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Le blog de Susanna Huygens

Le "beau chant" au coeur de la vie de société au XVIIe siècle

28 Février 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Dossiers Musique

Concert dijon
©  RMN : Le Concert par Janssens Hiéronymus au Musée de Dijon
 

Alors que vient de sortir chez Saphir, le très beau CD de l'ensemble à Deux Violes Esgales : "Bertrand de Bacilly ou l'art d'orner le "beau chant", j'ai eu envie de vous parler de l'air de cour et de son environnement,  ces salons parisiens où se côtoyaient aussi bien musiciens et poètes, que la noblesse de cour et la bourgeoisie parisienne.
L'air de cour naquit à la fin du XVIe siècle et se développa dans les centres urbains, et tout particulièrement à Paris, dans les salons que tenaient quelques dames de la haute aristocratie et de la bourgeoisie. Il occupa aussi une part importante dans les soirées de la cour, et trouva également sa place dans un genre tout aussi français et ô combien important durant les règnes de Louis XIII et de Louis XIV, le ballet de cour. Je parlerais prochainement du ballet de cour et des raisons qui firent son succès en France.
 
Cette musique de chambre, propre au baroque français, va connaître son âge d'or durant le règne de Louis XIII. Epoque où le roi, lui-même musicien et compositeur, aime à réunir autour de lui, un cercle restreint, avec lequel il partage un de ses très rares plaisirs, avec la chasse : la musique.
 
Louis-XIII-Pourbus.jpgCe roi ombrageux, taciturne et mélancolique, qui devint roi trop jeune et dans des conditions tragiques que tout le monde connaît, contrairement à son fils ne trouva aucun bonheur à être roi : "Je voudrè bien n'estre pas sitost Roy, et que le Roy mon Père fust encore en vie". Cette phrase répété par Héroard, son médecin, nous révèle toute la profondeur de cette blessure qui va désormais le miner.  Elle est celle d'un enfant de 8 ans qui non seulement doit faire face au profond chagrin de la perte de ce père, avec lesquels il partageait une réelle complicité, mais aussi celle d'un jeune roi qui va subir après la mort d'Henri IV et durant toute une partie essentielle de enfance, des humiliations de sa mère, Marie de Médécis et ses protégés les Concini. Une grande solitude va s'abattre sur lui, le 14 mai 1610, dont il ne se remettra pas. La musique sera pour lui vitale. Elle l'accompagnera tous les jours. Il l'a pratiquera en tant que compositeur et luthiste averti. Les oeuvres qu'il composa qui sont arrivées jusqu'à nous en témoigne.
 
Mais les salons parisiens où se développent des cénacles raffinés, donnant d'ailleurs naissance à la préciosité, lui offre également, ce cadre intime qui lui permet d'exprimer toute la saveur de l'air de cour.    
Ces salons sont le fruit d'une époque qui au sortir des guerres de religion tente d'adoucir les moeurs cavalières, parfois brutales et manquant singulièrement de raffinement, non seulement de la cour d'Henri IV, mais de toute la société. En pleine délisquescence cette société, éprouve sous l'influence des femmes le besoin de retrouver tout un art de vivre. Honoré d'Urfé (1567 - 1625), qui fut lui - même un combattant de ces heures sombres dans son roman fleuve l'Astrée, préfiguraient ces règles de la galanterie qui firent les beaux jours de ce mouvement de la préciosité auquel il n'appartint pas mais qu'il influença.
 
marquise_rambouillet.jpgC'est la grande époque de la "Chambre bleue", le salon de la Marquise Catherine de Rambouillet (1608-1648) qui va donner à ce mouvement ses plus beaux moments. C'est d'ailleurs à la flamboyante Arthénice, anagramme de Catherine, que nous devons le nom de ces fameuses "ruelles", lieux de rencontres et de conversations. Car de santé fragile, elle recevait depuis son lit qui était séparé du mur par une "ruelle". Chez elle, on se livrait à des discussions fines et lettrées, souvent complétées par des intermèdes musicaux. Il faut imaginer à l'époque, autour de cette dame, des persoMme de Scuderynnages tel que Corneille, Mme de Sévigné ou de La Fayette (vous savez celle à qui l'on doit l'inoubliable Princesse de Clèves), la Rochefoucault et bien d'autres. L'heure n'est pas encore alors à cette préciosité qui fera bien rire Molière. Les Précieuses Ridicules ne datent que de 1659, alors que le salon de Mme de Rambouillet s'éteindra vers 1648. Autour de la Marquise tous ces fins lettrés aiment avant tout les jeux d'esprits, et font preuve d'une gentillesse légère et piquante. Leurs "armes" sont le sonnet, le rondeau, l'énigme, le madrigal. Avec Madeleine de Scudéry on passera au roman fleuve et la préciosité entrera dans une nouvelle ère où parfois un certain pédantisme viendra alourdir les conversations. Sans compter les exagérations vestimentaires et de comportements.
   
 
La musique Van Horst musiciensest en tout cas partout présente. D'une chanteuse s'accompagnant au Luth dans la "chambre bleue", elle est souvent pratiquée par plusieurs chantres de la chambre du roi, accompagnés de nombreuses violes et luth et participe aux somptueux spectacles que sont les ballets de cour.  
       
Musique recitAlors qu'à la même époque, et même avant l'Italie, développe un art du chant nettement plus expressif, la France elle crèe des "miniatures poético-musicales" telles que les nomment Georgie Durosoir aux charmes délicats, parfois pittoresques, rarement dramatiques. Si en Italie les Camerate (telle la camerata Bardi) considèrent la musique comme un art noble, les français semblent l'apprécier bien plus comme un loisir, qui participe à tout un art de vivre en société. Loin du débat sur un retour à l'antique comme en Italie, la musique semble être une activité au même titre que la conversation ou le jeu dans ses sociétés "savantes" et courtoises, où l'on paraît se distraire de ce qui aujourd'hui passent pour des "petits riens".  
   
elegant_company_music_banquet_hi.jpg Mais les apparences sont trompeuses, car si des textes émanent une sentimentalité précieuse, entre insatisfaction et soupirs, avec un goût prononcé pour des personnages issus de la pastorale, certains compositeurs tel Pierre Guédron, s'attachent à la déclamation et à un travail sur le récitatif dont Lully lui-même saura se souvenir, tandis que d'autres tel Antoine Boësset ou Michel Lambert, nous offrent des mélodies dont l'apparente simplicité est d'une telle beauté, d'un tel raffinement qu'elles ne peuvent aujourd'hui encore, que nous atteindre au coeur même de nos émotions les plus intimes. Révélant ainsi une architecture d'une réelle complexité.   
 
