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Le blog de Susanna Huygens

Voix humaine, voix du vent : à Fontfroide la vie est à jamais un songe

11 Août 2017 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@ Monique Parmentier

Le 14 juillet au soir, la veille de l’ouverture du festival, avec quelques musiciens, nous nous sommes rendus pour dîner à l’abbaye. Alors que nous prenions le chemin du retour vers Narbonne et que certains continuaient à discuter, il m’a semblé, tandis que nous traversions la Cour Louis XIV de l’abbaye, entendre au loin comme un appel porté par le vent. Une voix douce et sereine, une voix du vent, une voix humaine qui s’est mise à chanter, murmurer, rêver. La viole de Jordi Savall, répétant et méditant, aura été mon premier concert du soir. Il n’aura fallu qu’un cours instant pour briser mes chaînes et partir vers des horizons lointains, ceux qui pendant cinq nuit allaient ravir l’esprit du public fidèle du festival Musique & Histoire pour un Dialogue Interculturel.

 

Cinq invitations au voyage, toutes plus envoûtantes les unes que les autres étaient au programme de l’édition 2017 de ce festival.

 

@ Monique Parmentier

La première, la seule qui ait pu bénéficier d’un concert à l’extérieur, nous a permis de reprendre les chemins suivis par Ibn Battuta. Alors que dans la première partie, créée en novembre 2014 à Abu Dhabi et donnée ici-même en juillet 2015, nous avions suivi, celui que les arabes appellent « le voyageur du temps », sur les routes menant le Pèlerin qu’il avait vocation à être, vers le Golfe persique, puis appelé par l’étrange étrangeté de l’ailleurs vers l’Anatolie, le Yémen, l’Egypte, le Maroc… cette seconde partie, nous transporte encore plus loin, vers cet Extrême Orient, dont arrivent épices et parfums, mais aussi tout un art de vivre diamétralement opposé à ceux rencontrés par Ibn Battuta lors de la première partie de son périple. Loin de tout exotisme de pacotille, la musique et les textes retenus pour illustrer cette nouvelle fresque, sont à l’image de cet homme, tout à la fois explorateur, observateur, curieux insatiable, en quête d’un horizon toujours plus vaste. Loin d’être totalement ouvert à la culture des autres, Ibn Battuta n’a guère aimé la Chine, trop loin de ses propres racines arabo-musulmanes, il n’en reste pas moins, celui qui bien plus que Marco Polo, nous a laissé un témoignage unique d’un voyage oscillant entre faits réels et onirisme d’une mémoire restituée bien après son retour au Maroc. Moins fantaisiste et plus poétique, son regard sur ces autres mondes, nous invite à explorer notre vision de l’ailleurs et la motivation de ces voyages que nous entreprenons tout au long de notre vie, aux confins parfois de la méditation.

 

Miniature Perse 1327 relatant le voyage d'Ibn Battuta

S’ouvrant sur une pièce instrumentale chinoise « Chun jiang hua yue ye » (« Clair de Lune ») interprétée par deux musiciennes virtuoses, Lingling Yu au Pipa et Xin Liu au Zheng, ce programme va tout au long de la soirée, nous emporter sur des pistes de sable, dont les étoiles sont les guides et les dromadaires des compagnons aux pas lents et surs.

 

On ne peut qu’être subjugué par le son fluide et cristallin des deux instruments chinois et leurs interprètes à la gestuelle élégante qui dessine une calligraphie faite de courbes, de nuances à l’infinie délicatesse. Les pièces retenues par Lingling Yu sont issues de la musique classique traditionnelle chinoise et les deux instruments appartiennent à des coutumes ancestrales. Comme les estampes anciennes, elles ne sont que poésie et subtiles sonorités. Il en émane une sensation d’instants d’harmonie, de paix. L’esprit s’abandonne à ce temps qui coule entre les doigts des musiciennes, s’apaise, oublie, s’oublie. Le Zheng et le Pipa esquissent les jeux de lumière du clair de lune, nous font ressortir d’un trait le chant des ruisseaux et des montagnes (« Gao shan liu shui » (Ruisseau et montagne), percevoir dans ce printemps en éveil, ces notes perlées de la neige qui fond (Printemps et neige). La parfaite maîtrise technique des deux musiciennes et leur sensibilité à fleur de peau est un enchantement. Le raffinement des techniques d’appuis, des glissandi, des vibrati et croisés de cordes au zheng de Xin Liu et l’exceptionnelle sensibilité de Lingling Yu au pipa, créent une atmosphère unique, une nébulosité au moment présent, un « sfumato » musical et de l’âme qui donne sens au voyage.

