut faire naître de quelques bouts de bois et de chiffons, la vie. C'est en Grèce qu'elles se libèrent de la religion.
On trouve de nombreux témoignages de leur existence. Chez Plutarque qui nous dit qu'elles servaient à l'amusement des enfants et des adultes. Chez Xénophon qui nous apprend qu'elles permettaient de distraire lors de banquets. Tandis que Diodore de Sicile considère comme excessif la passion qu'elles engendrent chez certaines personnes. Lorsqu'elles arrivent à Rome, elles ne serviront plus qu'à distraire. Durant le Moyen-âge, leur rôle oscillera encore et ce jusqu'à la Renaissance où elles tiennent à la fois un rôle religieux et participent également aux distractions sur les foires et durant le carnaval. Au moment de la Contre-Réforme elles seront interdites dans les églises catholiques pour mieux répondre à Luther qui les condamnait.
En France, son lien avec la religion est d'autant plus marqué par son étymologie, puisque le mot marionnette trouverait son origine dans "Petite Marie", la marionnette de la Vierge. Partout ailleurs en Europe, elles sont des "poupées qui bougent", en Sicile des Pupi.
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Et c'est donc non vers la France mais vers l'Italie que nous allons nous tourner. Là comme ailleurs à côté des poupées à gaine (en France la plus connue est celle du Théâtre de Guignol) que l'on trouve dans les rues, les théâtres connaissent deux autres types de marionnettes. A Venise par exemple elles sont à fils tandis qu'en Sicile, elles sont à tringles.
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On sait que le Cardinal Ottoboni (1667 - 1740) faisait monter des opéras, où les acteurs étaient des marionnettes. Par le témoignage de l'Abbé Du Bos (1670-1742), on sait également que de grands opéras étaient représentés en Italie par une troupe de marionnettes que l'on appelait "bambocchie". La voix des chanteurs qui chantaient pour elles sortait par une ouverture pratiquée sous le plancher de la scène. Il y eu à cette époque en Italie une véritable passion pour ces petits acteurs.
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Pour le spectacle de Caligula, Vincent Dumestre est allé jusqu'en Sicile pour trouver les marionnettes qui s'inscrivent dans une tradition de théâtre artisanal. Mimmo Cuticchio descend d'une famille qui se transmet depuis plusieurs décennies le métier de "puparo-oprante". Succédant à son père, Giacomo, il a suivi à ses côtés un premier apprentissage qui comprend aussi bien l'art de fabriquer les pupi et les équipements scéniques, que l'art du conteur, dont les puparo sont les descendants. Il a aussi parfait cet apprentissage auprès d'un autre maître, Peppino Celano (1903-1973).
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Mimmo Cuttichio est aujourd'hui le seul survivant d'une tradition qu'il a su, à la suite de son père, adapter au public d'aujourd'hui. L'émigration, le cinéma puis enfin la télévision faisant disparaître ce métier unique, porteur de rêves. Il crée d'abord son théâtre la Compagnie Figlie d'Arte Cuticchio en 1973 puis en 1977, l'Association "Fligli d'Arte Cuticchio" afin de pouvoir produire de manière artisanale ses propres spectacles. En 1984, il organise un festival de théâtre intitulé " La Macchina dei Sogni" (La Machine des songes), puis crée une école pour pupari en 1997, et venant couronner tout ce travail, en 2001, l'Unesco reconnait l'opera dei puppi comme "patrimoine culturel et immatériel de l'Humanité". Depuis, il collabore à travers le monde à des projets visant à faire connaître ce répertoire unique que les pupi dévoilent. Des acteurs leur prêtant leur voix, c'est tout naturellement qu'ils ont été ici remplacés par des chanteurs.
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C'est aussi tout l'intérêt de ce spectacle de faire découvrir au public français, ce métier d'art qui appartient à une tradition médiévale qui avait été perdue et qui fut retrouvée au XIXe siècle. Au XVIIe siècle, Cervantès décrivait dans Don Quichotte un spectacle de marionnettes avec des cavaliers en armure et c'est tout naturellement que les puparo vont s'inscrire dans l'épopée médiévale de la chanson de geste, d'autant plus qu'ils sont les successeurs et héritiers du cunto (le conteur) qui sur les places publiques donnaient vie aux légendes. Les marionnettes prennent vie grâce à de nombreux artisans et à tout un savoir - faire unique au monde : peintres, graveurs... mais le plus important est l'oprante. Du milieu du XIXe siècle jusqu'aux années 1950, ils vont tous ainsi apporter au public insulaire "une lueur de rêve, de connaissance et de réflexion... ravivant les passions, esquissant des modèles de comportement, offrant un champ à l'imaginaire collectif."