Contrairement aux madrigaux italiens, dont les textes sont souvent des poètes les plus renommés de la littérature classique, les auteurs des textes des airs de cour français sont souvent anonymes. Les plus grands poètes de l'époque tels Théophile de Viau ou Tristan l'Hermite ne s'y sont pas intéressés. Mais ces anonymes se révèlent être de fins lettrés, témoins d'une poésie conçue pour cette musique et si proche de cet "art de la conversation" que l'on pratiquait dans les "ruelles". Tous ces textes sont d'une grande unité de style et d'esthétique.
   
Le thème de ces petits poèmes est donc l'amour et généralement une belle indifférente pour laquelle on se languit. Mais on se console aussi parfois. Comme dans ce poème anonyme mis en musique par François de Chancy : Je goûte en liberté.
 
"Je gouste en liberté
Les plaisirs de la vie,
Depuis que j'ay quitté
Les beautez de Silvie
La bouteille et les pots,
Me mettent en repos.
 
Un excellent repas,
Contente plus mon ame,
Que les charmans apas
De la belle dame..."
 
Précieuse et gracieuse, cette poésie peut aussi bien se chanter à quatre ou cinq voix, a capella ou par une voix de dessus accompagnée au luth. 
 
1645 1670 non datee Les cinq sens l ouieSi aujourd'hui certains compositeurs de ces airs de cours sont plus connus que d'autres tel Pierre Guédron, Antoine Boesset, Estienne Moulinié et Michel Lambert, il en existe d'autres qui mériteraient de retrouver les faveurs du public tel Bertrand de Bacilly. Malheureusement, les sources musicales manuscrites sont rarement parvenues jusqu'à nous. C'est peut-être ce qui rend d'autant plus exceptionnelle la redécouverte de ce manuscrit de Bertrand de Bacilly à l'origine de l'enregistrem ent de l'ensemble à Deux violes Esgales. S'ils sont parvenus jusqu'à nous, c'est souvent grâce à la retranscription dès les origines de ce répertoire par des luthistes mais aussi et surtout grâce au travail d'édition de la famille Ballard et tout particulièrement pour l'air de Cour de Pierre Ballard, actif de 1599 à 1639.      
Visuel PH
Pour trois compositeurs majeurs du genre, nous disposons de plusieurs enregistrements,   dont les trois CD du Poème Harmonique, qui ont été regroupé dans un coffret "Si tu veux apprendre les pas à danser". Les trois CD que comporte ce coffret sont aujourd'hui une référence pour ce  répertoire.
   
Ces trois compositeurs sont Pierre Guédron (v. 1570 - v 1620), Antoine Boësset (1587 - 1643) et Estienne Moulinié (1599 - 1676). Si le premier fut rattaché à la musique de la chambre du Roi Henri IV, remplaçant Claude le Jeune, les deux autres furent actifs sous le règne de Louis XIII. L'un fut directement rattaché à sa musique tandis que l'autre exerça ses talents auprès du frère du Roi : Gaston d'Orléans.
 
cornelis-bega-woman-playing-a-luteMais cette période connut de nombreux compositeurs travaillant auprès de différentes grandes maisons de l'aristocratie, voir comme Charles Tessier (v.1550- ?) furent des "esprits libres". La musique de ce dernier, qui a également fait l'objet d'un très bel enregistrement du Poème Harmonique, nous révèle tout à la fois cette poésie de l'intimité si chère à ce répertoire, fantasque et mystérieux comme "Me voilà hors du naufrage" ou "Quand le flambeau du monde" ;  mais aussi des airs à boire comme "J'aime à la dizaine" qui nous font participer à une joie de vivre l'instant, avec une gouaille sans retenue et pourtant sans vulgarité. De "Paris sur Petit Pont" de Pierre Guédron ou "Amis enivrons-nous" d'Estienne Moulinié, en passant par les airs plus aristocratiques ou mélancoliques de Boësset comme "Je meurs sans mourir", ou par ces airs anonymes comme "Nos esprits libres et contents"... c'est ainsi tout un univers aux frontières du songe, aux clairs-obscurs enchanteurs et secrets que cette musique nous dévoile. Souvent les frontières sont extrêmement minces entre musique de cour et musique populaire. Les musiques nobles puisant leur inspiration sur ces routes qu'empruntaient aussi bien la cour que les marchands, les paysans que les soldats. Comme des peintres observant leurs sujets, avant d'en dessiner les contours, les musiciens étaient à l'écoute de ce monde où la diversité était une source d'une extraordinaire richesse. La chaconne qui connut un tel succès au XVIIe et XVIIIe siècle, ne venait-elle pas des lointaines Amériques.
Certains de ces compositeurs furent aussi des théoriciens ce qui est d'ailleurs le cas de Bertrand de Bacilly ou de son maître Pierre de Nyert (1597-1682).  Jacques-Gaultier--by-Jean-de-Reyn.jpg
Ce dernier fut non seulement un des musiciens préférés de Louis XIII, mais également un de ses premiers valets de chambre - charge officielle qui n'avait rien d'un simple domestique. C'est lui qui introduisit en France cette technique de l'interprétation que l'on nomme le "beau chant".
C'est en Italie, à Rome, où il s'était rendu en 1633 afin d'y parfaire ses connaissances en matière de musique que Pierre de Nyert découvrit cet art de chanter si propre aux italiens et auxquels les français étaient si rétifs, comme à tout ce qui venait d'Italie. Il y resta près de deux ans, assistant à des représentations d'opéra chez les Barberini, faisant la connaissance de très nombreux musiciens qui le lui firent découvrir. Il le mêla ensuite à l'art vocal français, donnant réellement naissance à ce "beau chant" qui devait faire les belles heures de toute une partie du XVIIe siècle jusqu'à la naissance de la cantate profane et sacrée. Quant à Bacilly qui fût donc l'un de ses élèves, il "préconisait dans son "Art du bien chanter", une prosodie plus naturelle, une déclamation plus nuancée, une virtuosité plus agile dans l'exécution des ornements et des diminutions (doubles) et insistait sur l'importance de la prononciation et d'une bonne respiration".
passQuel sont ces ornements si caractéristiques du chant baroque ? Peut-être avez-vous déjà entendu parler de "port de voix" ou de "frelons" ? Au fil du XVIIe siècle, après 1630, les termes et les moyens techniques de l’ornementation ont gagport.jpgné en complexité. Pour Marin Mersenne, ils se limitent aux ports de voix, tremblements (sur les cadences), passages et diminutions (plus des éléments de nuance et d’accentuation pour exprimer les passions) ; chez Bertrand de Bacilly, on use du port de voix, et du demi-port de voix, de la cadence (« que l’on distingue du tremblement ordinaire, que plusieurs nomment flexion de la voix »), double cadence, tremblement étouffé, soutien de la voix, accents (ou plaintes), passages et diminutions.
   