 

Mais sur les chemins d’Ibn Battuta, ce sont également tous les autres musiciens dont s’entourent avec tant de justesse le maestro catalan, qui donnent à ce voyage ce ton si fantasmagorique et généreux. Nous retrouvons avec plaisir le récitant Bakary Sangaré, le comédien français d’origine malienne, sociétaire de la Comédie française qui portait avec tant de conviction et de sensibilité le texte des Routes de l’Esclavage. Manuel Forcano et Sergi Grau auteur des textes, lui offrent un récit où s’entremêlent le témoignage d’Ibn Battuta et les faits historiques qui ont marqué le XIVe siècle. Tandis que le programme musical que propose Jordi Savall, nous livre la quintessence de la diversité de ces mondes pour lesquels la Route de la Soie, est une voie de partages et de connaissances.

Furio Zanasi souffrant, Lluís Vilamajó assure à lui seul la partie chantée des pièces européennes. Il cisèle son interprétation avec une ardeur farouche et captivante.

 

@ Monique Parmentier

Face à cette Europe encore en plein Moyen-âge, mais où l’Occitanie développe un art de cour raffiné et courtois, les civilisations d’Orient connaissent un âge d’or dont la pluralité musicale est si évocatrice de la luxuriance des modes de vie. Les percussions (tablas) d’Inde de Prabhu Edouard étoffent les percussions européennes, toujours aussi splendides, de Pedro Estevan, de variations rythmiques savantes et subtiles. Avec le sarod (instrument à cordes pincés indien) de Daud Sadozai, musicien Afgan, elles nous portent sur les rives du Gange, en quête de sérénité.

 

Si l’on retrouve pour évoquer le chemin du retour qui passe par le Mali, Ballaké Sissoko, et Driss el Maloumi, les deux amis de l’ensemble 3MA, dont la noblesse de jeu et d’improvisation, nous émerveillent à chaque fois, c’est avec Waed Bouhassoun, la chanteuse oudiste syrienne, que ce dernier nous offre un moment de pure poésie, dans le duo sur une chanson marocaine, dont la traduction ne figure pas sur le programme : Fiyachia. Leur timbre de velours s’apparie avec volupté.

 

Au ney, Moslem Rahal et au duduk et belul Haïg Sarikouyoudjian, donnent au souffle du désert cette tendre sensualité, si apaisante et irréelle, ce sentiment de survoler les routes, les mers et les montagnes qui sillonnent le trajet improbable et palpitant que suit Ibn Battuta.

 

Le Kanun d’Hakan Güngör et l’oud de Yurdal Tokcan apportent un complément d’âme et de brillance, à ce tapis de soie si fine, vaporeuse et pourtant si somptueuse dont est fait l’orchestre du voyageur du temps.

 

Jordi Savall dirige avec empathie et sagesse ces musiciens que tout devrait séparer et que tout réunit avec harmonie. Il les accompagne à la vièle et au rebec, en dialoguant, écoutant, partageant ces émotions et ces questionnements incessants du voyageur en quête des « secrets » de la vie.

 

@ Alia Vox

Si la Venise millénaire célébrée l’année dernière à Fontfroide ne fût pas une étape du voyageur de l’Islam, elle n’en fut pas moins, un lieu de passage quasi obligatoire pour tous les voyageurs, dont les musiciens. Ville libre, elle est non seulement l’un des centres du monde pour le commerce, mais également pour l’art et la musique. Si l’opéra public y voit le jour, c’est également dans la Cité des Doges que naît l’édition musicale en 1501, avec l’Harmonice musices Odhecaton d’Ottavio Petrucci.

 

Dans le programme du second concert du soir, le maestro catalan, nous offre donc en compagnie d’un consort de violes composé de Philippe Pierlot, Sergi Casademunt, Lorenz Duftschmid, Xavier Puertas, et au théorbe et à la guitare Enrike Solinis et aux percussions Pedro Estevan, un voyage à la découverte des influences vénitiennes sur le répertoire pour viole.

