A cleare day : fascinante fantaisie d'un ciel changeant
A cleare day - Pieces from the Fitzwilliam Virginal Book
Kenneth Weiss - Sur Virginals, Flemish & italian Harpsichords
1 CD Satirino records
Le Fitzwilliam Virginal Book est pour les interprètes des instruments à claviers anciens, - Gustav Leonhardt ou Tom Koopmann ainsi que plus récemment Bertrand Cuiller en ont livré leur lecture-, un "grimoire" fabuleux, où ils peuvent puiser autant de perles précieuses pour nous enchanter en récital, que ce soit en concert ou au disque. Le répertoire que couvre ce manuscrit appartient à la fin de l'époque élisabethaine et au début du règne des Stuart. Son histoire nimbée de mystères, est le prélude de ses charmes innombrables. S'il doit son nom à un riche philanthrope du XIXe siècle, Robert Fitzwilliam qui en fit don au Musée qui porte son nom à Cambridge, il existe bien des incertitudes et des traditions poétiques concernant son ou ses transcripteurs. Il contient au total plus de 200 pièces pour clavier, dont si certaines sont anonymes, la majorité sont attribués à des compositeurs anglais - John Dowland, William Byrd, Orlando Gibbons,...- qui participèrent activement et parfois avec toutes les difficultés que l'on sait en raison des guerres civiles et de leurs conséquences, à la vie musicale anglaise.
Il s'agit ici d'un enregistrement live d'un concert ayant été donné au festival d'Hardelot en 2010. Kenneth Weiss a composé son programme avec intelligence et harmonie, nous offrant de nous abandonner à l'enchantement que procure une musique précieuse et virtuose, destinée au plaisir et à la sociabilité. D'autant plus que ces "morceaux choisis" nous permettent de savourer la luxuriance des couleurs et la profondeur des climats qu'offrent les trois instruments sur lesquels le virginaliste/claveciniste se présente au public.
Le charme envoûtant de ce Cd (et des concerts qui en furent à l'origine) tient donc tout à la fois de ce répertoire somme toute "modeste" et trop souvent oublié par les maisons de disques et à une interprétation élégante et élégiaque. Kenneth Weiss y dépasse une technique sans faille pour mieux dessiner des univers aux caractères affirmés et tendres, où se dessinent une nostalgie galante, qui anime vie de cour ou salons mondains, et où parfois dans l'intimité une reine flamboyante, -comme le musicien aujourd'hui-, s'autorise à vivre ou à nous faire ressentir la grâce de l'instant.
La prise de son irréprochable qui gomme les incidents du direct, la clarté du jeu, la lisibilité du contrepoint, une ductilité étincelante, sont sources d'une émotion indicible, où la fantaisie musicale rejoint celle d'un ciel changeant et les mille et un reflets de la lumière sur les eaux et les feuillages.
Il faut souligner la présentation simple et soignée de la pochette et du livret du CD.
La musicalité de Kenneth Weiss fait de lui un interprète idéal de l'âge d'or de la musique élisabéthaine. Après ce premier enregistrement sorti en 2011, une suite a été gravée par le claveciniste sur laquelle je reviendrais vers vous prochainement.
Par Monique Parmentier
1 CD Satirino records - Live - Enregistré au Centre Culturel de l'Entente Cordiale - Château d'Hardelot - Midsummer Festival, 19 & 20 juin 2010 - Durée : 63'35 - Ref SR111 - Code Barre 3 760061 190 115
Italian Virginals by Jean- Luc Wolfs-Dachy (Happeau-Lathuy/Belgique, 2006 d'après Alessandro Belotti (Vérone 1585)
Single manual Flemish harpsichord by Marc Ducornet (Paris, 2005) d'après Johannes Ruckers (Anvers, première moitié du XVIIe siècle) ; Italian harpsichord by Marc Ducornet (Paris, 2007) d'après C. Grimaldi (Messine, 1697)
Droits photographiques : Kenneth Weiss à Hardelot © Festival d'Hardelot
Trianon de porcelaine
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C'était un petit château à l'orée de la forêt... Un petit château destiné à abriter les amours d'un roi pour une dame aussi belle qu'ensorcelante mais pas sans danger.
C'était un petit château de porcelaine dont le luxe intérieur égalait les senteurs de ses jardins de Flore. D'ailleurs à l'époque, on l'appelait le château de Flore.
C'était un petit château de bleu et de blanc, couleurs des rois de France dont la fragilité causa sa perte.