Claire Lefilliatre copyright Sébastien BrohierDans le dictionnaire de l'Académie de 1742, donc beaucoup plus tardif, Montéclair parle "d'agréments" :"Il y a Dix huit agréments principaux dans le Chant. Sçavoir, Le Coulé, Le Port de Voix, La Chûte, l'Accent, LeTremblement, Le Pincé, Le Flatté, Le Balancement, Le Tour-de Gosier, Le Passage, La Diminution, La Coulade, Le Trait, Le Son filé, Le Son enflé, Le Son Diminué, Le Son glissé, et le Sanglot".
 
 monique-zanettiCet art du chant donne la part belle au mot. Il magnifie les textes, demandant au chant de se faire plus expressif, plus riches en nuances et beaucoup de souplesse aux chanteurs. Claire Lefilliâtre et Monique Zanetti  font aujourd'hui partie des interprètes qui maîtrisent le mieux cette virtuosité unique tout en la dépassant pour mieux nous faire ressentir cet art de l'émotion.
 
reve st joseph nantesL'air de cour est quête d'harmonie. Plus que jamais, pour sa grâce, sa lumière ambrée si proche des tableaux de La Tour, vacillante, mais ardente, il nous touche, nous bouleverse. Sa musique est celle du silence, un murmure amical. Ses plaintes chuchotées expriment espérances, joies, mais aussi ces blessures que génèrent les incertitudes et les doutes. Raffinée, subtile, la musique de l'air de cour, peut aussi nous faire rire de ces galimatias burlesques, comme l'air du Juif Errant "Salamalec Ô Rocoba" d'Estienne Moulinié, s'inscrire dans nos mémoires pour ces éclats de rire qui réchauffent par leur gouaille comme un bon vin, faire chatoyer la nuit comme le "Flambeau du Monde".
 
Aucun snobisme dans l'air de cour, d'ailleurs l'un des ballets dont est extrait l'air du Juif errant se déroule au Royaume des Andouilles, et l'on rencontre y rencontre dans d'autres, des fées au nom "à coucher dehors", comme "Jacqueline l'Entendue, la fée des estropiez de la cervelle".
 
Ce répertoire est donc pour tous un enchantement, qui vous apportera l'apaisement, l'oubli des soucis, de cours instants, précieux bijoux, volés à une vie qui court trop vite.
    Jan-Miense-Molenaer3.jpg Molenaer_interieur_avec_musiciens.jpg
 
Sources et bibliographies :
Georgie Durosoir, L’Air de cour en France : 1571-1655, Liège, Mardaga, 1991
Textes réunis par Georgie Durosoir, Poésie, musique et société chez Mardaga
Programme des grandes journées anniversaires du CMBV de 2007 consacré à Louis XIII
Illustrations :
© DR : Louis XIII enfant par Pourbus
© DR : Madame de Rambouillet et sa fille Julie
© DR : Madeleine de Scudéry
© Le concert / National Gallery of Ireland /Gerrit van Honthorst
© : RMN : Ballet des Fées de la forêt de Saint Germain "Musique servant de Grand ballet" ; quatorze figures/Daniel Rabel© :DR Abraham Bosse. Les cinq sens : l'Ouie
© :DR/Collection particulière : Le banquet par Janssens Hiéronymus
© Sébastien Brohier : Claire Lefilliâtre
© DR : Monique Zanetti 
© Galleria degli Uffizi, Florence - Cornelius Bega - Femme jouant du luth
©  Songe de Saint-Joseph - Musée des Beaux - Arts Nantes
© DR Portrait présumé de Jacques Gaultier, par Jean de Reyn.
© DR - Jan Miense Moleaner Allegorie et Intérieurs avec musiciens
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Philippe Herreweghe danse la Messe en si

20 Février 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

visuel CdC’est une chose entendue la Messe en Si de Bach est un monument. Combien d’excellentes versions discographiques comptons nous ? Depuis la première de Karajan pleine de mirages qui n’ont pas duré et celle monumentale et « hénorme » de Klemperer avec des chanteurs d’exception... puis les versions baroques des origines un peu extrêmes, Harnoncourt, avant un équilibre plus aimable.... chacune apporte sa petite pierre à l’édifice de l’hommage rendu au génie à l’état pur. Même la dernière version iconoclaste de Minkowski à un par voix a séduit ou irrité, mais a apporté des moments jamais entendus ainsi jusque-là. ? N'oublions pas Michel Corboz qui a tant donné de lui dans cette œuvre chorale majeure. Qui peut se lasser de cette partition ? Qui peut prétendre en rendre la quintessence en une seule interprétation ? Partition bien trop vaste pour une simple messe. Bien trop belle pour être seulement religieuse. Bien trop œcuménique (messe en Latin composée par un Protestant) pour être récupérée. Des choeurs trop immenses pour être réduits à un par voix, des airs bien trop exigeants pour des voix trop frêles ou trop puissantes. Une texture trop entremêlée pour résister au gigantisme... Trop ample si les moyens sont fragiles...

 

Philippe Herreweghe a déjà gravé une version de référence (celle de 1996) parmi d’autres (Gardiner, Brüggen, Koopmann, Kuijken... ) car aucune ne nous suffit vraiment. Cette dernière pourtant fera date. Philippe Herreweghe qui dès ses débuts tutoyait Bach semble encore s’entretenir avec lui sur des hauteurs peu fréquentées.