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Caligula delirente (dont vous pourrez lire le livret sur ce site de la Bibliothèque de Munich) fait partie du répertoire particulièrement important des opéras vénitiens du XVIIe. A cette époque la sérénissime vibre et se passionne pour la musique et la voix. Représenté pour la première fois en 1672 à Venise au Teatro Santi Giovanni e Paolo, ce fut un des plus grands succès du siècle. Repris une quinzaine de fois à Naples (1672) puis à Rome, Bologne, Vicence, Milan Pesaro, Ferrare et Palerme, Venise, Gênes et Crema entre 1674 et 1680. Il n'avait pas été prévu pour des marionnettes, mais il se prête d'autant mieux à ces petits acteurs de bois que ceux-ci se prêtent au merveilleux par essence. Ne sont-elles pas le fruit de cet impossible auquel la folie donne corps ? Cet impossible dont rêve Caligula dans sa folie ?
Par Monique Parmentier
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Sources et Illustrations : Bartolomeo Pinelli (1781-1835), Il Casotto dei Burattini in Roma et marionnette conservé à la Casa Goldoni du XVIIIe siècle
Photos des marionnettes de Caligula Delirente : Maroussia Podkosova
Sources : Histoire des Marionnettes en Europe Charles Magnin chez Slatkine Ressoures 1981
Notes Arcal sur les pupi siciliennes ainsi que le dossier presse sur Caligula Delirente
Le Triomphe de l'amitié



Caligula... de la beauté d'un art sensible et poétique
Je publierais prochainement un article de fond, sur les acteurs uniques, d'un opéra vénitien, Caligula delirente, que le Poème Harmonique vient de recréer après quelques siècles d'oubli. Ces acteurs de l'éphémère, de l'illusion, du songe baroque, sont des marionnettes ... on plutôt des Pupi que l'on doit à un artiste artisan sicilien, dernier survivant de toute une tradition unique et poétique.
Comme je souhaite vous faire un travail soigné je vous propose en attendant, avec l'aimable autorisation du Poème Harmonique, deux photos, il y a en aura d'autres dans le dossier, à mettre au crédit de Maroussia Podkosova.
Ne manquez pas ce spectacle s'il passe à côté de chez vous. On le retrouvera cet été au festival de Sablé et l'hiver prochain à l'Opéra de Paris.
Par Monique Parmentier
Ariodante : un chevalier poète
J
e me suis rendue à l'Opéra Royal, le 15 mars pour assister à la représentation en version concert de l'Ariodante de Haendel. Malgré l'annulation de Joyce Di Donato qui devait tenir le rôle titre, la très belle distribution réunie à cette occasion, m'a permis de passer une très belle soirée.
Voir mon article sur Classique News. Que ce soit Sarah Connoly, si chevalier poète inspirée, ou Marie-Nicole Lemieux en méchant jubilatoire, sans oublier Nicolas Phan, ténor séducteur et Sabina Puertulas en naïve aguicheuse.
L'oeuvre un peu longue, le livret un peu faible... Il est certain que je préfère Alcina, mais si le concert passe à côté de chez vous n'hésitez pas à aller l'entendre.
Un disque sorti chez Virgin Classics en 2011 est à écouter pour prolonger, bien que la version de Marc Minkowski reste actuellement la version de référence discographique.
Par Monique Parmentier
Crédit Photographique : Yves Renaud pour Marie-Nicole Lemieux et Peter Warren pour Sarah Connolly
Christophe Rousset : Rien de moins que la virtuosité d'un artiste pour réabiliter Louis Marchand
Christophe Rousset - Clavecin
Louis Marchand (1669 - 1732) - Jean-Philippe Rameau (1683 -1764)
Louis Marchand fut l'un des plus grands organistes de son temps. Ce qui lui valut d'en occuper la charge à la Chapelle Royale de Versailles. Pourtant la postérité n'a retenu de lui que le souvenir de celui qui préféra fuir Jean-Sébastien Bach, qu'il aurait dû affronter dans un duel musical.
Alors pour lui rendre justice, Christophe Rousset qui aime à revenir à son premier amour régulièrement, le clavecin et ce malgré le succès de sa carrière de chef, nous propose un autre duel, confrontant Louis Marchand à un musicien auquel la comparaison à plus d'un titre peut paraître plus évidente, Jean-Philippe Rameau. Si des différences de style les opposent, beaucoup de points communs les réunissent et pas seulement le lien qui est l'origine de ce CD, un clavecin historique. Ce dernier véritable joyau de Donzelague de 1716 est conservé à Lyon, ville où est né Marchand et où Rameau séjourna en 1713. Ainsi ce dernier eut très bien pu toucher à cet instrument.