 

Entre musiciens célèbres comme Girolamo Parabosco ou Biagio Marini ou des organistes de Saint Marc, moins connus mais qui nous ont laissé de nombreux Ricercari aux charmes certains et ces européens, anglais comme Dowland ou Gibbons, français anonymes du temps de Louis XIII ou allemand comme Samuel Scheidt, ce tour de l’Europe musicale auquel nous sommes conviés, nous offre le plaisir d’entendre des musiciens, dont bien évidemment Jordi Savall, dans ces répertoires mélancoliques, aux sortilèges surnaturels. Ici tout est partage, attention à l’autre, et le chant des « voix humaines », nous redonne cette écoute du silence si unique et si tendre. Tout ici oscille entre la lumière italienne et la pénombre du nord. Que dire des 7 interprètes de plus, si ce n’est cette intime correspondance des âmes qui émane de l’ensemble. Aucun n’est là pour dépasser l’autre, mais pour dialoguer et nous donner à percevoir, ce monde invisible de la nuit. Dans un bis d’une virtuosité incandescente, Jordi Savall, nous fait un don d’une allégresse juvénile rare.

 

@ Monique Parmentier Rose de la Narbonnaise

Avant que de traiter du concert donné par Euskal Barrokensemble, qui illustra avec tant de passions la troisième nuit de concert, c’est du concert intitulé « Tous les Matins du monde » dont je dirais quelques mots ici. Ce programme recréé à l’occasion des 25 ans de la sortie du film, en septembre 2016 à Gaveau, est en partie celui que l’on peut entendre dans le film adapté du roman de Pascal Quignard par Alain Corneau. Jordi Savall y a remplacé les Leçons de Ténèbres de Couperin par des pièces pour violes de ce dernier et adapté pour instruments les variations sur l’air d’une Jeune fillette qui étaient chantées à l’époque par Montserrat Figueras et Maria Cristian Kiehr. Si à Paris, il avait rajouté des pièces de M. de Machy ou de Jean-Baptiste Forqueray, il a préféré ici une Sonate de Jean-Marie Leclair, permettant à l’ensemble des musiciens d’exprimer plus que tout leur talent, leur amour d’un répertoire d’une grande beauté.

 

C’est à l’occasion de ce film que la carrière musicale déjà bien riche du maestro catalan, a pris une tournure quasi universelle, tant son interprétation à fleur d’émotion de cette musique qui jusqu’alors ne touchait qu’un public averti, est parvenue à toucher ce que d’aucuns appelleraient un public moins amateur des concerts de musique classique et qui depuis est resté fidèle et reconnaissant au maestro pour la redécouverte de tous ces répertoires d’une beauté sans pareille.

 

En ce 18 juillet, c’est avec une distribution étoffée, par rapport à l’automne dernier que Jordi Savall à la basse de viole et à la direction, a proposé ce programme au public extrêmement silencieux et attentif de Fontfroide. On y trouve donc en plus un violon, Manfredo Kraemer, une flûte, Charles Zebley et Rolf Lislevand est remplacé par Enrike Solinis au théorbe, mais l’on retrouve Philippe Pierlot à la basse de viole et Pierre Hantaï au clavecin.

 

Si la distribution est légèrement différente, le même sentiment de plénitude qu’à Paris nous saisit. Cette poésie ardente et diaphane est ici servie par des musiciens dont le talent n’a d’égale que l’humilité. Face à une météo extrêmement pénalisante, les musiciens par leur écoute de l’autre, parviennent à surmonter les difficultés. Ayant depuis longtemps dépasser la technique, ils peuvent se permettre d’improviser, sans jamais trahir, mais bien interpréter. L’on retrouve cette sensation étrange et fascinante de clair-obscur, qui donne à voir et entendre le murmure des ombres. La viole chante, console, leurre. Tout ici n’est que séduction et plaisir, apaisement et contemplation.

 

@ Euskal Barrokensemble

Les deux derniers programmes qu’il me reste à évoquer, sont tout au contraire, fait de feu, de passion, d’amour contrarié pour le premier et d’ode à la vie pour le second.

 

C’est la seconde fois que Jordi Savall, invite à se produire au Festival Musique & Histoire, le jeune ensemble basque de musique ancienne, Euskal Barrokensemble créé et dirigé par le guitariste Enrike Solinís.

 

Si en 2015, il s’était présenté au public de Fontfroide, avec un programme revenant sur les sources de la musique basque, cette année c’est l’essence même de la musique andalouse qu’il a décidé d’explorer. El Amor Brujo de Manuel de Falla qu’il interprète ici sur instruments baroques, s’inspire de légendes et d’anciens airs gitans. Composé en 1915 pour orchestre de chambre et cantaroa, ce ballet-pantomime est un joyau musical. La version proposée ici est réellement enthousiasmante, grâce au talent des musiciens et de la chanteuse qui les accompagne. La musique y est d’une extrême flamboyance. Sa vivacité est aussi insaisissable et ardente que l’évocation du feu dans Danza ritual del fuego.