 

Salomon van Ruisdael DeventerCette version publiée dans son label : Phi, est son quatrième opus, et devient incontournable.Tout y est lumière et danse. La lumière des marines des Flamants et la danse simple des hommes entre palais et villages qui donne des ailes à chacun. Jamais aucune version ne s’est simplement mise au service du génie de l’homme. Bach est un homme de cœur et un génie de la composition, mais surtout un génie du mouvement voluptueux du corps humain. Nombreux sont les moments choraux ou solistes dans lesquels la danse devient évidente. La direction de Philippe Herreweghe est d’une souplesse peu commune tout en sculptant des structures parfaites. Les fugues sont impeccablement échafaudées, solides et mobiles à la fois. Le soutien du continuo est admirable de charme pour les chanteurs, les instrumentistes phrasent comme des chanteurs qui eux-mêmes ont la précision des musiciens. Et que dire du chœur, le Collegium Vocale Gent, si ce n’est qu’il s’approche de la perfection absolue en une masse chorale diaphane et lumineuse. Chaque pupitre est d’une pureté rare, d’une lumière d’éternité. Les basses elles-mêmes sont plus claires qu’impressionnantes mais avec une présence amicale. Les ténors planent haut et sur, les alti émeuvent par une incarnation troublante et le soprani sont à des hauteurs stellaires. Quel beau chœur dont chaque voix est harmonie et chaque pupitre entité vivante au service du grand tout ! Les solistes sont très honnêtes même si les amateurs de grandes voix peuvent rêver et ouvrir leurs oreilles ailleurs. Ce qui séduit dans cette version c’est cette danse de chaque instant qui donne une jubilation rare et incarnée, finalement la plus belle manière de louer le créateur par des hommes de chair qui se donnent la main. N’est-ce pas cela le message de Bach lui-même ? Qu’il nous a laissé sans avoir jamais lui même entendu sa messe en entier... cet enregistrement donne envie de l’écouter en boucles jusqu’à l’ivresse.

 

Par H S

 

2 CD LPH 004

Distribués par Outhere

Durée totale 1h 41’18’’

Code : 5 400439 000049

 

Pour vous le procurer : http://www.outhere-music.com/store-LPH_004

 

Tableau de Salomon van Ruysdael, Vue de Deventer à la National Gallery de Londres

 

 

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Bacilly : La redécouverte d'un délicat répertoire

15 Février 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

@Saphir productions

Bertrand de Bacilly ou l'art d'orner le "beau chant"
Ensemble à Deux Violes Esgales - Monique Zanetti, soprano ; Paul Willenbrock, basse
Saphir procuctions

Cet enregistrement est le fruit d'une redécouverte. Celle d'un manuscrit qui failli bien finir... à la poubelle et qui grâce au hasard et à la vigilance d'une musicienne documentaliste est arrivé jusqu'à Jonathan Dunford et Sylvia Abramowicz, les co-fondateurs de l'ensemble à Deux Violes Esgales.  

Il s'agit d'un manuscrit, qui comporte essentiellement des oeuvres d'un compositeur dont on connaît depuis peu le vrai prénom Bertrand (et non Bénigne) de Bacilly.

Il fut l'un des grands théoriciens avec Marin Mersenne de l'art de l'ornementation du chant au XVIIe. Bertrand de Bacilly était également compositeurs. Si un certain nombre de ses airs de cour et à boire nous sont parvenus grâce à leur édition dès le XVIIe siècle, ce manuscrit permet de disposer d'au-moins 80 inédits pouvant lui être attribués.

Thomas Leconte du Centre de Musique Baroque de Versailles a pu longuement l'étudier et établir les correspondances entre ce que l'on connaissait et les indices que livre ce recueil à la graphie "soignée et homogène", datant de la dernière partie du XVIIe siècle avec sa reliure d'origine. Il dormait, en compagnie d'autres documents de la même valeur, dans la bibliothèque privée d'un petit château des environs de Blois.

Ce qui fait tout l'intérêt de ce recueil, ce sont ces airs accompagnés de seconds couplets en diminution ou doubles. "Cet art consistait à agrémenter la mélodie simple d'un air d'ornements, passages, broderies ou autre cadences... Pour chanter le second couplet "en diminution". 

Si la plupart des textes chantés semblent avoir été écrit par le compositeur lui-même, d'autres ont été écrit par des personnes qu'ils devaient côtoyer dans ces salons parisiens. Fins lettrés qui n'ont pas forcément laissé un nom dans la "grande histoire", mais qui n'en sont pas moins les témoins d'une poésie conçue pour cette musique et si proche de cet "art de la conversation" que l'on pratiquait dans les "ruelles".

Ce Cd est accompagné de pièces musicales destinées au luth ou aux violes

de contemporains de Bacilly, (Nicolas Hatman, Louis Couperin, François Dufaut et le Sieur de Sainte Colombe) qui permettent à l'ensemble des musiciens d'entretenir et de développer toute la richesse de ces conversations musicales nous donnant le sentiment durant l'écoute d'être quelque part, dans un ailleurs et un autre temps, où justement l'on savait nourrir ce temps qui court de petits riens qui enrichissent le quotidien.  

L'ensemble à Deux violes Esgales, nous offre ainsi un de ces purs joyaux que l'on peut écouter pendant des heures aussi bien pour la beauté - en apparence si simple et pourtant si complexe - de la musique que pour celle de l'interprétation extrêmement raffinée qu'il nous en donne.  

Les timbres des deux chanteurs se jouent des clairs-obscurs, où la basse sombre et souple de Paul Willenbrock apporte un piédestal d'airain au soprano aussi fluide que l'onde et délicat qu'une dentelle de Monique Zanetti. Leur déclamation, en français classique et leurs ornementations soignées, disent l'amour du beau chant. Ils se délectent des mots, exprimant à "mi-voix" toutes les passions, des larmes au plaisir, avec une diversité qui fait de chaque air un instant unique. Tout ici exprime avec pudeur, espérance et peur d'aimer. Ils nous enchantent par leur complicité ainsi que celles qu'ils partagent avec les musiciens.

