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Le blog de Susanna Huygens

Les Danaïdes : A l'aube du romantisme, une tragédie lyrique crépusculaire

30 Novembre 2013 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

essai_plafond_opera.jpgJe sais que certains pourraient être surpris de découvrir que je me suis rendue à l'Opéra Royal, pour découvrir une œuvre post-baroque. Mais j'avoue que parfois la gourmandise vous réserve de bonnes surprises. Du quartier Drouot, - vous savez celui des antiquaires et des passages romantiques -, à Salieri, les voies du hasard sont impénétrables et ne manquent pas d'humour. Et puisqu'il – s'il existe vraiment - fait bien les choses, j'ai donc pu en cette soirée du 27 novembre entendre une tragédie lyrique qui ne manque pas d'intérêt et de feu et qui attisait ma curiosité. Je n'en dirais pas plus, mais que celui qui m'a offert une invitation en soit remercié.

Ce n'est pas une œuvre inconnue des amateurs d'opéra que nous offrait ce soir dans le cadre de sa saison le Centre de musique baroque de Versailles en partenariat avec le Palezzetto Bru Zane. Il en existe au- moins deux versions en CD. Les Danaides de Salieri n'appartiennent plus au répertoire baroque à proprement parlé. Mais l'intérêt de ce partenariat, c'est de nous permettre d'entendre en version concert, cet opéra français, pont entre un style français des lumières lui même issu de la tragédie lyrique baroque, et un romantisme naissant, à la recherche d'un style aux ascendances particulièrement marquées ici.

Danaides_Waterhouse_1903.jpgCréées à Paris, le 17 avril 1784, les Danaïdes furent composées par Antonio Salieri. Elles furent à l'origine commandée à Gluck, qui sollicita le librettiste Calzabigi qui lui fournit un livret en italien. Mais par manque de temps, Gluck préféra confier à son élève Antonio Salieri, le soin de poursuivre le projet.

Ce dernier d'origine italienne avait été remarqué par le maître de la chapelle de la cour de Vienne Florian Leopold Gassmann, alors qu'il étudiait la musique à Venise. Il vint alors s'installer dans la capitale autrichienne où il rencontra Gluck.

Cette tragédie lyrique, dont le livret fut finalement réécrit par François Bailly du Roullet et Louis Théodore Baron de Tschudy, représente parfaitement le « grand  genre » né à l'orée du règne de Louis XVI et de Marie-Antoinette, puisant ses sujets dans la tragédie classique du siècle précédent.

Les-Talens-Lyriques--Christophe-Rousset-Christophe-Rousset-.jpgChristophe Rousset qui est en passe de devenir l'un des grands spécialistes de l'interprétation de la musique pré-romantique française s'est attaché ce soir à faire briller la musique d'un homme qui fût un excellent compositeur, capable tout en en utilisant le style de son maître, de s'en détacher pour créer une œuvre originale. Alors que victime d'un malentendu, lié au cinéma qui repris le thème d'une pièce de Poutchkine qui faisait de lui l'assassin de Mozart, Salieri ce soir s'est vu rendre justice par des musiciens de grand talent. Et s'il n'a pas le génie du compositeur salzbourgeois, il n'en a pas moins composé, des œuvres d'un très grand intérêt, comme ces Danaïdes.

Judith-van-Wanroij.jpgPeu de personnages ici, une tragédie centrée sur le dilemme tragique auquel se trouve confrontée Hypermestre, la fille d'un roi sanguinaire, qui cherche à sauver celui qu'elle aime. Son père Danaüs souhaite se venger des fils de son frère défunt, Egyptos. Il organise donc les noces de ses filles (les Danaïdes) avec les fils de ce dernier et à la faveur de la nuit de noces demande aux Danaïdes de massacrer leurs époux. Seule Hypermestre qui aime son tendre Lyncée ne peut s'y résoudre. Elle seule résiste à son père et parvient à sauver l'homme qu'elle aime. Mais la tragédie finit par une scène aux enfers d'une rare violence pour l'époque.

Dès l'ouverture, Les Talens Lyriques sous la direction chatoyante de Christophe Rousset, se sont montrés extrêmement brillants. La munificence de la composition de l'orchestre permet des effets incroyablement tragiques et des nuances d'une grande diversité On retiendra tout particulièrement les cordes incisives, sidérantes de précision, les cuivres héroïques et une flûte enchanteresse, qui parviennent à à gommer jusqu'aux faiblesses dramatiques des danses, conduisant la tragédie à son accomplissement.

 

Tassis.jpgLa distribution est équilibrée, même si l'on remarque que ce sont les hommes qui offrent la diction la plus claire. Dans le rôle du père, Danaüs, le baryton grec Tassis Christoyannis, confirme une fois de plus combien ce répertoire est fait pour lui. Il est tout à la fois théâtralement et vocalement ce père pervers, puissant et effrayant porté par la haine qui le dévore. Face à lui dans le rôle d'Hypermestre, Judith Van Wanroij, si elle manque parfois de précision dans la diction, incarne parfaitement cette héroïne pathétique, tout à la fois sensible et courageuse, tenant tête au sort qui s'acharne et à la violence qui se déchaîne. Dans le long monologue à la fin de l'Acte II «  Où suis-je, ô ciel », elle nous fait ressentir toute la souffrance de cette âme tourmentée, avec une sensibilité de véritable tragédienne. Philippe Talbot dans le rôle de l'époux aimé est parfaitement à l'aise. Prononciation et luminosité du timbre s'accorde parfaitement avec ce personnage qui s'oppose par amour aux forces des ténèbres. Thomas Dollié par sa vaillance et sa souplesse vocale, nous fait regretter le bien trop court rôle qui lui échoit. Au rôle extrêmement réduit de Plancippe, Katia Velletaz apporte tout son charme.

Enfin le chœur splendide, les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, vient souligner avec séduction, vigueur et caractérisation, ce destin inexorable qui pèse sur les amants, cette présence redoutable de la nuit et de la mort qui rôdent.

Si parfois il m'a semblé entendre du Grétry et si Gluck est bien présent, comment ne pas déjà percevoir Berlioz ou Beethoven dans les Danaïdes ? J'avais donc ce soir rendez-vous avec une bien belle découverte, ouvrant sur des mondes, où la diversité musicale, fruit du baroque et du classicisme, annonce les tourments romantiques. Que le Palazzetto Bru Zane et le Centre de musique baroque de Versailles en soit remerciés.

 

Par Monique Parmentier

 

Versailles. Opéra Royal le 27 novembre 2013. Antonio Salieri (1750-1825) : Les Danaïdes, tragédie Lyrique en 5 actes sur un livret de François Bailli du Roullet et Louis-Théodore de Tschudi d'après Ramier de Calzabigi. Coproduction Centre de musique baroque de Versailles / Palazzetto Bru Zane – Centre de Musique Romantique Française, en partenariat avec l'Arsenal de Metz ; Avec : Hypermnestre, Judith Van Wanroij ; Lyncée, Philippe Talbot ; Danaüs, Tassis Christoyannis ; Plancippe, Katia Velletaz ; Pélagus, Thomas Dollié ; Les chantres du Centre de musique baroque de Versailles. Les Talens Lyriques ; Direction : Christophe Rousset

 

Droits photographiques :  Opéra Royal © Monique Parmentier et DR pour Judith Van Wanroij, Christophe Rousset et Tassis Christoyannis, ainsi que pour les Danaïdes de Jonh William Waterhouse en mains privées.

 

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