L’auteur du livret, María de la O Lejárraga résume ainsi l’argument de la version originale de « L’amour sorcier » : « Une gitane amoureuse qui n’est pas payée de retour, fait appel à ses dons de magicienne, à ses maléfices et sa sorcellerie, pour infléchir le cœur de l’ingrat. Elle y réussit après une nuit d’enchantements, de sortilèges, de mystérieuses incantations et de danses plus ou moins rituelles. Au petit matin, quand l’aurore réveille l’amour qui, endormi, était encore dans l’ignorance, les cloches proclament avec exaltation son triomphe ».

 

Sorti au disque, chez Alia Vox, au printemps dernier, la version concert offerte diffère dans sa construction. Plus resserrée, on ne retrouve pas les deux sonates de Domenico Scarlatti et les pièces de Manuel de Falla et Joaquin Rodrigo ont été redistribuées. Cette version concert souligne les tensions, la fureur et la puissance des sortilèges de la Cantaroa et de la musique. On est emporté dans un flot de flammes et de passion, sans aucun relâchement possible.

 

@ Monique Parmentier

Les couleurs de l’orchestre sont incandescentes et virevoltantes, les nuances d’une subtilité démoniaque. Il n’est que d’entendre le dialogue contrebasse (Pablo Martín Caminero)/guitare (Enrike Solinís) tout en infîmes inflexions, flûte (Vicente Parrilla)/sacqueboute (Elies Hernandis) sur le fil du souffle dans l’Andante del amor perdido du Concierto de Aranjuez, pour être émerveillé par le travail des musiciens. La violoniste Miren Zeberio fait tournoyer à la folie feu et feu follet, tandis que les percussions obsédantes de David Chupete et Daniel Garay, sonnent l’inéluctable puissance de cette hypnose musicale.

 

La magnifique cantaroa María José Pérez, dont le timbre est lumineux le phrasé riche en nuances et si flamenco, crée des sortilèges d’une intensité fervente et impétueuse, mais aussi tendre et sensuelle.

 

Le public de Fontfroide ébloui a réservé à l’Euskal Barrokensemble, une véritable ovation. L’on ne peut qu’espérer que ce dernier sera programmé plus régulièrement en France.

 

@ Monique Parmentier

Alors qu’arrive le dernier concert, une vague de nostalgie surgit toujours. L’on sait que le lendemain à l’Hôtel Zénitude, partenaire du festival, qui accueille une grande partie des musiciens, tout redeviendra par trop paisible et que nous ne croiserons plus de musiciens avec parfois des instruments improbables. Ils nous manqueront. Mais pour rompre cette mélancolie de fin de festival, Jordi Savall a choisi de nous présenter un nouveau programme plein de fantaisie et de joie de vivre, en compagnie de l’ensemble mexicain Tembembe Ensamble Continuo, la Capella Reial de Catalunya et des musiciens d’Hespérion XXI.

 

Cette Fiesta Criolla, « cachuas et danses religieuses et profanes » est issue du Codex « Trujillo del Perú », provenant de la Cathédrale de Lima et datant des années 1780-90. Ce n’est donc plus la musique traditionnelle mexicaine, comme dans les précédents programmes consacrés à l’Amérique latine du maestro, que l’on découvre ici, mais l’univers des traditions musicales andines, sous le joug de la colonisation espagnole. Ce codex fait le lien entre les musiques traditionnelles, coloniales et celles appartenant au répertoire ibéro-américain. C’est avant tout un livre contenant beaucoup d’aquarelles et de textes présentant un grand intérêt ethnologique, aussi bien dans sa description de la vie quotidienne des indiens et des colonisateurs, qu’une somme de connaissances sur la diversité de la faune et la flore. Au milieu de tout cela, on trouve également des partitions.

 

@ Bibliothèque de Lima

Dès cette époque, on ne peut que constater combien l’influence des immigrants espagnols se fait sentir sur les traditions locales. Si les flûtes et les percussions (telle la quijada) sont belles et biens celles des traditions précolombiennes, guitare, harpe et violon sont eux des instruments venus d’Europe, que l’on retrouve dans les illustrations du Codex.

 

L’orchestre rassemblé par Jordi Savall prend donc en compte toutes ces spécificités. Toute la soirée, qui nous a semblé si courte, sous les voûtes de l’église abbatiale, n’aura été que joie et rire, insolence et émotion.