Le luth de Claire Antonini, le théorbe (et l'archiluth) de Thomas Dunford et les violes de Sylvia Abramowicz et Jonathan Dunford, s'unissent aux voix avec une sensualité lumineuse et mystérieuse, dans cette musique du silence, du secret amoureux que l'on murmure aux frontières de l'indicible. Tous semblent former des arabesques, permettant à la voix humaine de devenir le mouvement de l'onde, le chant du vent et des oiseaux.

Le livret très bien écrit par Thomas Leconte vous donnera forcément envie d'en savoir plus. Quant à la prise de son parfaitement équilibrée, d'une belle rondeur, elle trouve le juste équilibre entre voix et instruments, donnant le sentiment d'être dans un salon aux boiseries chaleureuses.

 * Crédit photographique : RMN : Le Concert par Janssens Hiéronymus au Musée de Dijon

Par Monique Parmentier

1 CD Saphir productions LVC1126. Durée : 64'30'' - Code barre : 3 76028 91266

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La catena d'Adone : l'enthousiasme des commencements

11 Février 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

visuel-copie-1.jpgLa Catena D'Adone

Domenico Mazzocchi

Scherzi Musicali - Nicolas Achten

 

Il est rare aujourd'hui, que l'on ose encore faire preuve d'enthousiasme et prendre des risques. Même les jeunes générations semblent attendre frileusement des temps meilleurs. Ce n'est absolument pas le cas de Nicolas Achten, aux multiples talents : baryton, luthiste, harpiste, claveciniste... qui avec son ensemble Scherzi Musicali, ose aller défricher des univers aujourd'hui ensevelis sous la poussière des bibliothèques et proposer ainsi des enregistrements d'oeuvres disparues du répertoire depuis le XVIIe siècle.


Il nous revient donc avec un opéra romain, datant de 1626, la Catena d'Adone.

 

Près de 20 ans après l'Orfeo de Monteverdi, dans la ville papale plus que rétive à toute forme théâtrale, Domenico Mazzocchi, un prêtre au service du Cardinal Ippolito Aldobrandini, s'associe pour le livret à Ottavio Tronsarelli pour répondre à une commande du frère de son mécène : Giovanni Giorgio Aldobrandini.

 

Du compositeur on sait, tout comme pour son frère Virgilio, qu'il vécut une vie confortable travaillant pour les plus grandes familles romaines. Ordonné prêtre à 27 ans, il compose pour de nombreuses occasions liées à des festivités organisées par la famille Aldobrandini, mais également pour d'autres personnalités, des oeuvres tant profanes que sacrées. La Catena d'Adone est certainement son chef d'oeuvre.

 


 

Donnée pour la première fois à Rome le 12 février 1626, elle connut un très grand succès, tout comme le poème du Cavalier Marin dont s'est inspiré le librettiste. Lorsqu'on sait que ce dernier vit son oeuvre mise à l'index par l'église, on ne peut que s'étonner, aujourd'hui du moins, de ce choix. Mais le poète fut un protégé du Cardinal, fin homme de lettres comme la plupart des personnages de haut rang de cette époque. Et si la Catena d'Adone délivre une morale, cette fable pastorale n'en conte pas moins les amours tumultueuses d'Adonis, Apollon, Vénus et Falsirena (une magicienne amoureuse d'Adonis) avec une liberté de ton et une sensualité enivrante de la musique qui en fait tout l'intérêt. A la fois  frivole et érotique l'histoire s'appuie sur une partition de toute beauté. Le recitar cantando y permet une expressivité audacieuse des affeti. La musique vient appuyer les tensions dramatiques du texte, donnant vie et caractère aux personnages. Nicolas Achten dans le magnifique livret qui accompagne cet enregistrement analyse avec beaucoup de finesse la partition, comme d'ailleurs, le contexte de la création de l'oeuvre et l'on ne peut que vous en recommander la lecture. Il a complété la partition pour laquelle manquent les parties instrumentales qui ouvrent les différents actes par des sinfonie de Kasperger.

 

Cette fable, en un prologue et cinq actes nous raconte les amours d'Adonis et Vénus, contrecarrées par l'époux de cette dernière Mars ; ainsi que par la jalousie d'Apollon lui-même amoureux de la déesse de l'Amour et surtout Falsirenna la magicienne qui s'éprend d'Adonis. Elle le fait prisonnier et tente de se faire passer pour Vénus. Mais Adonis n'est pas longtemps dupe et Vénus vient le libérer, enchaînant la magicienne à un rocher.

 

Si la Catena d'Adone avait fait l'objet d'une première résurrection à la scène par René Jacobs au Festival d'Innsbrück en 1999, elle n'avait encore jamais connu d'enregistrement intégral. C'est donc désormais chose faite grâce à l'audace de jeunes musiciens certes parfois montrant quelques failles mais qui pour l'essentiel nous en offrent une très belle version.

 

Pour leur quatrième enregistrement, - dont des pièces sacrées de Giovani Felice Sances à se damner et une Euridice de Caccini à marquer d'une pierre blanche, tous deux chez Ricercar,-  les Scherzi Musicali nous reviennent avec la même fraicheur et le même bonheur de la redécouverte dans leur interprétation. Fidèle à l'esprit de troupe, qui au XVIIe siècle déjà présidait aux représentations d'opéra, Nicolas Achten qui nous avait offert en concert cette Catena d'Adone dans le cadre du Festival de Pontoise en octobre 2010 (voir ma chronique de ce concert sur Anaclase), nous revient avec la même distribution au disque.

 

De cette distribution très homogène, aux voix certes encore un peu vertes mais avec de belles personnalités, ressort tout particulièrement l'Adonis de Reinoud Van Mechelen. Son timbre solaire irradie et sa déclamation sensible souligne la poésie du texte, exprimant avec beaucoup de subtilité, tous les tourments que connait son personnage. Le timbre cuivré de Luciana Mancini convient bien à Falsirena. Elle est toutefois plus à l'aise dans la plainte que dans les passages dramatiques.

 


 

Le somptueux continuo vient enrichir le caractère de chaque personnage et révèle des ors et des pourpres, plus que des clairs obcurs, digne de cette Rome qui aimait l'apparat et le luxe. La direction de Nicolas Achten respire la joie de vivre et de partager, de découvrir et d'expérimenter.

