Des Indes Galantes tendres et chaleureuses
Festival Musique à la Chabotterie
17e Festival de musique baroque du 25 juillet au 7 août 2013
Les Indes Galantes - Jean - Philippe Rameau (1683 - 1764)
Hugo Reyne - La Simphonie du Marais
Depuis 1997, au cœur du bocage vendéen, se tient un festival merveilleux, plein de charmes et de surprises. Le nom du lieu qui l'accueil, particulièrement lié à la révolte vendéenne, porte un nom qui n'est pas sans rappeler les contes d'autrefois, la Chabotterie. Son directeur artistique, n'est autre que le flûtiste Hugo Reyne. Sa personnalité chaleureuse, son amour sincère du répertoire baroque qu'il défend avec tant de pétulance et d'enthousiasme, porte le public à pousser chaque été les portes du logis pour en découvrir de nouvelles fééries.
Mais pour pouvoir accueillir un public nombreux, friand de divertissements enrichissants, dans des conditions de confort et de sécurité optimum, ce n'est pas à la Chabotterie que nous nous sommes retrouvés, mais dans la Salle Dolia à Saint-Georges-de-Montaigu. Ainsi, nous avons pu découvrir, dans un lieu certes moins raffiné, mais plus adapté à des conditions météos changeantes, la nouvelle production d'opéra de la Simphonie du Marais, Les Indes Galantes.
Sans abandonner le barde du Roi Soleil, dont il a porté haut les couleurs pendant de nombreuses années, Hugo Reyne, s'est depuis peu tourné vers Rameau, l'autre grand représentant du baroque français.
La chaleur étouffante du jour accumulée et le temps orageux de la soirée, ont parfois mis à mal le public et les musiciens, surtout les musiciens qui sous les projecteurs, ont malgré tout tenu bon, nous offrant une très belle soirée musicale. Pas de mise en scène, mais une distribution de haute volée, permettant de dévoiler toute la luxuriance festive de ces Indes Galantes.
En un Prologue et quatre entrées, le Turc généreux, les Incas du Pérou, les Fleurs, fête persane et les Sauvages, Rameau joue de sa palette fastueuse, pour créer des univers à l'exotisme exubérant, si chers au XVIIIe siècle. Créées en 1735, les Indes Galantes, ne comprenaient à l'origine que le Prologue et deux entrées. Elles s'enrichiront très vite, en raison du succès des deux entrées manquantes : Les Fleurs, fête persane et les Sauvages. Il n'y a pas de fil conducteur, chaque entrée, célébrant les victoires de l'Amour, dans des petites historiettes délicieuses et enchanteresses.
Hugo Reyne a bénéficié d'une très belle distribution ce soir, pour célébrer cette fête galante du plaisir et de la rêverie.
Six chanteurs, dont certains jeunes talents, ont fait preuve de beaucoup de témérité et de personnalité, faisant de cette invitation aux voyages une grande réussite. Tous méritent d'être cités, avec pour qualité commune un grand soin apporté à la prononciation. Leur phrasé élégant permettant d'apporter à chaque histoire des nuances d'une extrême subtilité. Chantal Santon, possède une énergie virevoltante dans ses quatre rôles, l'Amour, Phani, Fatime et Zima. Sensuel et insolent, son timbre fruité, nous captive. Le jeune haute-contre Reinoud Van Mechelen, confirme toutes les promesses des réalisations auxquelles il a participé avec Scherzi Musicali ces dernières années. Son timbre solaire s'associe à la séduction de sa déclamation. Il nuance avec beaucoup de finesse, de poésie et d'humour, les deux personnages qui lui échoient. Du vaniteux Damon, au tendre amoureux Carlos, il sait nous toucher par sa grâce. Le timbre rond de Stéphanie Révidat et son assurance dramatique lui permettent de nous offrir des personnages aux caractères authentiques et résolus. Le baryton -basse Marc Labonnette, à la voix ample et généreuse, correspond parfaitement à ses personnages et tout particulièrement à Osman et Adario, son inca, Huascar manquant peut-être d'un tout petit peu de férocité. François-Nicolas Geslot au timbre et à la diction d'une rare élégance est tout à la fois aimable et enjôleur en Valère et Tacmas. Enfin dans le rôle d'Alvar dans les Sauvages, Sydney Fierro complète cette distribution et y excelle avec candeur et vigueur.