 

Toutes les couleurs sont là, franches et parfois si douces. Côté voix Ada Coronel et Maria Juliana Linhares resplendissent de bonheur. Adriana Fernandez, au soprano si lumineux nous enchante et Victor Sordo bénéficie d’un magnifique solo avec Jaya llûnch, Jaya Llôch, une tonada dont le texte est issu de la langue Moche, accompagné par un bourdon obsédant, évoquant la mort du christ. L’élégance du phrasé et la plénitude qui émane du chant, semble suspendre le souffle de la vie, un court instant. En duo ou trio, avec leurs camarades tous superbes de la Capella Reial de Catalunya, ils donnent corps à ces textes, célébrant Noël ou la liberté, parfois très audacieux et impertinents, ne s’attardant jamais longtemps sur les chagrins.

 

@ Bibliothèque de Lima

Et cet arc-en-ciel, fait également vibrer Hespérion XXI, toujours aussi luxuriant. A noter ses couleurs si péruviennes des flûtes, aux sons si étranges et dépaysants, de Pierre Hamon. Elles résonnent comme un appel de l’inconnu, du mystère, qui tôt ou tard pousse l’être humain, à partir au -delà, par-delà l’horizon.

 

Le festival s’est achevé dans la liesse et tandis que chacun reprenait la route, sous les étoiles, en notre for intérieur, rendez-vous était déjà pris, pour retrouver en 2018, cette famille, ces ami(e)s, ces Elisyques que nous laissions derrière nous.

 

XIIe Festival Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel – Célébrations, hommages, Solidarité & voyages insolites – Du 15 au 19 juillet 2017

Hespèrion XXI – La Capella Reial de Catalunya – Le Concert des Nations

Musiciens invités d’Afghanistan, Argentine, Arménie, Brésil, Chine, Espagne, Grèce, Italie, Madagascar, Mali, Maroc, Mexique, Syrie et Turquie

 

Jordi Savall

 

Par Monique Parmentier

 

 

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A Fontfroide, la musique comme un songe

4 Août 2017 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

@ Monique Parmentier

Comme il est parfois étrange de devoir par une chronique revenir, sur les traces du passé pour le relater. Car ici il ne pourra être question de critique, mais d’un récit, celui du chemin suivi par les âmes sœurs, celui de la mémoire. Et le XIIe festival Musique & Histoire pour un Dialogue Interculturel, me donne de plus en plus, année après année, le sentiment de faire partie d’une famille, que je rejoins pour évoquer les routes empruntées durant l’année écoulée. Des routes qui pour chacun sont parfois semées d’embûches, parfois riantes et chaleureuses, mais hélas aussi tragiques et douloureuses.

Cette famille, ces élisyques revenant sur leur terre, se sont donc retrouvés pour célébrer, rendre hommages, unir et réunir et évoquer les voyages insolites (le titre exact de cette 12ième édition étant « Célébrations, hommages, Solidarité et voyages insolites »).

 

@ M Parmentier

Tout au long de l’année, l’actualité est souvent venue nous rappeler, que la musique fait partie du monde et qu’elle ne peut ni ne doit refuser cette part qui lui incombe de faire du musicien un acteur libre de ses « mots », responsable de ses « rencontres ».

 

Si ma mémoire des cinq journées sera cette année plus fragile et moins précise, plus nébuleuse que les années précédentes, c’est parce que suite à une chute sur la tête dans le cloître le premier jour, elle me fait aujourd’hui parfois défaut. Alors comme Puck, dans le Songe d’une nuit d’été, je vous adresse cette prière : « Ombres que nous sommes, si nous avons déplu, figurez-vous seulement que vous n’avez fait qu’un somme, pendant que ces visions nous apparaissaient… Oui, foi d’honnête Puck, si nous avons la chance imméritée d’échapper aujourd’hui au sifflet du serpent, nous ferons mieux avant longtemps ». Et si artistes et esprits critiques me pardonnent mes imprécisions, c’est avec un plaisir sincère, que je partage avec vous par ce texte, ces 5 journées et soirées si fantasmagoriques, qu’elles me laisseront à jamais le sentiment d’avoir vécu ailleurs et ici, en un temps lointain et pourtant si présent.