 

Je ne peux que vous recommander ce très beau Cd, car si les voix sont encore un peu jeunes, un peu trop pour en exprimer le dolorisme, ils nous permettent de vivre cette recréation de la Catena d'Adone, avec l'état d'esprit qui dû régner sur sa création. Emotion, sensibilité et enthousiasme sont les maîtres mots qui président ici.

 

2 CD Alpha - Alpha 184 - Durée CD1 : 57'56'' - CD2 : 74'13''

Code barre : 3 760014 191848

 

Pour suivre l'actu des Scherzi Musicali

Pour vous procurer ce CD chez Outhere

 

 

  Une interview de Nicholas Achten :


 

 

 

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Venise, une songe baroque pour aimer à la folie

10 Février 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

Marc MauillonIsabelle Druet - Marc Mauillon

Angélique Mauillon, Harpe - François Guerrier, Clavecin - Le Poème Harmonique

Opéra Comique, le 9 février

 

Voici que se terminent les représentations de l'Egisto de Cavalli à Paris et par la même occasion le festival que l'Opéra Comique proposait autour de cette oeuvre vénitienne, pur joyau qui aura enchanté notre hiver glacial de mille et un reflets.

 

C'est un récital "Autour de Venise, berceau de la musique italienne", avec deux des chanteurs d'Egisto, - Marc Mauillon qui en tient le rôle titre avec oh combien de panache et Isabelle Druet qui en est une bouleversante Climène) qui en refermait cette semaine si intense en découvertes.

 

Ils étaient accompagnés de deux musiciens du Poème Harmonique, Angélique Mauillon à la harpe et François Guerrier au Clavecin. Le programme était composé de cantates sacrées et de madrigaux, illustrant la vie musicale qui animait les églises et les salons à cette époque de grande effervescence, où y naît l'opéré public, dans la première partie du XVIIe siècle.

 

Les compositeurs retenus en dehors des Caccini père et fille, ont tous participé de près ou de loin à la création de cet opéra public et à cette vie musicale au coeur de la Sérénissime : de Claudio Monteverdi à Pier Francesco Cavalli, à Tarquinio  Merula en passant par Barbara Strozzi et Benedetto Ferrari. C'est aux Caccini, et tout particulièrement à Giulio le père, que nous devons tout simplement les réflexions sur la monodie accompagnée, qui furent à l'origine de l'opéra, à Florence, au tournant des XVIe et XVIIe siècle. Il participa aux travaux d'une académie, la Camera Bardi, qui en quête d'un retour à l'idéal de la tragédie grecque, étudia les rapports étroits entre la poésie et la musique. Il composa ce qui passe pour le premier opéra de l'histoire en 1600 : Euridice.

 

Nous avons vécu grâce à deux artistes des instants de pure poésie musicale. Les choix des pièces interprétées, y compris pour la harpe de Giiovani Maria Trabaci et pour le clavecin de Girolamo Frescobaldi, composait un harmonieux équilibre permettant à chacun de nous d'être ravi loin du quotidien, dans un univers onirique et parfois si cruel, aux sombres beautés. Le texte et la musique nous y disent combien l'amour n'est jamais qu'un jeu de dupes, entre songe au dolorisme sensuel et lumière d'un sourire, ou d'un rire qui vient ranimer la flamme.

 

Marc Mauillon une fois de plus y révèle combien son timbre unique parvient à colorer)les affects. Poignant et charmeur, insolent et moqueur, il est un acteur et un baryton aux multiples facettes. Son phrasé et sa projection si intense dans "Dormo ancora" de Claudio Monteverdi ou dans "Qual Vision l'alma m'abbaglia ?" de Pier Francesco Cavalli, lui permettent de nuancer ce rêve où se révèle la fragilité des héros. Les mots qu'il murmure nous étreignent dans toute la puissance des tourments qu'ils dévoilent. IsabelleDruet-bio-web

 

Isabelle Druet est une tragédienne dont aussi bien le jeu, que le timbre, aux graves déchirants et aux aigus si fulgurants, nous chavirent dans le "L'agrime mie" ou le "Voglio Morire", tous deux de Barbara Strozzi.

 

Tous deux se jouent du recitar cantando avec une technique parfaite. les duos fonctionnent à merveille. La complicité entre les deux chanteurs leur permet de nous offrir des instants espiègles aux charmes mutins, comme dans ce bis aux éclats de rire aussi fous que l'amour : "Folle è ben" de Tarquinio Merula.

 

A la harpe, Angélique Mauillon offre grâce et volupté, déchirements et larmes, tandis que François Guerrier au clavecin est lumière et énergie.

 

  © Caroline Doutre

 

Entre ombre et lumière, l'amour est ici folie et désenchantement, jeu cruel et songe trompeur mais sans lequel on ne sait vivre.

 

Un superbe récital tout en émotion, dont on espère qu'il pourra être redonné. La splendeur de la musique vénitienne nous a ici été révélée par des artistes de coeur.

 

Par Monique Parmentier

 

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Egisto, un songe baroque

5 Février 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

EGT 120128 172 Ana Quintans, David TricouEn ce dimanche après-midi glacial la nouvelle production du Poème Harmonique, Egisto de Pier Francesco Cavalli a permis au parisien d'échapper aussi bien aux effets du vent d'hiver, qu'aux soucis du quotidien.

La petite chaconne malicieuse qui ouvre l'Acte III de cet Egisto est là pour nous rappeler que depuis sa création par Vincent Dumestre cet ensemble nous conte des songes musicaux en étant fidèle à un répertoire rare de ce précieux XVIIe siècle qui avec eux semble appartenir à un temps de légende. Le Poème Harmonique ensorcelle à chaque fois nos coeurs, en nous délivrant le temps d'un concert de toutes nos peines.

Une fois de plus, Vincent Dumestre et Benjamin Lazar ont réussi à trouver l'alchimie juste qui transforme une oeuvre retournée au néant du papier et du temps, en un pur joyau enchanteur.