L'engagement sans faille du Chœur du Marais est une des belles surprises de cette soirée. Une très belle diction et projection, lui permet un véritable engagement dramatique, évocateur de ces mondes étranges, singuliers et envoûtants.
Si les trompettes de la Simphonie du Marais ont parfois manqué d'un peu de justesse, cet ensemble, nous a offert la plus belle des palettes musicales qui soient. Les flûtes, les hautbois et le basson offrant une suavité charnelle, un velouté sonore, qui s'unie et se conjugue avec gourmandise à l'énergie et à la luminosité des cordes. La direction d'Hugo Reyne ardente, sensible et vivifiante et ses talents de conteurs, amoureux du répertoire qu'il défend, avec passion et sincérité, a mené ces Indes Galantes, au bout du voyage, entraînant les applaudissements enthousiastes d'un public subjugué par cette nuit d'été aux couleurs des Orients libres et heureux.
Par Monique Parmentier
Distribution : Chantal Santon Jeffery, soprano : Amour, Phani, Fatime, Zima ; Stéphanie Révidat, soprano : Hébé, Emilie, Zaïre ; Marc Labonnette, baryton-basse, Bellone, Osman, Huascar, Ali, Adario ; François-Nicolas Geslot, haute-contre : Valère, Tacmas ; Reinoud Van Mechelen, haute-contre : Carlos, Damon ; Sydney Fierro, baryton-basse : Alvar.
Le Chœur du Marais et la Simphonie du Marais - Direction, Hugo Reyne
Droits photographiques : Photographies du concert © La Simphonie du Marais. Boiseries l'Amérique © Château de Chantilly ; Costume de ballet© DR
Esprit d'Arménie : ombres & lumières de l'harmonie
VIIIe Festival Musique et Histoire
Pour un dialogue interculturel
Ombres & Lumières, d'une Europe Multiculturelle
Du 15 au 19 juillet 2013
Hespérion XXI La Capella Reial de Catalunya Le Concert des Nations
Musiciens invités d'Arménie, de Grèce, d'Israël, du Maroc, de Syrie & de Turquie
Jordi Savall
Le second concert du festival Musique & Histoire, pour un dialogue interculturel, était consacré au programme Esprit d'Arménie qui a fait l'année dernière l'objet d'un enregistrement chez Alia Vox.
Jamais un projet discographique n'aura été porteur d'une émotion aussi intime et pourtant si universelle. Ce CD était un hommage à celle qui fût la muse de Jordi Savall, bien trop tôt disparue et si regrettée de tous, Montserrat Figueras.
Au disque la voix s'était tue, laissant aux instruments, et tout particulièrement au Duduk, le soin de libérer le chagrin et de l'apaiser. Au concert, au chant des instruments s'est mêlée la voix d'un jeune chanteur arménien talentueux et ému face au public et à des musiciens aussi chevronnés.
L'Arménie, terre de rencontre entre l'Orient et l'Occident, a connu une histoire mouvementée. Aucune tragédie ne lui a été épargnée. Face à la guerre, aux massacres et à la diaspora, face aux séismes les plus redoutables, des millions d'hommes et de femmes, n'ont eu que leur culture, leurs traditions, pour survivre.
La musique est un élément essentiel de ce patrimoine intangible qui a guidé ce peuple vers un avenir incertain mais inaliénable. Cette (ces) musique(s), porte(nt) l'empreinte de cette histoire si douloureuse. De ses voisins perses, turcs, des invasions arabes ou mongoles, elle a hérité de ces micro-intervalles des tiers et quart de ton et de ces rythmiques complexes des musiques d'Orient. Mais surtout elle porte en elle une étrange mélancolie, celle de cette âme arménienne, secrète et raffinée, en quête d'une harmonie perdue.
Issue d'une tradition orale extrêmement diverse, les textes sont eux-mêmes de purs chefs-d'œuvre d'expressivité. De l'amour à la plainte de l'exilé, la joie y frémit à fleur de larmes.
