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Le blog de Susanna Huygens
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Songe d'une nuit d'été à Fontfroide

17 Août 2016 , Rédigé par Parmentier Monique

Voici donc à la suite de Fontfroide, mon dernier article sur la merveilleuse XIe édition du festival Musique et histoire à Fontfroide.

Certains diront que mon style n'est pas celui d'une critique officiellement estampillée, d'autres que je copierais je ne sais qui... À tous, je répondrais que le bonheur que j'ai connu cet été à Fontfroide est unique et que se sont mes émotions, mon ressenti que j'exprime dans l'ensemble de ces quatres articles. Je les assume pleinement. Les Elysiques sont venus à moi, sans que désormais je ne me souvienne précisément à qu'elle occasion, si ce n'est qu'arrivé quelques jours plus tôt à Narbonne, j'ai eu le temps de me promener et de découvrir. Mais rien n'arrive par hasard. Avant que de conclure, j'aimerais juste ici exprimer mon immense reconnaissance à Jordi Savall et à tous les musiciens. Merci également aux techniciens, aux bénévoles. Merci à Laure d'Andoque pour la gentillesse de son accueil. Et sincèrement Merci à deux dames d'Alia Vox qui se reconnaîtront... Elles ont rendu possible ce qui me semblait hors de portée .. Merci, merci... Mille e mille Volte grazie pour ces cinq journées/soirées si merveilleuses. Merci à la plus belle des fées : Montsé.

Ce qui fut le plus beau songe d'une nuit d'été m'a donné la sérénité ... Alors comme Puck, je vous demande votre indulgence et à ceux qui me calomnient, ne vous fatiguez plus, je suis passée à autre chose.

Egalement, dans ces conditions, un grand merci à Jérôme d'ODB qui m'a gardé sa confiance malgré tout. Je lui en serais toujours infiniment reconnaissante.

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Fontfroide : Entre fin amor et appel au dialogue

9 Août 2016 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

Mon troisième article sur Fontfroide est en ligne sur ODB. Mais à la veille du nouveau festival, je le met sur mon blog.

On ne peut avec un festival comme Musique & Histoire à Fontfroide se permettre de jeter les mots sur une feuille, en se disant qu’une chronique musicale n’est jamais qu’un billet d’humeur.

En cette troisième journée, entre poésie et gravité, bonheur et mélancolie, la lumière des lieux nous a portés sur des rivages fait de mystères, de féerie, d’amour, d’écoute, d’ouverture à la diversité, à la pluralité et à la richesse des mondes.

Le concert, de l’après-midi, nous a ainsi conduits, sur les chemins des sortilèges amoureux, nous invitant à la méditation, à la limite du songe, celui d’une poésie musicale courtoise, sensible et raffinée. C’est dans le dortoir des moines, et non dans les jardins, à la demande de l’artiste, que nous nous sommes retrouvés, pour entendre un récital voix/harpe, offert par Arianna Savall Figueras.

Mais avant toute chose, elle a souhaité rendre un vibrant hommage à ses parents. A son père tout d’abord, présent dans la salle, mais également à sa mère, -dont la présence bienveillante est d’une telle évidence à Fontfroide, comme à ses côtés-, pour tout ce qu’ils lui ont apporté et permis de réaliser. Et le concert de ce soir est à l’image de cette liberté artistique dessinant un parcours humain et musical précieux et incandescent.

Reprenant des pièces qu’elle a déjà enregistrées sur divers CD, -avec l’ensemble qu’elle a créé avec Petter Udland Johansen, Hirundo Maris-, dont certaines compositions personnelles, c’est en fait une invitation à un voyage d’amour, dans la tradition des troubadours, qu’elle nous a proposée et qu’elle a intitulée : La voix de la harpe.

Voyage sans frontière comme les sentiments, comme les poètes et les musiciens, que rien n’arrête. Ainsi les pièces que comporte son récital nous conduisent-elles de l’Allemagne à l’Italie, de l’Espagne à la France et sur les rivages du Nord de l’Europe.

