Quand l’Italie illuminait le nord
Heinrich Schütz (1585-1672)
Psalmen Davids : La Chapelle Rhénane, direction Benoît Haller.
Le voyage en Italie a longtemps représenté l’obligé dans la construction solide d’un artiste de l’Europe du Nord. Le fait est bien connu pour les peintres peut être moins pour les musiciens. Heinrich Schütz a fait deux voyages en Italie, à Venise, pour apprendre, découvrir, rapporter des partitions pour son prince et sa chapelle. Son premier voyage date de 1609 à 1612 où il va devenir l’élève de Giovanni Gabrieli. Peut après son retour, il quittera Kassel pour devenir directeur de la musique de la cour de Dresde. On voit donc, outre le talent progressif de Schütz, comment cette influence italienne produit un effet favorable en termes de carrière.
Les Psaumes de David ont été publiés en 1619 mais ont probablement été, pour partie au moins, composé les années précédentes. Directement issus de cette période de formation, ils constituent une fusion entre la culture luthérienne solide du musicien de la Hanse et la luxuriance toute catholique Italienne. Ces pièces sont d’une grande variété, rarement sur le modèle du madrigal, plus souvent sous forme de doubles voir triples chœurs, des alternances très fluides de petits moments solides et de duo, trio quatuor de solistes opposés aux chœurs.
L’intrumentarium n’est pas précisément indiqué mais l’on sait qu’étaient utilisés toutes sortes d’instruments en fonction des possibilités du moment. Pour l’interprète avisé contemporain, ces pièces sont un véritable bonheur autorisant à une quasi recomposition ! Entendons nous, tout n’est pas permis mais beaucoup.
De l’héritage luthérien, c’est avant tout le texte allemand qui est au premier plan et dirige la musique. La langue vernaculaire toujours parfaitement compréhensible pour le croyant est magnifiée par la musique. Et si elle fait parfois disparaître le texte sous la luxuriance des lignes qui s’entremêlent il est encore plus clairement rendu à la lumière ensuite. Benoît Haller et sa Chapelle Rhénane sont des quasi-spécialistes de la musique de Schütz après de nombreux enregistrements magnifiques et des concerts explorant cette époque. L’amour pour ces psaumes de David est flagrant et cette sélection présente des pièces variées et très représentatives des beautés nombreuses de ces psaumes. Dès les premières notes du Herr, unser Herrscher après un appel compact les instruments se révèlent tandis que les lignes vocales se disjoignent et s’individualisent. Tout n’est que beauté, élégance et joie de chanter. Les voix sont toutes belles, jeunes et enthousiastes dans une projection naturelle aisée. Les instruments évitent orgue et clavecin. Tout est donc aéré dans la texture de cette musique parfois compacte. Harpe, théorbe, violone assurent un continuo solide et souple à la fois, cornet à bouquin, dulciane, violons et violes de gambe soutiennent les chanteurs ou tiennent leurs parties.
Tout vit et une intense circulation de musique semble vrombir dans une belle lumière. Les sacqueboutes et les instruments sombres saisissent l’auditeur dès les premières mesures de ce qui n’est pas un Psaume de David mais un verset du prophète Jérémie ? Texte plus personnel, traité avec beaucoup d’originalité par Schütz dans un clair-oscur très pictural. Les traits de harpes avec les voix de soprano font des trouées de lumière dorée dans la laque noire. Il en sera ainsi de chaque pièce choisie et ordonnée par Benoît Haller afin de stimuler l’écoute par une admiration enchantée pour la variété d’inspiration du Saggitarius naissant. Cette composition si riche entre lumière solaire vénitienne et brumes du nord est loin d’être caricaturale, bien trop réussie elle enrichit le discours musical et là même met le texte magnifiquement en valeur. La sauvagerie de certains moments contraste tant avec la délicatesse d’autres et signe bien la complexité de cette époque baroque ou la mort rôde. Il a même un traitement plein d’humour de pages de louanges assez naïves comme Jauchzet dem herren ou Alleluya ! Lobet den Herren avec des percussions sauvages et des petites flûtes sylvestres. La direction de Benoît Haller est organique, naturelle et souple emplie de dynamisme. On sent le réel plaisir à chanter ces musiques si diverses. Chaque instrumentiste et chaque chanteur à un moment ou un autre se distingue mais c’est le travail collectif qui au final est le plus admirable tant l’énergie est démultipliée par cette complicité de tous les instants.
Un seul petit reproche pourquoi K617 n’a pas jugé bon d’enregistrer l’intégrale des Psalmen David ? Et une proposition : une intégrale de la musique de Schütz par des interprètes si convaincants ne serait pas pour déplaire aux discophiles.