Le concert de ce soir, n'aura pas failli, nous restituant la beauté de ce merveilleux programme que j'avais chroniqué, il y a quelques mois. Sous la direction attentionnée, bienveillante et charismatique de Jordi Savall, les musiciens d'Hespérion XXI et arméniens, ainsi que le chanteur, nous transportent dans cet univers onirique à la limite de l'inconscience. Le chant des duduks et du kamantcha, ainsi que celui de la viole de Jordi Savall, soutient la voix qui en une lancinante mélopée nous soulage de tout le poids des chagrins. Malgré un trac perceptible Aram Movsisyan, le jeune chanteur arménien nous enchante par une réelle maîtrise des textes et de cet art très particulier entre le dire et le chanter. Tout ici est lié, doux, calme et expressif. On s'émerveille de la virtuosité de Gaguik Mouradyan au kamantcha. Dans Dun en glkhen (Supplique du roi avant l'exil), l'archet devient aile de papillon, larmes qui s'écoulent, plainte douloureuse, poignante. Ce musicien partage avec Jordi Savall, à plusieurs reprises durant le concert, des instants de complicité et des infimes nuances d'une évanescente fulgurance, à la limite du silence. Ils nous font perdre progressivement la perception du temps qui s'écoule. Cette complicité est partagée avec les joueurs de l'instrument roi de la culture arménienne, les duduks.
Conforme à la tradition, ces joueurs, sont deux, le maître - Georgi Minasyan- et l'élève -Haïg Sarikouyoumdjian. Aussi virtuose l'un que l'autre. A tour de rôle, il crée ce bourdon continu qui génère cette atmosphère si chaude, si douce qui nous envoûte, tandis que l'autre développe une mélodie qui nous charme, nous subjugue. Le timbre de ces instruments procure une sensation enivrante, porteuse d'un amour généreux et compassionnel, véritable don de vie.
Quant aux musiciens d'Hespérion XXI, Pedro Estevan aux percussions toujours subtiles, Viva Biancaluna Biffi à la vièle à archet et Daniel Espasa à l'orgue, ils apportent une palette suave, d'une grande justesse et humilité à cette musique si sensible.
Tout au long de la soirée, nous aurons été nombreux à penser à Montserrat Figueras qui a fait découvrir à son mari, cette musique et ces instruments, qui guérissent le corps et l’âme, consolent, abolissent toute les douleurs.
Entre « Ombres et lumières », thème retenu cette année pour cette manifestation annuelle à Fontfroide, les deux premiers concerts, nous auront permis de partager et de découvrir, cette musique pour la paix, pont entre deux rives, langage commun, qui offre aux hommes la possibilité de se retrouver et de s’accepter.
Par Monique Parmentier
Distribution : Aram Movsisyan, chant ; Georgi Minasyan, duduk ; Hai Sarikouyoumdjian, duduk ; Gaguik Mouradyan, kamantcha.
Hespérion XXI : Viva Biancaluna Biffi, vielle ; Daniel Espasa, orgue ; Pedro Estevan, percussions ; Jordi Savall, direction rebec, dessus de viole et viele à archet.
Droits photographiques : Jordi Savall et Montserrat Figueras © DR : Paysage arménien : © Sandrine Andre ; Danseuse arménienne © DR ; Cloitre de l'Abbaye de Fontfroide © Monique Parmentier
Ce concert peut - être ré-écouté sur Culture Box et sera retransmis en différé sur France Musique
Fontfroide : Le dialogue interculturel source d'émotion
VIII' Festival Musique et Histoire : Pour un dialogue interculturel
Ombres & Lumières d'une Europe Multiculturelle
Du 15 au 19 juillet 2013
Hespérion XXI La Capella Reial de Catalunya Le Concert des Nations
Musiciens invités d'Arménie, de Grèce, d'Israël, du Maroc, de Syrie & de Turquie
Jordi Savall
C'est dans un lieu presque millénaire, l'Abbaye de Fontfroide, au cœur des Corbières, que Jordi Savall donne rendez - vous, chaque été, à son public pour célébrer et faire vivre le dialogue interculturel, qu'il défend avec ardeur depuis de nombreuses années. Avec son épouse, Montserrat Figueras, il a fondé il y a 8 ans un festival unique dans sa démarche. Ce dernier n'est pas seulement un moment de détente musicale, dans la garrigue, en plein été, au milieu des cigales, permettant à chacun d'oublier le temps d'un ou plusieurs concerts, une année de labeur. Il est aussi, et avant tout, un lieu de rencontres hors du temps, où chacun peut s'arrêter, écouter, découvrir, donner à voir et entendre sa différence. Musiciens, philosophes, conteurs, écrivains, journalistes et le public vivent ainsi des instants d'une insondable ferveur, de générosité et d'émotion. Chacun peut y percevoir la richesse de l'esprit, de ces siècles de cultures qui se sont côtoyées, tout en inventant chacune un langage qui montre combien la diversité est source de joie et d'intelligence. Ici la musique baroque occidentale croise les chemins des musiques du monde.