Quant à la petite chaconne, elle avait été enregistrée en 2001 par Vincent Dumestre dans le disque Il Fasolo dédié à celui qui créa l'opéra public à Venise, Francesco Manelli. « Accesso mio corre », nous contait l'histoire d'une belle cruelle qui fait souffrir un cœur ardent. Et c'est tout le thème de cet Egisto, avec lequel Vincent Dumestre et Benjamin Lazar nous reviennent. Petit clin d'oeil, qui nous montre combien tous deux sont passés maître dans cet art de l'illusion et des apparences, cette « apologie du mensonge » qu'est l'art baroque par excellence, l'opéra vénitien des origines... à moins que ce ne soit l'Amour ?
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Pour que la magie existe, aujourd'hui comme au XVIIe siècle, il a fallu réunir des moyens et une troupe. La coproduction mise en place entre le Poème Harmonique, l'Opéra Comique à Paris et l'Opéra de Rouen et un certain nombre de mécènes, reflète parfaitement ce qui était déjà indispensable dans la Venise du XVIIe siècle pour que la création artistique puisse exister. Elle est le fruit d'une économie qui aujourd'hui à Paris comme hier dans la Sérénissime invente sans cesse, créant de nouvelles sources de richesses et d'emplois.

Ma chronique de la première paraîtra prochainement sur Anaclase. Mais une chose est certaine je ne peux que vous recommander de vous précipiter pour voir ce spectacle. Tout y est superbe, des costumes d'Alain Blanchot, dont l'élégance et la féerie n'est pas sans nous rappeler ceux de la Belle et la Bête de Jean Cocteau, aux maquillages et aux coiffures de Mathilde Benmoussa qui participe à la luxuriance du spectacle ; le décor tournant d'Adeline Caron qui nous transporte dans un monde au charme intemporel entre antique et pastoral, entre les cieux et les enfers ou hommes et dieux gravitent et où les esprits s'égarent ; enfin les magnifiques lumières de Christophe Naillet suggèrent ce feu qui consume les âmes et caresse les visages et les mains, même si certains ont pu regretter la faiblesse de cet éclairage, il est un élément clé de la mise en scène.

 

Et cette mise en scène de Benjamin Lazar est pure poésie, elle se joue des courbes, de l'élégance du mouvement, fait vivre la flamme qui tel un poignard peut blesser à mort, mais aussi caresse les ombres. La fluidité de la gestuelle baroque que chaque chanteur maîtrise parfaitement fait de chaque mouvement un instant de beauté d'une fluidité absolue. Tout ce travail, sur le geste, l'éclairage semble s'intégrer à un cosmos où l'harmonie règne sans que la violence des sentiments ou la douleur ne puissent la briser. Mais ici, contrairement à Cadmus et Hermione, l'esprit italien règne et libère bien plus les corps que dans l'art français, on se touche, on se désire, on le dit, on le chante, on l'exprime.

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Quant à la distribution elle offre à chaque rôle plus qu'une voix, une vie dont le cœur bat. Marc Mauillon dans le rôle d'Egisto est tout simplement remarquable. Son timbre d'ombres et de lumières fait d'Egisto un être vulnérable, tout descendant d'Apollon qu'il soit. Sa grande souplesse vocale et sa présence scénique saisissante nous  bouleverse dans les scènes de folie.

Claire Lefilliâtre au timbre moiré et aux ornementations si délicates fait de Clori une ingénue cruelle mais si charmante tandis qu'Isabelle Druet est une Climène tendre et si humaine, dont la douleur nous embrase dans son lamento à l'acte II. Anders J. Dahlin est un Lidio volage, léger et séduisant. Ana Quintans dans les rôles d'Aurora et d'Amore, quant à elle, irradie sur scène. Tout le reste de la distribution s'est révélé aussi séduisant, mais nous noterons en particulier l'Hipparco si généreux tant vocalement que scéniquement de Cyril Auvity.

 

 

Vincent Dumestre a adapté Egisto a partir du matériau existant : une partition à cinq parties pour les symphonies, les ritournelles et certains airs. Il apporte par l'intermédiaire du Poème Harmonique, des couleurs fastueuses, sensuelles et incandescentes à cette musique. Entre la harpe céleste et le lirone si poignant, les théorbes, guitares, clavecins et flûtes chantent l'Italie, avec une passion toute onirique.

Et parce que nous sommes au théâtre dans l'air final d'Egisto et de Clori, l'hommage de Cavalli à son maître nous a atteint telle une flèche d'Amore.  T'abbracio, ti strigo, tigodo », n'étant pas sans rappeler « Pur ti miro » du Couronnement de Poppée. Ainsi Cavalli serait donc bien l'auteur de ce final à la sensualité si impudique.

 

Egisto est un songe vénitien dont on souhaite qu'il enchante nos nuits encore longtemps.

 

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Par Monique Parmentier

 

Après Paris et Rouen, Luxembourg aura l'année prochaine la chance de découvrir cette très belle production, espérons que par la suite elle tournera.