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Aujourd'hui, il ne nous en reste que quelques gravures, quelques "porcelaines" (en fait des faïences) souvent brisées que parfois encore lors de promenades dans les jardins du Grand Trianon, si l'on sait observer on trouve quelques éclats.
Voici donc ce petit château qui appartient désormais à un Versailles disparu, dont le charme et la douceur, n'avaient d'égale que le bonheur d'y séjourner. Ce petit château qu'aujourd'hui l'on nomme le "Trianon de Porcelaine" appartenait à un Versailles dont les secrets, nous mènent sur les chemins du baroque, en un temps où le classicisme n'avait pas encore tout écrasé de son poids d'absolutisme.
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Je vous raconterais donc ici son histoire.... Je vous invite pour cela à me suivre au-delà de l'horizon... Dans un monde qu'il vous faut imaginer aux couleurs aussi vives qu'un Printemps naissant.
Sur ce tableau de Pierre Patel qui date de 1668 regardez bien la perspective... Suivez la ligne d'horizon... Et si vous observez bien, aucun des deux bras du Grand Canal n'est encore creusé. Sur votre droite, à l'emplacement du Grand Trianon que vous connaissez aujourd'hui, vous pouvez apercevoir, le clocher d'une église, quelques maisons... Et la forêt... et oui droit devant vous, l'horizon est libre de partout, l'emprise des hommes sur les paysages est encore respectueuse.
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C'est en cette année 1668, que Mme de Montespan, la très belle et envoûtante Athénaïs devint la maîtresse de Louis XIV.
Deux ans plus tard, ils chercheront un refuge, un lieu où se retirer loin des fracas des travaux permanents du château, de la chaleur de l'été, et vivre leur passion dans un endroit raffiné offrant plus d'intimité. "Ce petit Palais d’une construction extraordinaire, et commode pour passer quelques heures du jour pendant le chaud de l’Esté"
Le vieux village de Versailles résistera un peu plus longtemps (d'ailleurs si vous regardez bien à gauche sur le tableau de Patel, on aperçoit encore - sur ce qui deviendra l'emplacement du Grand Commun- l'église Saint Julien) que le petit village de Trianon... Et c'est ainsi que notre petit château de "porcelaine" va surgir comme par enchantement de la forêt.
Il fut construit à partir de 1670 sur les plans de Louis le Vau (1612-1670) qui mourut cette année là et c'est son gendre François d'Orbay qui l'acheva. Tandis que s'édifiait ce petit château, Michel Le Bouteux, jardinier fleuriste, neveu de le Nôtre, traçait et plantait le jardin.
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Il nous reste un témoignage (si ce n'est le seul, l'un des très rares) de l'émerveillement que produisait ce lieu sur ceux qui le connurent. Nous le devons à Félibien, historiographe du Roi (1619 - 1695) :
"Car n'ayant esté commencé qu'à la fin de l'hyver, il se trouva fait au Printemps comme s'il fust sorty de terre avec les fleurs des jardins qui l'accompagnent & qui, en mesme temps parurent disposez tels qu'ils sont aujourd'hui, & remplis de toutes sortes de fleurs, d'orangers et d'arbrisseaux verts. ... L'on pourroit dire de Trianon, que les Graces & les Amours qui forment ce qu'il y a de parfait dans les plus beaux & les plus magnifiques ouvrages de l'Art, et mesmes qui donnent l'accomplissement à ceux de la Nature, ont esté les seuls architectes de ce lieu & qu'ils en ont voulu faire leur demeure".
Ainsi Trianon dès sa naissance est avant tout un palais dédié à Flore, à la sensualité des parfums et à l'amour.
Dans ce palais de Flore, on trouvait un pavillon qui nous montre combien ce lieu était avant tout dédié au jardin : le Cabinet des Parfums. Il s'agissait probablement d'une serre, contenant des fleurs (des tubéreuses, des lys et du jasmin) que l'on protégeait en hiver, mais destinée à la visite.
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Voici un plan de l'intérieur du Trianon de "porcelaine" : Robert Danis, La Première Maison royale de Trianon : 1670-1687, Paris, Albert Morancé, 1926
Il n'existe actuellement qu'un seul meuble aujourd'hui connu de ce Trianon : une petite table en ivoire et lapis-lazuli attribuée à l'ébéniste Pierre Gole. Elle se trouve actuellement, à Los Angeles (et oui) au Musée Paul J. Ghetty, elle ne peut que vous donner une idée de la délicatesse de ce lieu unique.