Des 5 concerts donnés du 15 au 19 juillet, j'ai pu en entendre deux. Le concert inaugural tout d'abord, consacré au Millénaire de Grenade, aux terres de tolérance d'Al-Andalus, où juifs, arabes et chrétiens vécurent ensemble, par intervalle, en paix. Puis le lendemain ce fût le concert consacré à "l'Esprit d'Arménie". Celui qui apporte la sérénité par le souffle mystérieux et profond de ces instruments traditionnels, les duduk et qui ouvre des horizons apaisants, balayant doutes et chagrins.
Al Andalus, a déjà connu sa période de prospérité et son âge d'or, lorsque naît Grenade en 1013. En cette cité créée par les juifs avant l'arrivée des arabes et même des wisigoths, va perdurer jusqu'à la fin du Moyen-Age, tout un art de vivre issu des mondes musulmans, chrétiens et juifs - les civilisations du Livre.
En 1013, Al Andalus se déchire en une multitude de petits royaumes, les taifas, à la suite d'un conflit entre différentes factions musulmanes. Cordoue est réduite en cendres. Ce monde idéal où se croisaient et dialoguaient poètes, musiciens, médecins, philosophes et commerçants, ne va pas disparaître complètement. Il va trouver à Grenade, un refuge, une entité politique et culturelle où va persister pour un temps cette vision humaniste, sensible et épicurienne née au croisement des civilisations et offrant aux hommes une vision de la vie permettant de vivre en harmonie avec leur environnement.
La diversité trouve à Grenade et chez ses califes une tolérance qui n'a pas peur de la différence. Si les tensions existent et s'entrechoquent, elles fertilisent les débats, colorent et illuminent la vie, favorisent la création et les découvertes grâce à cet exceptionnel esprit d'ouverture qui s'est développé en ce creuset de la pluralité. A Grenade se construit le dernier poème de pierre et d'eau, l'Alhambra : "Mon destin est de briller plus que tout ce qui a brillé dans l'histoire". A l'ombre des broderies de pierre, littérature, sciences et musique brillent comme jamais, d'une spiritualité intense et limpide.
Jordi Savall, a choisi à travers le programme, Grenade Eternelle, de nous raconter l'épopée de ce royaume riche et fastueux. Pour se faire, il a sélectionné des textes et des musiques qui illustrent cette période de sa naissance à sa disparition, de sa splendeur à sa décadence et s'est entouré de musiciens, chanteurs et acteurs de toutes origines et confessions. Ainsi espagnols, marocains, français, grecs, syriens et israéliens, revivent et nous font partager les émotions de ces peuples qui surent instaurer un dialogue et savourer la vie, ses joies et ses souffrances pour mieux s'enrichir au contact de leurs cultures. Tous nous font vibrer et ressentir la peur face à la violence, au déracinement, comme les inquiétudes et les joies de l'amour.