Prise de son aérée et qui permet une parfaite spatialisation des voix et des instruments.
Par H. S.
1CD K617 Code barre : 3 383510002373.
Enregistré en janvier 2009 dans la salle de concert de la Ferme de Vilefavard.
Durée 59’49’’.
Copyright :
- gravure du Roi David par François Chauveau/RMN/Nancy Musée des Beaux Arts
photo de la Chapelle Rhénane : DR
Jesu amantissime : une flamme divine
Après deux CD consacrés à Bach, dont un superbe de virtuosité et de caractère des concertos pour clavecin, les Folies Françoises avec à leur tête et au dessus de violon, Patrick Cohën-Akenine, nous reviennent au disque avec un enregistrement de musique spirituelle française vocale et pour orgue, d'André Campra et de Jean-François Dandrieu.
Il s'agit en fait du programme d'un concert donné à l'occasion des Grandes journées Campra à l'automne 2010 à Versailles. Un certain nombre de pièces pour orgue de Dandrieu venant l'enrichir au disque.
Cet enregistrement des Folies Françoises, leur rend justice avec talent à travers le genre du petit motet pour Campra et des pièces pour clavier et une sonate en trio de Dandrieu.
Il est difficile en quelques mots de résumer toutes les qualités de deux compositeurs d'une période de transition entre fin de règne à Versailles et grande liberté créatrice autour du Concert Spirituel. Campra et Dauvergne ont en commun d'avoir tous deux travaillé au service du Régent et de la musique de la Chapelle Royale. Tous deux sont à l'aube d'une ère nouvelle pour la musique mais parce qu'ils appartiennent à une période de transition, ils sont souvent considérés comme des compositeurs mineurs et donc plutôt méconnus, alors que chacun a permis à la musique de se renouveler, faisant évoluer des formes existantes et en en créant des nouvelles.
Mais une fois n'est pas coutume, c'est du livret, qui parle si bien des deux compositeurs et dont le seul défaut est d'utiliser des caractères un peu trop petit pour une mauvaise vue, que je vous parlerais en premier. Sa lecture se révèle un vrai plaisir. Ecrit par Thomas Leconte, un des musicologues spécialistes de ces compositeurs qui travaille CMBV (Centre de Musique Baroque de Versailles). Il s'agit en fait du résumé des notes de programme du concert donné en octobre 2010. Il ne peut que vous encourager, à vous intéresser aux publications de ce Centre se dévouant avec passion depuis plus de 20 ans au service de la musique baroque française,et grâce à qui elle a aujourd'hui a retrouvé toute sa place au répertoire. Je ne peux que vous en recommander la lecture.
Par ailleurs pour cet enregistrement, Patrick Cohën-Akenine et Cécile Garcia-Moeller disposent chacun d'un des dessus de violon, conçu pour nous restituer le son de l'orchestre à la française par le CMBV et les luthiers Antoine Laulhère et Giovanna Chittó.
La carrière de Campra est particulièrement révélatrice des changements de style qui s'amorcent en ce début du XVIIIe siècle. Le style italianisant qu'il insuffle à la musique française apporte plus de lumière, plus de couleur, plus de liberté à la voix.
Ici, grâce au talent des interprètes nous percevons clairement les évolutions du petit motet, genre que pratiqua Campra au début et à la fin de sa carrière. Du style français de ses débuts, à la beauté faite d'humilité et de limpidité (Quam Dilecta), au style italien parfaitement assumé (Salvum me fac Deus), il enrichit sans cesse sa palette, au contact du théâtre. Ses petits motets destiné à de petits effectifs (de une à trois voix), mettent en valeur les voix des solistes.
Les quatre instrumentistes des Folies Françoises apportent une tendre lumière, celle des dessus de violon, et une rondeur suave celle de l'orgue et de la basse de violon, aux trois solistes. Les chanteurs trouvent en eux plus qu'un appui. Ce sont des alter ego qui dialoguent pour mieux se séduire et nous enivrer avec une virtuosité si italianisante.
La ductilité vocale de Jean - François Lombard (haute-contre) et de Marc Labonnette (basse-taille), nous envoûte ainsi que leur timbre qui jouent sur les contrastes et leur riche expressivité favorise l'élan dramatique.