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Une estampe de Nicolas de Poilly qui est à la BNF au Cabinet des Estampes, réalisée à l'époque où le Trianon de Porcelaine existait, c'est- à-dire durant la seconde partie du XVIIe siècle, nous donne une idée de l'apparence extérieure des bâtiments, lorsqu'on arrivait depuis le château dans ce joli petit pavillon, composé de plusieurs bâtiments.
Le "Trianon de porcelaine", ne doit pas cette dénomination moderne à une quelconque confusion quant à matière de ces plaques décoratives de faïences et non de porcelaines. Au XVIIe siècle, les occidentaux ne savaient pas encore produire cette dernière, qui arrivait de Chine. Ils mirent donc au point des techniques pouvant l'imiter.
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Ce Trianon que nous disons de porcelaine, doit en partie son nom aux couleurs dominantes de bleu et blanc qui le recouvraient en partie. Peu d'articles lui ont été consacré. Celui qui nous donne le plus de précisions sur ce que nous savons aujourd'hui le concernant, a été écrit par Madame Annick Hetzmann (Documentaliste au Services des plans et archives du château de Versailles) dans le Versalia n°8 (revue publiée par la Société des Amis de Versailles). En fait, ce petit château n'a que peu été représenté, peu renseigné. Ce sont essentiellement grâce aux Comptes des Bâtiments du Roi qui sont aux Archives Nationales que nous connaissons l'origine des faïences utilisées. Essentiellement de Hollande et de Lisieux, avec des éléments provenant de Saint-Cloud (mais en fait peut-être importés de Hollande par la fabrique) et de Rouen.
Tout le château n'en était probablement pas recouvert et la "porcelaine" doit également et surtout son nom à des techniques de peintures, réalisées dans des tons bleus et blancs, à l'imitation de la porcelaine chinoise. Tout laisse à penser que la toiture par exemple était peinte, tout comme à l'intérieur les décors sur stuc, ainsi que celui des portes et à l'extérieur, les grilles des volières, les vases en cuivre sur les combles ou ceux disposés sur les gradins des cascades.
En revanche, l'on sait que les faïences disposées dans des cadres de bois participaient aux décors aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Félibien, l'historiographe de Louis XIV, tout comme les comptes du Roi, nous apprennent que dans le salon, pavements et lambris en bénéficiaient. Il s'agissait pour les trois pièces centrales des carreaux bleus et blancs de Hollande, tandis que les deux cabinets étaient carrelés en violet. D'après l'inventaire du mobilier, Madame Annick Hetzmann, nous apprend que le mobilier du salon et des deux chambres étaient quant à lui fait de "bleu gris lin". Ce que nous confirme la petite table au Ghetty actuellement. Les jardins n'étaient donc pas en reste et outre des vases en faïences bleue et blanche, il fut ajouté en 1682 et 1683, deux cascades (voir estampe de Nicolas de Poilly), constituées de gradins, situées en vis-à-vis, à l'extrémité chacune d'une même allée. Plusieurs carreaux furent utilisés pour leur décor, mais dont on ignore avec précision la couleur et la provenance.
Sources :
- Article de Madame Annick Heitzmann - Trianon : la place de la faïence dans le château de porcelaine. Versalia N° 8 de 2005
- Félibien, Description sommaire du château de Versailles, 1674
- Jérémie Benoit (conservateur en chef des Trianons) : Un palais privé à l'ombre de Versailes
- Collectif, château de Faïence, XIVe - XVIIIe siècles, Marly-le-Roi, éd. Musée Promenade de Marly-le-Roy, 120 p., cat. exp. Musée-Promenade de Marly-le-Roi/Louveciennes, 9 oct - 10 déc 1993
- Forum Connaissances de Versailles
Illustrations : bases de données RMN/Château de Versailles - Photographie personnelle des faiences retrouvées exposées au Grand Trianon pour les "Les fleurs du roi" du 2 juillet au 29 septembre 2013. Je découvre ce jour (20 janvier 2018 que ce blog http://thisisversaillesmadame.blogspot.fr/2016/12/trianon-de-porcelaine.html c’est permis de copier tout mon dossier et ma photo des porcelaines, cela est d’une rare grossièreté et malhonnêteté),
Scherzi musicali : la lyre d'Orphée
Henry Purcell (1659-1695) - How pleasant 'tis to Love
Scherzi Musicali - Nicolas Achten
Reinoud Van Mechelen - ténor
Après plusieurs enregistrements consacrés au répertoire baroque italien, c'est avec un programme anglais que nous reviennent les Scherzi Musicali et leur talentueux jeune chef, Nicolas Achten.