L'extrême sensibilité de chacun trouve grâce au maestro catalan le juste équilibre. La résonance de l'abbatiale et des effets de spatialisation, nous transportent dans un ailleurs où le Ney et l'Oud, font chanter le vent et l'onde. Les deux conteurs René Zosso et Manuel Forcano sont les piliers de cette aventure humaine. Si le premier marque les temps forts d'une voix ample et généreuse, le second se fait poète pour mieux nous faire savourer les textes qui nous dépeignent en trois langues - arabe, castillan et hébreu- cet univers si chatoyant d'Al Andalus. La tragédie qui se noue régulièrement au cœur même de tant de beauté est marquée par les interventions flamboyantes de La Capella Reial de Catalunya. et du Concert des Nations. Tout ici brille et miroite de mille et un reflet. L'érudition de ce monde de rencontres est un trésor commun qui se partage dans ces textes merveilleusement interprétés par les solistes et tout particulièrement la chanteuse syrienne Waed Bouhassoun et le chanteur d'origine israélienne Lior Elmaleh. Leurs voix si mélancoliques, expriment la finesse, la délicatesse, la noblesse de cette cité et des hommes qui permirent aux roses de la connaissance de s'épanouir en toute liberté. Les nuances et les couleurs instrumentales sont d'une suavité fastueuse, fascinante et envoûtante. Des arabesques sonores des ouds, des guitares, de la harpe, des violes et des psaltérions à la brillance de la sacqueboute, de la trompette et du cornet à la finesse des interventions aux percussions de Pedro Estevan, tout participe à ce sentiment de vivre sous le ciel étoilé de Grenade. Et lorsque à la flûte indienne Pierre Hamon intervient, cet appel des Nouveaux Mondes, par ses volutes sensuelles, semble déjà pleurer l'irrationnelle destruction des civilisations que l'Europe chrétienne va découvrir.
Jordi Savall, ambassadeur pour la paix, est un musicien dont la virtuosité est unique. De chacune de ses interventions, à la viole de gambe au rebab et à la vielle, émane un sentiment de plénitude, d'élégante pureté, d'opulente profondeur qui fait résonner les voûtes de Fontfroide et de l'Alhambra comme nos âmes en quête de la source de paix. Sa direction précise, bienveillante, généreuse et fraternelle fait de chacun un acteur essentiel du drame.
A ses côtés, avec l'ensemble des musiciens d'Hespérion XXI, des chanteurs solistes et de la Capella Reial de Catalunya, il donne sens à tout ce qu'Al Andalus nous a transmis. Ce programme nous dit, combien vivre et avancer ensemble, en acceptant chacun en qu'il est, ne peut que nous conduire au respect de l'essentiel : la vie. En conjuguant leurs talents ils nous font découvrir combien le potentiel des valeurs communes est promesse d'avenir.
En cette soirée du 15 juillet, l'œuvre sublime que nous a laissé le royaume d'Al Andaluz, a chanté dans nos cœurs et nous a bouleversé, à l'image des paroles de cette plainte arabo-persanne "Le chemin-l'angoisse", chantée avec des nuances d'une infinie complexité par Waed Bouhassoun. Pourquoi faire subir aux femmes et aux hommes la peur, alors qu'on peut leur donner l'espoir :
"La couleur de l'inquiétude dans la pierre égarée
La couleur d'une imagination en route
Qui donc est passé par ici et s'est brûlé ?
Ténèbres dans mon horizon
Mon inquiétude.
On a tiré sur ma régénération et l'a lacérée
La tempête l'a emportée et l'a brûlé
Dans ses cendres sans doute
J'inventerai l'aube immaculée".
Voici un programme qui nous l'espérons sera redonné afin qu'un large public puisse découvrir que certaines célébrations sont d'autant plus essentielles, qu'elles nous obligent à remettre en question nos peurs et nos rejets.
Par Monique Parmentier
Musiciens invités :
Waed Bouhassoun, chant et oud ; Lior Elmaleh, chant ; Driss el Maloumi, chant et oud ; Moslem Rahal, ney ; Hakan Güngör, kanun ; Yurdal Tokcan, oud ; Haïg Sarikouyoumdjan, duduk ; Erez Shmuel Mounk, percussion ; Dimitri Psonis, guitare mauresque, santur & cloches ;
Récitants :
René Zozzo et Manuel Forcano (hébreu, arabe et castillan)
La Capella Reial de Catalunya :
Rocio de Frutos, soprano ; Carlos Mena, contre-ténor ; Lluis Vilamajo, ténor ; Marc Mauillon, baryton ; Furio Zanasi, baryton ; Daniele Carnovich, basse.
Hesperion XXI :
Andrew Lawrence-King, psaltérion et harpe ; Xavier Diaz-Latorre, vihuela de mano et guitare ; Jordi Savall, rebab, vieille et viole de gambe ; Sergi Casademunt, viole de gambe ténor ; Philippe Pierlot, viole de gambe basse ; Pierre Hamon, gaita, ney et flûtes ; Jean-Pierre Canihac, cornet et trompette, Béatrice Delpierre, chalémie ; Daniel Lassalle, sacqueboute, Pedro Estevan, percussions.