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Un instant d'éternité

4 Février 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

bourgeois4.pngQuel bonheur se fut de retrouver la troupe du Poème Harmonique au Grand Théâtre de Reims lors de cette reprise du Bourgeois Gentilhomme ! C’est un de mes plus beaux souvenirs de théâtre Une salle comble obligeant le Théâtre de Reims à refuser du monde, y vécu certainement le même rêve que celui que j’y ai connu. Dans cette magnifique salle à l’acoustique généreuse et chaude, cette soirée fut un instant de très grand bonheur. Lorsqu’en 2004, la production du Bourgeois Gentilhomme du Poème Harmonique est née, l’esthétique retenue par Vincent Dumestre et Benjamin Lazar, a de suite acquise l’adhésion de tous, dont la critique qui pour une fois ne s’en est pas prise au français dit restitué, utilisé ici. Mais invité à retrouver son âme d’enfant, le public fut à jamais séduit par cette redécouverte du sens d’une œuvre et ainsi de son étrange modernité. Associant au théâtre la musique et la danse, elle donne et invite à nouveau à rêver sur cette mélancolie des sentiments et ce rire aux larmes, qui donne à la vie toute sa valeur. Cinq ans après sa création, ce Bourgeois n’avait pris aucune ride, au contraire la maturité que ce spectacle et ces interprètes avait acquise, nous montre combien ce travail de troupe sur la durée voulue par Vincent Dumestre est si «provocateur» qu’il crée un lien sacré entre le public, la fosse et la scène. La mise en scène de Benjamin Lazar est une splendeur. Elle associe l’éclairage à la bougie, les costumes chatoyants et d’une simplissime beauté d’Alain Blanchot, la poésie de cette langue du conte et de la gestuelle baroque qui fait de chaque déplacement un pas de danse, et de chaque mot une note. Elle nous redonne ainsi à voir et à entendre la dernière des comédies ballets de Lully. Entre acteurs, danseurs, chanteurs et musiciens, la complicité est telle que tout y est d’un naturel bouleversant. Le texte de Molière y danse comme la flamme des bougies. Il danse de ses ombres qui pourraient être tragiques tant l’humaine folie de Monsieur Jourdain, pourrait d’un rien basculer. Olivier Martin Salvan y montre dans ce rôle un art accompli d’un funambuliste touchant proche de la folie ordinaire. Mais les comédiens se jouent du rire. S’il est parfois provoqué par des situations, des gestes, des chutes, il n’est jamais facile et toujours d’une grâce confondante. Le rire y devient une émotion impalpable et irréelle. Ainsi, le philosophe de Benjamin Lazar, dont l’élégance sur scène et l’éloquence sont les armes du poète, qui se jette si tendrement dans les bras de Monsieur Jourdain. bourgeoisres.pngOu l’Arlequin de Julien Lubek qui allie la souplesse du danseur à la beauté mélancolique du mime lorsqu’il se jette à son tour dans ceux de l’Italienne avec la légèreté inouïe d’une bulle d’air. Enfin le dialogue de Vincent Dumestre et d’Arlequin, tous deux à la guitare, provoque un enchantement sonore et visuel, le rire nous y étreint dans ce qu’il a de plus subtil. La langue, ce français restitué est une musique à la fois gourmande, qui fait de la scène du repas un délice d’imagination, et exotique comme dans la turquerie si chatoyante. Elle nous donne à entendre l’ivresse et le chagrin des cœurs. Dans la première partie, les dialogues entre les comédiens et le théorbe à la luminosité mélancolique de Massimo Moscardo et la viole de gambe aux draperies moirées de Silvia Abramowicz, soulignent la musicalité des mots. Ces mots qui arrivent même alors que l’orchestre ne joue pas à nous en faire percevoir la flamme qui ne s’éteint jamais. Les musiciens du Poème Harmonique et de Musica Florea multiplient les couleurs à l’infini. Leur palette fait revivre tous les peintres baroques. Les ombres surgissent des cordes, les velours des bassons, le chant du monde pastoral des hautbois ou de la cornemuse… L’onde s’en écoule comme le sang dans les veines, et semble ne faire battre qu’un seul cœur. La chorégraphie de Cécile Roussat(qui co signe la mise en scène comme dans la Turquerie…) en est le courant gracieux et vif. Les chanteurs que ce soit dans l’air du Grand Mamouchi, tellement enlevé, ou dans le trio de la pastorale «qu’il est doux d’aimer», ou dans les intermèdes de la fin, nous montrent combien la maturité acquise au cours des tournées du Bourgeois, est au profit de l’équilibre et de la plénitude. Claire Lefilliâtre, dans l’air de l’italienne y révèle une souplesse dans les graves, qui donne à son timbre une profondeur qui fait de son air un instant d’éternité. On pourrait ainsi continuer pour tenter de n’oublier personne et tenter vainemEgisto.pngent de décrire l’émotion qui nous étreint quand les «dieux, même les dieux», ne peuvent prolonger ce songe, où ombres que nous sommes nous aimerions rester. Le bonheur partagé ainsi a valu un triomphe à l’ensemble des interprètes du Poème Harmonique. Alors n’hésitez pas, si vous l’avez déjà vu ou ne l’avez jamais vu, ce Bourgeois Gentilhomme vous invitera au bonheur. Depuis ce 16 mai 2009, il y a eu d’autres reprises. Et la dernière de ce spectacle qui a tant tourné a eu lieu à Madrid (le public toulousain ayant bénéficié de la dernière française). D’autres productions ont vu le jour, dont Cadmus et Hermione de Lully prolongeant le travail sur les comédies –ballets de Lully par la découverte de la première tragédie de Lully. le 21/01/2008 et Egisto de Cavalli en février 2012, deux merveilles absolues, deux enchantements baroques.
 
Par Monique Parmentier pour Resmusica
 
Crédit photographique : © DR Poème Harmonique
 
Cadmus et hermioneReims, Grand Théâtre de Reims. 16-V-2009. Molière (1622-1673) et Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Le Bourgeois Gentilhomme, comédie-ballet. Mise en scène : Benjamin Lazar ; Chorégraphie : Cécile Roussat. Avec : Olivier Martin Salvan, Monsieur Jourdain ; Nicolas Vial, Madame Jourdain ; Louise Moaty, Lucile ; Benjamin Lazar, Cléonte / le maître de philosophie ; Anne Guersande Ledoux, Dorimène ; Lorenzo Charoy, Dorante/ le maître d’armes ; Alexandra Rübner, Nicole / le maître de musique ; Jean-Denis Monory, Covielle / le maître tailleur ; Julien Lubek, Le maître à danser. Chanteurs : Arnaud Marzorati, le Mufti / le vieux bourgeois babillard / l’élève ; Claire Lefilliâtre, la musicienne / la femme du bel-air / l’Italienne ; François-Nicolas Geslot, le premier musicien / la vieille bourgeoise babillarde / un Espagnol / un Poitevin ; Serge Goubioud, un Gascon / un Poitevin / un chanteur ; Davide Ghilardi, un Gascon / un chanteur ; Emmanuel Vistorky, un Espagnol / l’homme du bel-air / un chanteur ; Arnaud Richard, l’Italien / le Suisse ; Le Poème Harmonique, Orchestre Musica Florea. Direction musicale et guitare baroque : Vincent Dumestre
 
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Egisto, un tableau vénitien à voir absolument

2 Février 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

En attendant ma double chronique, une pour Anaclase et celle pour mon blog, les deux en cours de rédaction, voici quelques tableaux (photos) de ce magnifique spectacle qui hier soir à redonner de la magie à l'hiver...

 

Que les artistes et tous ceux qui ont permis (en particulier l'Opéra Comique à Paris et l'Opéra de Rouen et les mécènes du Poème Harmonique) cette re-création d'un opéra vénitien dans toutes sa splendeur en soient mille fois et plus remerciés.

 

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© Pierre Grosbois.

 

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© Pierre Grosbois.

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