Bien que la harpe soit un instrument courant du Moyen-Age au XVIIième siècle, voire bien évidemment au-delà, elle n’a longtemps été qu’un instrument d’accompagnement. Les œuvres qui lui sont exclusivement destinées qui nous soient parvenues sont donc rares, puisque c’est avec Monteverdi qu’il semble que pour la première fois, une musique soit notée tout spécialement pour elle. Au Moyen-âge, elle n’est réellement connue que parce qu’elle apparaît régulièrement dans l’iconographie.

Mais Arianna Savall Figueras est une interprète virtuose qui ne s’arrête pas à ce type de difficultés, n’hésitant pas à adapter des pièces destinées à la guitare ou au théorbe à son instrument, telle l’arpeggiata de Kapsberger. Entre pièces anonymes, ou de compositeurs tels Monteverdi ou Gaspar Sanz au répertoire gaélique traditionnel, tout ici est d’un lyrisme au charme ineffable.

S’accompagnant tout d’abord d’une harpe médiévale, puis d’une arpa doppia (la harpe baroque), Arianna Savall Figueras, nous donne bien plus qu’un aperçue de l’étendu d’un répertoire pour instrument. Elle semble broder les arpèges durant l’arpegiatta avec une technique arachnéenne ensorcelante. Elle est aussi, peut-être une des rares harpistes à pouvoir donner l’illusion que sa harpe résonne comme une guitare ou un théorbe, accompagnant ainsi le son si pur de la harpe d’une résonance sombre et mélancolique. Le timbre limpide et chatoyant d’Arianna Savall Figueras fait tressaillir chaque note, chaque mot, de Si dolce è il tormento ou de l’Amour de moi, d’une sensuelle clarté toute baroque. Ici aimer c’est donner et c’est partager des émotions à fleur d’âme. Il émane du chant d’Arianna Savall Figueras une telle générosité, une telle sensibilité que d’Hildegard von Bingen aux fées du Nord, sourde un bonheur sans égal. Tout n’est ici qu’amour, lumière et beauté, y compris les ornementations du chant, révélant à la fois une technique et une âme si étincelante qu’aucune nuit, aucun chagrin, aucune peur ne peut y résister. Les nuances si subtiles du chant et de la harpe sont un véritable sortilège.

Pour les bis Arianna est rejointe par Petter Udland Johansen… nous invitant à danser parmi les rires des fées, virevolter avec les couleurs arc-en-ciel filtrées par les vitraux.



Pour ce troisième soir de concert, Jordi Savall nous a présenté sa dernière grande fresque musicale sortie récemment chez Alia Vox, Ramon Llull, Temps de conquestes, de diàleg i desconhort, créée à Barcelone en novembre 2015 et que nous évoquerons prochainement sur ODB Opéra. En raison de l’indisponibilité de certains artistes présents lors de la création à Barcelone ou au disque, il en a adapté certains passages.

Le festival Musique et histoire à Fontfroide a un surtitre que nous connaissons tous et qui a d’autant plus son importance en ces temps douloureux de violence et de deuil : Pour un dialogue interculturel. Et le programme de ce soir est bien plus qu’un simple appel à s’ouvrir à l’autre, ou un concert qui se voudrait « militant ». Il s’agit bien d’une véritable réflexion musicale, qui par la redécouverte d’un philosophe, poète, mystique qui a profondément marqué son époque, Ramon Llull (1232-1316), par sa plénitude absolue, un juste équilibre Texte/musique permet de remettre en question toutes nos certitudes sans concevoir cela comme une déchirure insurmontable.

Par l’émotion musicale, ce concert nous rappelle que si l’être humain est faible, il peut choisir d’être libre et d’aller vers l’autre, à la découverte d’horizons nouveaux sans pour autant renoncer à ce qu’il est et à son héritage socio-culturel.

Plutôt que de vouloir opposer les trois grandes religions monothéistes et prêcher à tout vent des « guerres saintes », Ramon Llull toute son existence rechercha un dialogue entre les croyants de chaque religion. Sans être un militant pacifiste, il voyagea toute sa vie afin de rencontrer, organiser des discussions avec des responsables de cultes.