Direction : Jordi Savall
Concert retransmis en replay sur France Musique
Concert visible sur Culture Box pendant un mois
Crédit photographique : Jordi Savall © David Ignaszewski ; Abbaye de Fontfroide, jardins de l'Alhambra et Waed Bouhassoun © DR. Répétition émission France Musique à Fontfroide et un olivier à Fontfroide © Monique Parmentier
Messe en si par Jordi Savall : D'une inoubliable beauté
Messe en Si - Jean-Sébastien Bach (1685-1750) - Jordi Savall
Alia Vox
Cette version de la Messe en Si fera date. Sa splendeur, sa luminosité, sa générosité, cette vibrante émotion qui l'anime, la porte aux firmaments de la discographie du Maître de Leipzig.
Beaucoup de chefs n'ont pas hésité à enregistrer plusieurs fois La Messe en Si, l'œuvre quasi ultime, de Bach. Elle reste par son extrême complexité, celle que tous rêvent de dépasser. Le Maestro Catalan aura attendu longtemps pour l'aborder. Lui qui a fait, - avec son épouse trop tôt disparu, Montserrat Figueras, - du dialogue interculturel et inter-générationnel une clé de voûte de son engagement pour la musique, réalise ici bien plus qu'un simple enregistrement, qui de toute manière ne pouvait être qu'une référence sur le plan de la réalisation artistique, tant il nous déjà comblé de merveilles au disque. Le résultat de cette attente, se révèle la plus belle des offrandes. Il nous donne ici la Messe en Si la plus humaine et la plus vrai qui puisse être. Celle qui touche les cœurs pour ne plus être un monument mais un horizon ouvert à tous, une main tendue à l'espérance, au partage, à la vie, à la transcendance des affects, à une spiritualité universelle.
C'est à l'occasion de la VIe édition du festival "Musique et Histoire, pour un dialogue interculturel" de Fontfroide, en 2011, que Jordi Savall a organisé une académie de chant, dont l'aboutissement devait être le concert et l'enregistrement en concert de la Messe en Si.
Cette œuvre testament, au - même titre que l'Offrande musicale et l'Art de la Fugue, de Johann Sebastian Bach, ne pouvait que naturellement s'insérer dans la démarche de ce festival, tant elle est comme l'écrit Jordi Savall "l'une des utopies musicales les plus remarquables, une messe catholique composée par un luthérien, qui ne peut s'inscrire dans aucune des liturgies de ces deux croyances mais demeure l'une des œuvres majeures de tous les temps".
La gestation de la Messe en Si est l'histoire de toute une vie. Si elle fut représentée pour la première fois en 1749, certaines pièces comme le Kyrie et le Gloria furent composées bien plus tôt, 16 ans auparavant pour ces deux dernières. Alors que d'autres comme le Credo (le symbolum nicenum) furent spécialement composées en 1748 pour être intégrées dans la Messe en Si.
L'interprétation de la Messe en Si est au centre de nombreux débats : chœur gigantesque ou intimisme du un par voix, toutes les possibilités en ont été explorées. Jordi Savall en revient quant à lui, à une proposition au plus proche de la réalité historique de l'œuvre. L'ensemble instrumental est celui requis par Bach : 12 instruments à vent et 13 instruments à archet, ainsi que l'organo di legno qui tient la basse continue tout en assurant la fonction "d'honorer dieu et de recréer l'esprit". Quant au chœur et solistes, il se fonde sur les traditions de distribution qui avaient cours à l'époque de Bach. Ainsi il conjugue le "chœur favori" que l'on trouvait chez Biber, Schütz ou Rosenmüller (de 4 à 10 voix solistes) au grand chœur (celui de la Chapelle). Plutôt que de faire chanter par ce dernier l'ensemble des partis, il fait appel au premier, jouant ainsi sur la profondeur des affects et de l'espace. Comment ne pas être frappé par cette voix claire et solitaire qui ouvre le Credo, comme une source qui jaillit de terre pour mieux se renforcer alors que dans le Et Resurrexit, Jordi Savall choisit, au contraire de ce qui se fait bien souvent de nos jours, de faire chanter par l'ensemble du pupitre des basses, plutôt que par un soliste, le "et iterum venturus", semblant ainsi souligner la puissance de ce mystère qu'est la Résurrection.