Ces deux compositeurs, s'affrontent ici sous les doigts virtuoses de Christophe Rousset en une joute fougueuse. A leur forte personnalité répond ici le tourbillon dans lequel nous emporte la ductilité de l'interprète. Christophe Rousset fait jouer les mille couleurs et nuances de la musique de ces deux grands tourmentés, soignant les nuances et les phrasées avec un plaisir non dissimulé. D'une précision millimétrée, il joue sur les contrastes et les différences qui peuvent unir ou opposer ces deux grands compositeurs dont l'un achève un style tandis que l'autre le crée. Et c'est peut - être d'ailleurs en cela qu'à la fin de l'écoute, il reste ce sentiment que Louis Marchand qu'elles que soient ses qualités étaient le fruit d'un style finissant, celui du Grand Siècle qui ne peut que s'incliner devant le style d'un compositeur inclassifiable et unique Rameau.
Délaissant pour un temps son orchestre, Les Talens Lyriques, Christophe Rousset n'en défend pas moins ici sans aucune concession à la facilité un de ces compositeurs dont la postérité n'avait donc rien voulu retenir d'autre qu'un événement devant beaucoup plus servir la légende dorée du Cantor de Leipzig qu'une réalité bien plus complexe sur laquelle ce disque lève un voile.
La prise de son extrêmement clair met en valeur les sonorités cristallines de l'instrument.
1 CD Ambronay - Code Barre : 3 760135 100323 - Durée : 69'20''
Par Monique Parmentier
Photo clavecin DR/ Musée des Tissus et Arts décoratifs Lyon
Didon et Enée : une mélancolie dévorante
J'ai enfin pu voir et entendre une production de Didon et Enée qui comble mes rêves, le 12 mars. Car les deux éléments clés s'y trouvent réunis.
Une Didon proche de l'idéal, sensible et entière, dont la voix mélancolique murmure la douleur d'aimer jusqu'à son dernier souffle : Malena Ernam, une mezzo-soprano que je ne suis pas prête d'oublier.
Mais également un orchestre aux clairs - obscurs moirés les Arts Florissants, dirigé par Jonathan Cohen qui en explore toute la palette avec une rare subtilité.
Ma chronique est sur Classique News (pour la signature elle est au bas du texte. Je viens d'arriver sur le site et doit donc y faire mes preuves.
Par ailleurs, le lendemain 13 mars, j'ai été entendre William Christie et les Arts Flos dans un concert-conférence, dédié à Didon et Enée. Un moment passionnant d'émotion et de plaisir. Mon article est également sur Classique News.
Copyright : La mort de Didon part Giovanni Francesco Barbierie dit le Guerchin / Galerie Spada Rome. Photo de Didon, Malena Ernman par Elisabeth Carecchio
Versailles disparu
Plus qu'un soi-disant Versailles secret, qui n'existe que pour faire venir le touriste en masse, c'est un Versailles disparu que j'ai envie d'évoquer ici. Il sera donc sans dorure, sans passage secret (il n'y en eu jamais)... Il est de porcelaine et de flore, de fêtes et parfois au soir de musiques mélancoliques. Il est celui du rêve, d'un rêve baroque.
Du labyrinthe à la grotte de Thétis, du Trianon de porcelaine au Bosquet du Marais, je vous mènerai jusqu'au Bosquet des Sources... sur les chemins d'un parc né pour la musique et la fête et non pour un château de gloire. Tous ceux qui sont venus ici chercher cette vaine apparence, se sont brisés les ailes... Ont sombré dans une douce folie qui parfois les a menés à la destruction. Car à Versailles, vous oubliez la réalité... à moins que celle - ci ne soit si trompeuse, multipliant les reflets dans ses miroirs et ses eaux si noires, que ce lieu ne soit tout simplement qu'un lieu de perdition si seul l'or vous y attire.
C'est peut-être aussi cela que dénonçait certains initiés en quête de la pierre philosophale. L'or n'est jamais que du métal... et l'éternelle jeunesse un mythe. Ce qu'il faut ici chercher, c'est une part de rêve et non l'illusion de la richesse.
En ce jardin des Hespérides, les muses et les nymphes ont longtemps enchanté ces lieux... à vous de les ré-enchanter. Et qui sait peut-être, saurez-vous suivre leur danse au rythme d'une chaconne envoutante.
Missa in illo Tempore : une interprétation fastueuse
Claudio Monteverdi : Missa in illo tempore
Odhecaton - Paolo Da Col - Ricercar
Je dédie à un ami ce disque de Monteverdi, lui qui l'a tant aimé.