Parvenir sur un sujet aussi délicat, à partir d’un personnage dont les écrits certes magnifiques mais s’adressant a priori à un public érudit, à transmettre non seulement une émotion, mais au-delà à nous bouleverser tout en nous incitant à la réflexion, relève de l’idée que les compagnons du devoir se font du « chef-d’œuvre », du mystère de l’âme. Seul un artiste humaniste comme Jordi Savall pouvait probablement le réaliser.

C’est donc en s’appuyant sur les écrits de Ramon Llull, auteur prolifique, qui nous sont parvenus grâce à leur diffusion « universelle » dès leur création, que le maestro catalan nous livre l’histoire d’une vie, d’un itinéraire humain, avec ses joies, ses erreurs, ses peines, ses doutes et ce dépassement qui permet jusqu’au bout de persévérer dans la douleur et la solitude.

Deux récitants Sylvia Bel, actrice catalane et Jordi Boixaderas, comédien espagnol, qui ont déjà tous deux travaillé avec Jordi Savall, nous content une histoire hors du commun, celle d’un homme, d’un courtisan ordinaire qui soudain va à l’occasion d’une révélation, choisir la rupture et la curiosité comme chemin de vie. Leur diction parfaite et une présence scénique très intense, participent pleinement à la fluidité d’un récit profondément humain, profondément vrai. Comment ne pas être saisi par leur envoûtante interprétation toute en nuances de ce magnifique dialogue extrait du Livre de l’ami et de l’aimé. A fleur de peau, l’amour sensible ose espérer et pardonner.

De la naissance à la mort de Ramon Llull, les différentes étapes de sa vie sont donc marquées par des extraits de textes mais également musicaux. Si Ramon Llull n’était pas musicien, des indications qu’il a portées sur ces poèmes, laissent à penser qu’il ne les concevait pas sans mise en musique. Jordi Savall a choisi d’illustrer, un de ses textes, la Complainte de Ramon Llull par la musique du poème du Maître des Troubadours, Giraud de Borneil, Je ne peux supporter la douleur, dont l’interprétation de Luis Vilamajó sur le fil du silence est un pur joyau contemplatif.

Pour le reste du programme c’est dans un corpus aussi bien de musique médiévale occidentale qu’orientale que Jordi Savall a découvert de quoi nous donner à entendre l’âme de Ramon Llull, de son temps, de ses contemporains. Et c’est tout l’univers de ces civilisations entre raffinement culturel, et quête d’un idéal résistant à la violence des croisades et des luttes pour faire prévaloir une religion sur une autre qui se livre ainsi à nous. Entre l’art des troubadours, poésie occitane, pastourelles et taksims, danses mauresques, mawachah et plaintes arabes, nous nous laissons porter non loin mais comme en dehors de ce monde moderne, à la limite de l’inconscience, en un espace et un temps ou notre perception du monde en devient plus émotionnelle et plus vibrante. Tous les chanteurs et musiciens réunis par le maestro catalan pour porter ce projet et son message humaniste, se dépassent et vont bien au-delà de la virtuosité afin de nous ouvrir ces horizons nouveaux, ceux que Ramon Llull en son temps n’avaient pas hésité à franchir pour rompre avec le cycle de la violence et permettre à l’idée de la paix et du dialogue de faire son chemin et franchir les préjugés et l’ignorance.

La merveilleuse chanteuse et Oudiste syrienne Waed Bou Hassoun, est la voix féminine de ce programme. Et en lui confiant la berceuse hébraïque Noumi noumi yaldatii, qu’a si souvent chanté et transcendé Montserrat Figueras, Jordi Savall nous a fait un cadeau rare et précieux. Lorsqu’elle rejoint le centre de la scène, elle nous donne, vêtue d’une robe couleur chocolat aux broderies d’or, le sentiment grave et élégant, délicat et onirique d’une présence faite de compassion et de tendresse, de mélancolie et de lumière. Elle forme également un très beau duo avec Moslem Rahal dans « Ô toi qui m’a enivré », une danse arabe dont la fluidité célèbre la rencontre de l’eau et du feu, de la source et de la flamme.