En complément de ce programme les pièces instrumentales de Dandrieu sont de véritables petits bijoux. Et la musicalité si radieuse des dessus de violon et tout particulièrement celle de Patrick Cohen-Akenine est un véritable enchantement. Sur l'orgue de l'Abbaye de Saint-Michel en Thiérache, François Saint Yves, fait preuve tout à la fois de délicatesse et d'une grande subtilité. Il nous révèle toute la beauté d'un instrument qui date de 1714, restituant tout comme les dessus de violon, la musique que composèrent et entendirent Campra, Dandrieu et leurs contemporains.
La prise de son est ample, chaleureuse et équilibrée. Elle offre ainsi un cadre idéal à des musiciens inspirés. Un Cd qui mérite toute votre attention. Il se révèle au fil des écoutes d'une telle richesse que vous ne vous en lassez pas.
Par Monique Parmentier
Photo :
- personnelle des anges musiciens de la Chapelle Royale à Versailles
- DR Jean-François Novelli, Jean-François Lombard et Patrick Cohën-Akenine
Tomas Luis de Victoria : la clé du renoncement
Tomas Luis de Victoria - Officium Defunctorum - LPH
Collegium Vocale Gent
Philippe Herreweghe
Pour le cinquième disque de son label, Philippe Herreweghe quitte les géants Bach, Mahler et Brahms pour revenir au répertoire de musique ancienne qu'il a défendu avec tant d'ardeur par le passé et à un compositeur encore trop méconnu aujourd'hui : Tomas Luis de Victoria
Et l'enregistrement qu'il nous offre est certainement un des plus beaux cadeaux que l'on pouvait nous faire à l'occasion de la célébration du 400ème anniversaire de la mort de ce dernier.
Si de son vivant Tomas Luis de Victoria connu une reconnaissance qui lui attira la protection des plus grands, et ce dès son plus jeune âge, tant en Espagne sa terre natale qu'en Italie, où il séjourna, il nous reste encore beaucoup à redécouvrir de lui, même si depuis quelque temps, de plus en plus d'ensembles de musique ancienne, s'y intéressent.
Ce compositeur est le maître de la polyphonie espagnole de la Renaissance. De sa musique rigoureuse d'une grande complexité émane un mysticisme fervent. Ce mysticisme qui pouvait faire naître la plus belle des musiques et qui brûlaient les corps comme les âmes sans aucune forme de compassion. Qui pouvait donner les pleins pouvoirs à l'inquisition et en même temps évoquer l'amour de cette mère parmi toutes les mères, la vierge Marie avec une sensibilité et une sensualité si bouleversantes.
Tomas Luis de Victoria naquit à Avila, l'un des centres spirituels de la Contre-Réforme et fut l'élève de Palestrina. C'était un homme en quête d'une paix intérieure qui le mena sur les voix de cette musique si austère, qui élève sans cesse jusqu'à l'oubli de soi. Sa dévotion sincère et son humilité, ne l'empêchèrent pas de connaître une gloire internationale. Il servit dans la dernière partie de sa vie la sœur de Philippe II, l'impératrice douairière Marie, veuve de Maximilien II, l'empereur du saint Empire romain.
L'officium Defunctorum enregistré ici, lui fut dédicacé. Publié en 1605, soit deux ans après son décès, c'est aussi la dernière œuvre publiée par Tomas Luis de Victoria, son "chant du cygne".
Et l'interprétation que nous en offre Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale Gent est tout simplement d'un irradiant et splendide dépouillement. Les 12 chanteurs réunis ici trouvent sous la direction souple et lumineuse de leur chef. Ils nous offrent les clés de l'harmonie, celles qui effacent la souffrance et permettent d'accueillir la mort comme une libération. Leur déclamation parfaitement maîtrisée donne aux paroles chantées toute leur force de conviction. Le tissu polyphonique est aussi léger qu'une soie qui miroite sous les feux d'une foi qui consume les peurs et les regrets. L'intensité dramatique de la "Missa pro defunctis" est ainsi rendue dans toute sa ferveur. La violence du chagrin se noue jusqu'aux larmes... ces larmes qui emportent le flot de la douleur.
Pour accompagner cette messe, des motets qui s'adressent à la Vierge en un langage parfois plus chatoyant mais toujours d'un grand raffinement que l'interprétation soutien avec une élégance et une sensibilité qui nous bouleversent.
Ce CD, où la prise de son équilibrée et fidèle et le livret soigné, est plus qu'un hommage rendu à l'un des plus grands compositeurs de la Renaissance. Il nous offre les clés d'un univers où règne une paix lumineuse.
Par Monique Parmentier
LPH 005 - 1 cd - Durée 59'40''
Livret : Français - Anglais - Allemand - Hollandais
Enregistré du 3 au 5 novembre 2011 à Notre - Dame du Liban, Paris