 

Mais avant de commencer ce récit, il m’est impossible de ne pas exprimer par quelques mots toutes mes pensées amicales et respectueuses à Laure d’Andoque, notre hôte à l’abbaye de Fontfroide, ainsi qu’à ses enfants et ses proches. Le premier juillet, nous est parvenu la nouvelle du décès de Nicolas de Chevron Villette, son mari, responsable du Domaine viticole de Fontfroide et du restaurant de l’Abbaye. Jordi Savall, tous les musiciens et les équipes du festival ont tenu à lui rendre hommage aussi bien dans le programme que lors des premiers concerts. Nous ne pouvons que lui renouveler nos sincères condoléances et lui redire à quel point, nous lui sommes tous infiniment reconnaissants de nous accueillir si merveilleusement année après année. Ce lieu unique, si inspirant, contribue à donner une âme toute particulière au festival.

 

@ Monique Parmentier

Le conte que nous a relaté Jordi Savall, cette année, passait plus que jamais par ce dialogue qu’il entretient entre les cultures du monde d’hier et d’aujourd’hui pour mieux construire l’avenir. Ainsi son projet en faveur des musiciens réfugiés, Orpheus XXI, Musique pour la vie et la dignité, initié en début d’année, a-t-il tenu au cours des concerts de l’après-midi, une place phare dans la programmation. Trois concerts, qui ont permis à des musiciens déracinés, réfugiés ou immigrés, de venir au contact du public européen de Fontfroide, afin de favoriser l’écoute de la différence et nous faire entendre le travail réalisé ces derniers mois, en partenariat avec la Saline Royale d’Arc-et-Senans. Trois concerts merveilleux, totalement différents et si riches, nous ont permis de découvrir toute la splendeur des répertoires de la Syrie et de toutes ces régions du Proche-Orient, aujourd’hui totalement ravagées par la guerre et la fuite éperdue de ces populations obligées de se déraciner, après avoir tout perdu, alors qu’elles ne demandaient qu’à vivre en paix.

 

Ces concerts, nous ont rappelé combien cette culture musicale de la Syrie est à l’image d’un pays où longtemps se sont côtoyés et enrichis des peuples d’origines diverses. Cette nation au cœur du monde arabe, nous révèle une musique aux calligraphies arabo-irano-turque, mais où s’invitent aussi un métissage de traditions chrétiennes imprégnées de la musique grecque, mais également juive et kurde.

 

Ces trois concerts ont été menés par trois musiciens professionnels qui ont été durant plusieurs mois, les maîtres des musiciens réfugiés sélectionnés pour bénéficier de la formation qui leur permettra à leur tour de devenir des professionnels et des formateurs.

 

@ Monique Parmentier

Pour le premier, l’oudiste et chanteuse Waed Bouhassoun était accompagnée de quatre musiciens dont deux jeunes filles, Shaza et Jawa Manla qui ont été obligées de quitter leur pays à 8 et 15 ans. Instants de pure poésie que ce concert, mêlant tout à la fois des chants de réjouissances et des lamentations, célébrant les récoltes et l’amitié. Le concert s’ouvre sur le son cristallin du qanun de Shaza Manla, véritable invitation au voyage, à l’ailleurs, que le murmure du vent et des cigales accompagne.

Les voix de Waed Bouhassoun et Rusen Filistek dans des mélopées envoûtantes, libèrent les âmes des douleurs des amours perdus. Au bord de l’inconscience, notre esprit s’échappe vers des mondes étranges et fascinants. Et les deux jeunes sœurs, Jawa (à l’oud) et Shaza Manla dialoguent avec le silence et les souvenirs avec une virtuosité à fleur de peau bouleversante. Le chant de récolte, Mirkut qui conclut ce concert, - avec aux percussions Neset Kutas et Rusen Filiztek qui chante également-, exprime ce moment de joie et de reconnaissance collective. Il nous éblouit, tant il semble faire virevolter les notes comme le grain de blé doré au moment du battage. Jordi Savall, à l’invitation de Waed Bouhassoun est venu rejoindre sur scène les musiciens, pour un bis hommage à la fraternité.

 

Le second concert Orpheus XXI, qui s’est tenu au troisième jour du festival, a été mené avec une énergie vivifiante par l’artiste syrien Ibrahim Keivo. Et de la hardiesse, de la persévérance, il lui en aura fallu pour vaincre les effets d’une météo fantasque et la distance que des langues méconnues peuvent parfois opposer à l’échange. Plus que jamais le répertoire interprété est une offrande à la multiculturalité des racines de la musique syrienne. Et c’est en plusieurs langues, celles des différentes communautés qui peuplent les bords de l’Euphrate, qu’Ibrahim Keivo, tout en s’accompagnant au buzuq, au baghlama ou au saz, nous interprète les poèmes et épopées, dont les textes nous échappent, mais dont la générosité, le lyrisme nous semble d’autant plus évident, qu’il met à son interprétation une fougue et une noblesse qui n’égalent que sa bienveillante présence au cœur même du public. Car luttant contre les éléments, il descend de la scène, tout en s’accompagnant d’un instrument. Il nous interpelle, nous adresse des sourires, nous regarde droit dans les yeux comme l’on regarde un ami, donnant sens à cette rencontre.