Le jeune chœur réuni par Jordi Savall est une des grandes réussites de cet enregistrement. L'homogénéité des pupitres, leur enthousiasme, leur diction parfaite, qui rend avec pertinence et sensibilité toute sa force au verbe, - tandis que le DVD du concert nous restitue leur sourire, leur plénitude, - sont autant de qualités précieuses, qui participent à l'unicité et la magnificence de cet enregistrement. La ferveur des solistes y fait écho. Ici pas de célébrité, mais de jeunes interprètes qui s'engagent avec sincérité et émotion sous la direction charismatique et bienveillante de Jordi Savall avec la même ardeur que le chœur.
Le timbre lumineux et céleste de Céline Scheen s'unit parfaitement dans les ensembles et tout particulièrement avec celui plus sensuel et fruité de la soprano cubaine Yetzabel Arias Fernandez ou avec celui du jeune ténor japonais Makuto Sakurada dans le Domine Deus. Ce dernier est une des très belles découvertes de cet enregistrement. Dans le Benedictus son timbre brillant, sa diction soignée, son agilité vocale, offrent un instant d'enchantement dans son union mystique avec la flûte envoûtante de Marc Hantaï. La basse souple et solide de Stephan MacLeod est une des pierres angulaires de cette cathédrale musicale qu'est la Messe en Si, tandis que l'alto Pascal Bertin à la sensibilité à fleur de peau, nous touche par sa fragilité.
Le Concert des Nations est magnifique. Couleurs, jeux des clairs-obscurs, offrent une architecture vivante, luxuriante, rayonnante aux voix. Les solistes virtuoses nourrissent un dialogue fait de contrastes et d'esprit de la danse qui fait vibrer l'émotion quasi permanente qui émane de cet enregistrement.
De la fine musicalité de Marc Hantaï déjà cité, en passant par les palettes si chatoyantes du violoniste Manfredo Kraemer ou du Cor précis et fiable de Thomas Müller, aux trompettes virtuoses de Guy Ferber, René Maze et Emmanuel Alemany aux hautbois d'amour si délicats et caressants d'Alexandre Pique et Vincent Robin, Jordi Savall dispose des meilleurs musiciens possibles pour l'accompagner dans cette aventure où il ne faut surtout pas oublier Pedro Estevan aux timbales.
L'humanisme de Jordi Savall souligne ce qui fait de la Messe en Si un chef-d'œuvre unique. Fruit d'un long labeur, elle devient ici un don qui apaise, libère, nous invite à dépasser la peur du néant pour mieux percevoir la beauté du monde.
La prise de son du Cd, ainsi que celle du DVD qui l'accompagne, la restitution par l'image d'un concert magnifiquement filmé et le documentaire réalisé dans les jours qui ont précédé le concert à l'abbaye de Fontfroide, ainsi que le très beau et riche livret complètent magnifiquement cet enregistrement. Ils finiront de vous convaincre que vous avez ici un trésor qui vous accompagnera tout au long de votre vie.
Par Monique Parmentier
2 CD + 2 DVD Alia Vox
CD : Enregistrement du Concert réalisé le 19 juillet 2011 à l'Abbaye de Fontfrfroide, Narbonne (France) dans le cadre de la VIe édition du Festival "Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel".
CD1 : Kyrie Eleison - Christe Eleison - Kyrie Eleison ; Gloria - Durée : 50'55''
CD2 : Symbolum Nicenum (Credo) ; Sanctus - Osanna - Benedictus ; Agnus Dei - Dona Nobis Pacem : 51'20''
DVD réalisé par Andy Sommer ; Son stéréo 2.0, surround 5.1 ; Encodage Dolby ; Format Pal. Prise de son et montage SACD : Manuel Mohino assisté de Harry Charlier. Prduit par Xavier Dubois. Coproduction : Bel Air Média, Alia Vox et Mezzo.
DVD1 : Messe en si mineur BWV 232 (concert du 19 juillet 2011). Durée 2 h 35'
DVD2 : Jordi Savall, une messe en si à Fontfroide. Durée 51'21''