Toute la splendeur de la musique de la fin de la Renaissance et du début du baroque trouve ici un double écrin (un lieu et un ensemble vocal et instrumental) où elle peut s'épanouir. Rarement, peut - être, une interprétation de motets de deux des plus grands compositeurs qui se côtoyèrent au service des Gonzague à Mantoue Giaches de Wert et Claudio Monteverdi n'avait bénéficié ainsi d'autant de convergences positives.
Rien n'était trop beau pour les Ducs de Gonzague, les maîtres de Mantoue. L'art était pour eux, comme pour tous les princes italiens des XVIe et XVIIe siècles, une manière de célébrer leur gloire. Ils érigèrent la basilique palatine Santa Barbara, où à été réalisé l'enregistrement de ce CD, à cette fin. La somptuosité de son décor intérieur, ne pouvait être conçue que pour mieux accueillir les plus grands compositeurs de cette époque. Ainsi Giaches de Wert, qui était le maître de chapelle de cette cour oh combien fastueuse depuis 1565, y croisa-t-il le jeune Claudio Monteverdi, qui y fut engagé comme violiste vers 1590, soit une petite décennie avant la disparition du compositeur flamand.
On ne peut rêver plus belle acoustique pour nous offrir cette "confrontation" entre les motets de deux princes de la musique. Si le maestro flamand ne composa qu'un petit nombre d'oeuvres sacrées, le moins qu'on puisse dire c'est que celles qui nous sont présentées ici possèdent une grande force dramatique et expressive. On en retiendra tout particulièrement le motet Vox in Rama, une mise en musique d'un texte tiré du livre de Jérémie, qui exprime la désolation d'une mère venant de perdre ses enfants.
Presque plus classique à une première écoute la Missa In illo tempore de Claudio Monteverdi est l'une de trois seules mises en musique connues de l'ordinaire de ce dernier. Elle est ici articulée autour de trois pièces inédites, deux Salve Regina et un Regina caeli redécouvertes récemment par un musicologue italien prévues pour des combinaisons à trois voix avec accompagnement instrumental (normalement l'orgue). Toutes trois nous éblouissent par leurs caractères monteverdien nettement plus marqués que dans la Missa mais où l'on découvre un Monteverdi maître d'une prima prattica, riche et harmonieuse.
L'ensemble Odhecaton, sous la direction de Paolo Da Col, nous restitue au-delà de la ferveur propre à ces motets, une émotion faite d'humilité et de virtuosité. Exploitant au mieux les qualités acoustiques du lieu, ils nous font oublier notre salon, notre chaîne hi fi, pour nous emporter hors de notre temps et du temps, en un lieu unique. Ils nous invitent ainsi à suivre les pas de Monteverdi ou de De Wert, nous faisant percevoir leur présence unique à leurs (à nos) côtés. Le verbe limpide et lumineux fait resplendir et vibrer un latin sensuel. La sérénité de l'interprétation de la Missa est tout particulièrement exemplaire d'équilibre et d'énergie.
L'ensemble des pupitres est remarquable. Les voix d'hommes expriment avec une ferveur extatique toute aussi bien la douleur de cette mère qui ne demande qu'à sombrer dans l'abîme du désespoir dans Vox in Rama, que douloureuse d'incertitudes et de fébrilité, face au doute et à l'espérance dans les Salve Regina. Quant aux voix de femmes dans le Regina caeli, accompagnées d'une harpe céleste, elles semblent être l'essence même du divin.
Les instrumentistes accompagnent avec beaucoup de délicatesse et de raffinement les chanteurs. Ils apportent des couleurs subtiles, révélant les ombres, paraissant arrondir les formes d'une architecture polyphonique complexe par une suavité opulente. On signalera tout particulièrement les interventions de l'orgue, ici tenu par Liuwe Tamminga, puisqu'il s'agit d'un orgue historique datant de 1565 et qu'ont donc connu De Wert et Monteverdi. Il offre une splendide palette sonore.
Le livret une fois de plus très soigné chez Ricercar nous offre des éclaircissements tout aussi bien sur les oeuvres et la démarche artistique de cet enregistrement que sur le contexte technique de la prise de son extrêmement passionnant dont Jérôme Lejeune, le directeur artistique du label est l'auteur.
Voilà un CD à vous procurer, il vous transportera plus qu'en un lieu ou en un temps unique, aux confins d'une conscience apaisée par tant de beautés et de magnificence.
Par Monique Parmentier
1 CD Ricercar RIC 322 Durée 64'35''
Code barre 5 40039 003224