 

@ Monique Parmentier

Le troisième concert a été mené par Moslem Rahal, un joueur de Ney syrien, qui travaille depuis quelques années déjà avec Jordi Savall. Entouré de cinq musiciens, quatre syriens et un marocain, il nous a offert un programme d’une splendeur envoûtante. Le répertoire proposé nous dévoile, toujours plus, la luxuriance et la splendeur des arabesques de la musique syrienne. Entre musique sacrée et traditionnelle, d’origine arabe, turque ou sépharade, entre percussions, oud, qanun et ces voix qui nous relatent, nous chantent parfois sur le fil de la voix ou avec ardeur, les émotions qu’ont en commun dans toutes les langues, sous toutes les latitudes les êtres humains.

 

Le ney introduit une atmosphère toute particulière, dès le début du concert. L’on ressent en l’écoutant, le souffle du désert, de la vie, faisant vibrer l’air avec une douceur toute particulière, une poésie mystérieuse et sensuelle.

Le plus frappant durant ces trois concerts, c’est la maîtrise des interprètes. Certes aucun n’est débutant, mais il ne s’agit pas seulement de maîtrise technique des instruments, mais également ce sens de l’improvisation à fleur de doigts qui caractérise ses musiques et qui est rendu possible par cette complicité amicale qui règne entre les musiciens et leurs maîtres.

 

@ DR

Deux autres concerts d’après-midi, bien que ne pouvant pas être directement rattachés au projet Orpheus XXI, mais qui n’en sont pas si éloignés par leurs origines et leur histoire, était programmés. L’un d’entre eux, celui de l’ensemble 3MA a pu comme le concert dirigé par Waed Bouhassoun, bénéficié d’une météo offrant une lumière onirique aux musiciens. Cet ensemble qui réunit 3 grands artistes qui travaillent régulièrement avec le maestro Catalan, l’oudiste et chanteur marocain Driss El Maloumi, l’interprète malien de Kora Ballaké Sissoko et le musicien malgache Rajery qui joue du Valiha, est une des très très belles découvertes faites à Fontfroide, lors de la présentation de deux des grands projets d’Hespérion XXI, Ibn Battûta (première partie) et Les Routes de l’Esclavage.

Les trois instruments à cordes pincées emblématiques de leur pays, offrent un son doux, profond, suave et parfois si translucides, que l’on se laisse ensorceler avec bonheur en les écoutant. Les trois musiciens qui sont de véritables virtuoses, chantent certaines pièces en solo, duo ou trio et ils partagent leur complicité amicale, leurs sourires, leurs affects, une sensation de l’âme avec le public. Entre création et émotion, le répertoire proposé est celui d’un travail personnel et commun. Ici tout est couleurs et plaisir et donne à chaque pièce le goût d’éternité que peut avoir l’instant présent, lorsqu’en vous l’offre à vivre dans son unicité quasi surnaturelle. Un instant d’ivresse et de tendre exaltation.

 

L’avant dernier concert, qui comme celui de Moslem Rahal a dû être rapatrié dans le réfectoire en raison de la météo, souffrant de cet enfermement, tant la musique proposée est festive, n’en a pas moins été magnifique et grisant. C’est l’ensemble mexicain « Tembembe Ensamble Continuo » qui nous l’a offert. Une chanteuse et musicienne, Ada Coronel et trois musiciens Ulises Martínez, Leopoldo Novoa et Enrique Barona, nous ont interprété des chants traditionnels mexicains à l’exception d’une chanson colombienne. Ils s’accompagnent en chantant ces musiques traditionnelles d’Amérique Latine d’instruments de la famille des guitares comme la tiple, la guitarra de son tercera, la jarana jarocha ou le mosquito et plus surprenant un instrument à percussions, le quijada de burro, une mâchoire d’âne ou de cheval.

Le répertoire du métissage qui nous est offert ici, offre un rythme endiablé à des histoires dont on perçoit l’humour grâce aux jeux de voix et onomatopées qui colorent le chant. Le Tembembe Ensamble Continuo est parfaitement à l’aise dans ce marivaudage improbable et naïf, qui fait surgir ce sentiment de liberté qui naît de la musique, alors que le répertoire interprété a souvent été créé par des esclaves. Véritable ode à l’improvisation, tout ici est exubérance et foisonnement. Ida Coronel et ses compagnons sont tout à la fois étourdissants et espiègles, nous laissant le sentiment à fin du concert d’avoir vécu au cœur d’un univers où tout n’est que rire, délectation et joie de vivre. Nous les avons retrouvés lors du dernier concert du soir, sur lequel je reviendrai dans un second article.