Eux qui nous ont permis de redécouvrir tout un pan du répertoire baroque italien, tel l'Euridice de Giulio Caccini chez Ricercar ou la Catena d'Adone de Domenico Mazzocchi chez Alpha, prennent le risque de nous proposer aujourd'hui un programme ayant fait l'objet de très nombreux enregistrements, les songs d'Henry Purcell.
Les airs chantés sont donc pour l'essentiel tirés des deux volumes de l'Orpheus Britannicus. Ces albums posthumes furent publiées peu de temps après la mort du compositeur par sa veuve. Extraits de sa musique de théâtre (Fairy Queen, King Arthur, Indian Queen, Oedipus, Bonduca, The Tempest,...), elle se prête ici à une version intimiste, où les voix murmurent accompagnés d'instruments. La musique devient ainsi une conversation sensible, diaphane, actrice à part entière, où "la flûte amoureuse et la douce guitare" sont un cœur qui bat et une âme qui s'épanche.
Pour se démarquer de versions dont certaines font références auprès de tous les amateurs d'opéra et partager avec leur public "notre amour de la musique", Nicolas Achten, joue sur deux aspects. Les voix tout d'abord. Il renonce aux contre ténors qui depuis Alfred Deller en ont fait leur cœur de répertoire, mais également aux voix féminines que l'on peut avoir l'habitude d'entendre, en particulier, dans "Let me weet".
C'est en compagnie du Ténor Reinoud Van Mechelen, que le jeune chef/théorbiste belge, lui - même baryton, interprète ces airs du plus célèbre compositeur anglais, Henry Purcell. Parce qu'il est musicien tout autant que chanteur, il peut ainsi également se démarquer des versions précédentes des songs, par un choix soigné d'un instrumentarium d'une grande diversité. S'appuyant tout aussi bien sur certains textes chantés qui célèbrent la musique, tel "Strike the viol, touch the Lute" ou sur "In vain the am'rous Flute", que sur les notes figurant sur le recueil de l'Orpheus Britannicus et sur les écrits du musicologue Tom Mace, Nicolas Achten, nous propose ici une version très personnelle des songs. Entrelacants les couleurs vocales et instrumentales, pour mieux saisir les reflets et les ombres, il nous invite à oublier le réel, pour mieux se laisser séduire par l'onirisme de l'univers de Purcell.
Le résultat de cet enregistrement possède un charme indéniable. Ici tout semble couler de source et l'on se laisse envoûter par la beauté sonore d'un univers tout à la fois tendre et féerique, nimbé d'une douce mélancolie, mais où certains pourront toutefois regretter cette absence de voix aiguës. Si le timbre sombre de Nicolas Achten peut surprendre, la souplesse vocale et une diction soignée, nous permettent de découvrir dans la douce pénombre, cet art unique de transformer le chagrin en un instant de sérénité et d'apaisement. "O Solitude", qui se poursuit d'ailleurs par une Allemande au Virginal, est ainsi une grande réussite. Instant de grâce infini, où les larmes qui s'écoulent s'échappent par des notes cristallines. Quant au jeune ténor/haute-contre Reinoud Van Mechelen (que nous venons d'entendre dans les Indes Galantes au Festival de la Chabotterie), il nous enchante tant par son timbre solaire, que par sa diction soignée. Il nous donne à ressentir des sentiments à fleur de peau. Son interprétation tout en nuances élégantes fait de chaque air une pièce de théâtre, où l'amour et la vie se jouent pour le plaisir.
Les instruments parfaitement choisis, nous révèlent cette beauté unique de ces instants d'éternité aux parfums subtiles. Les couleurs des flûtes, théorbe, guitare baroque, harpe triple et virginal participent à ce sentiment de tendres échanges, dont l'amertume n'est certes pas absente, mais où en une pirouette l'acteur/chanteur/musicien retourne la douleur des passions, en un bonheur idyllique, où les "tristes sentiments" n'existent que pour mieux séduire l'objet de ses tourments.
Un CD que je ne peux que vous recommander, tant son charme est un plaisir. Le livret écrit par Nicolas Achten vous permettra de mieux percevoir sa démarche artistique. Quant à la prise de son naturelle et équilibrée, elle donne à chacun sa place, dans une représentation intimiste du théâtre des soupirs.
Par Monique Parmentier
1 CD Alpha - Scherzi Musicali - Nicolas Achten ; Reinoud Van Mechelen, ténor. Durée : 73'57- Enregistré du 1er au 4 août 2012 à Flagey, Bruxelles (Belgique) ; Réf : Alpha 192 ; Code barre : 3 760014 191923 - Livret en français et anglais