 

Afin de mieux faire percevoir le contexte, les raisons et les enjeux d’Orpheus XXI deux conférences ont été organisées, l’une avec la participation de SOS Méditerranée, l’autre avec Malika Pondevie, chercheuse sur la Civilisation Arabe Médiévale et sur l’histoire de l’Afrique du Nord Antique.

 

@ Monique Parmentier

La première a retenu contre toute attente un très large public. Organisé avec la collaboration de la Cimade et du Groupe Interreligieux pour la Paix de l’Aude, elle s’est tenue avec la participation de Jordi Savall, Waed Bouhassoun, de Jean-Pierre Lacan de SOS Méditerranée et deux bénévoles de cette organisation. Le débat a été introduit par la lecture de trois témoignages bouleversants des rescapés de ces frêles embarcations qui chaque jour tentent de traverser la Méditerranée. Des enfants, des femmes, des hommes qui ne demandent qu’à vivre en paix affrontent toutes les peurs, les passeurs, la violence des éléments et des hommes, dans l’espoir d’échapper aux bombes ou tout simplement en quête d’une vie meilleure pour leurs enfants. Tous les jours meurt en Méditerranée, cette mer, mère de toutes les civilisations d’Occident, des dizaines, des centaines d’êtres humains. Ces survivants ont donc vu mourir des proches, des amis. Leur désarroi est infini et pourtant aucune haine dans leurs propos. Jean-Pierre Lacan a parfaitement su faire prendre conscience des faits réels au public qui s’est montré très attentif et réactif. Le sensationnalisme de la présentation par les médias généralistes de la tragédie qui se joue n’en apparaît que plus évidente. Ces échanges avec Jordi Savall et le témoignage de Waed Bouhassoun, ont été tout à la fois passionnants et chargés d’émotion.

 

La seconde conférence, celle tenue par Malika Pondevie a malgré son caractère plus didactique, attiré l’intérêt d’un public très attentif. Elle a traité son sujet avec beaucoup de délicatesse et de savoir-faire. Car il est plus que jamais nécessaire de rappeler que la civilisation arabe médiévale a non seulement été fastueuse mais qu’elle a fait don, à l’Occident, par sa fertilité d’un univers sans lequel il n’aurait pas évolué vers plus de complexité. Son travail sur les textes antiques, mais également son art de vivre sont incontestables. Malika Pondevie a dévoilé également les points de rupture qui aujourd’hui encore divisent au lieu de nous réunir.

 

Orpheus XXI est un projet qui par les musiciens réfugiés ou immigrés a pour vocation de faire connaître les musiques et la culture des pays dont sont originaires les musiciens. Si cette année la Syrie occupait une place prépondérante on trouve au côté du maestro des musiciens de toutes origines. Avec l’aide du Groupe interreligieux pour la paix de l’Aude les portes de l’abbaye ont été ouvertes pour les concerts de l’après-midi à de jeunes migrants et des familles défavorisées. Tout un public qui ne vient traditionnellement pas au concert, ni même visiter des lieux patrimoniaux. Leur écoute, leur intérêt est le plus bel hommage qui puisse être rendu au travail des musiciens. Il y avait dans la gravité de leurs regards et dans la joie de leurs applaudissements, ce petit plus qui relève de l’état de grâce et qui en terrasse ou dans le réfectoire font des concerts de l’après-midi à Fontroide, des moments attendus et vécus avec ferveur. Mille e mille volte grazie, un millón de gracias, mille fois merci et que l’on aimerait savoir le dire dans toutes les langues, à Jordi Savall, aux musiciens et à ses équipes, de donner au mot Fraternité tout son sens par et avec la musique.

 

 

XIIe Festival Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel – Célébrations, hommages, Solidarité & voyages insolites – Du 15 au 19 juillet 2017

Hespèrion XXI – La Capella Reial de Catalunya – Le Concert des Nations

Musiciens invités d’Afghanistan, Argentine, Arménie, Brésil, Chine, Espagne, Grèce, Italie, Madagascar, Mali, Maroc, Mexique, Syrie et Turquie

 

Jordi Savall

 

Par Monique Parmentier

 

 

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