Entre chanteurs et entre chanteurs et musiciens, la complicité est tout simplement unique et parfaite. Car il en émane bien plus que des qualités de musiciens, des qualités humaines extrêmement rares.

Les chanteurs de la Capella Real de Catalunya sont tous magnifiques et forment un ensemble homogène dans les chœurs. Individuellement, lorsqu’ils sont amenés à interpréter des partis solistes, ils nous enchantent tant par leur engagement que par la beauté des timbres qui s’accordent et se complètent sur l’ensemble des pupitres.

Et parfois pendant de très courts instants, on se surprend à se laisser porter par les couleurs denses et fastueuses dont chaque instrumentiste nous fait l’offrande, telle la flûte de Pierre Hamon et les percussions de Pedro Estevan dans cette Istampitta (danse florentine du XIIIe siècle), la harpe d’Andrew Lawrence – King si céleste ou le duduk de Haïg Sarikouyoumdjian qui semble arrêter le temps lors de la rencontre de Ramon Llull avec sa foi, avec dieu.

Si l’on retrouve ici les musiciens d’orient, dont le sompteux oudiste Yurdal Tokcan, la diversité et la luxuriance des couleurs d’Hesperion XXI, donnent à cette fresque une splendeur digne des cours d’Orient et des princes occitans. Tout l’univers dans lequel a vécu Ramon Llull revit ici. Entre Al Andalus et le Royaume de Grenade, la cour des Comtes de Toulouse, des arabesques des architectures arabes, perses et ottomanes à la quête de la lumière de celles d’Occident, Jordi Savall nous invite ici à un voyage dont on ne peut ressortir indemne car les rivages qu’il nous propose de côtoyer sont ceux d’une émotion partagée, à la recherche de la paix. Le musicien recrée ici une harmonie et donne le sentiment qu’il ne faudrait pas grand-chose pour que ce dialogue tant souhaité par Ramon Llull permette à chacun de vivre et croire ou non, sans aucune forme de jugement de valeur, avec juste le profond désir d’offrir aux générations à venir, un monde meilleur. Pour terminer ce concert, Jordi Savall, musiciens et chanteurs, ont choisi en bis, cette chanson (dont le titre turc est Üsküdara) est dont la mélodie a fait le tour de la Méditerranée et qui toujours chante et danse l’amour.

Monique Parmentier

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Festival de Fontfroide - Article 4

9 Août 2016 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

Vient un moment où l’on sent poindre le temps des adieux … Comme si la nature le savait, le temps si beau tend à se voiler, les cigales se font plus discrètes, le vent retient son souffle. Et alors que les premières séparations à l’Appart’city, où sont hébergés les artistes, se font avec une certaine tristesse, une arrivée tempétueuse de générosité vient redonner le sourire à ceux qui restent. La fête continue et seule compte cette invitation à savourer l’instant présent. Carlos Núñez que nous retrouverons le soir efface la nostalgie du petit-déjeuner par sa joie de vivre, tandis que nous nous dirigeons vers l’abbaye.

Mais avant que de se quitter, deux dernières merveilleuses journées nous attendent. Et si ici, je les aborderais ensemble, c’est parce que ne disposant pas de programmes pour les deux concerts de l’après-midi, je ne pourrais les évoquer que très succinctement, tout en ressentant ce lien très particulier qui semble les nouer et rendrait presque incongru de les traiter séparément. D’abord parce que l’on est contrairement à la triade si « celtique » des concerts solistes des dames, face à des trios quasi masculins et que, par ailleurs, l’un et l’autre portent en eux, une forme de nostalgie qui dans les jardins prennent un écho plus doux, plus tendre, tout à la fois plus réel et si lointain. Et tandis que s’écrivent ces lignes, les sortilèges lunaires vécus à l’abbaye de Fontfroide s’affirment à chaque instant, de plus en plus, comme une évidence. Une inversion dans l’ordre des concerts traités, nous vient à l’esprit, soudain. Le quatrième jour, nous aurions dû évoquer Arianna Savall Figueras et non le concert de ce premier trio dont je vais ici parler. Mais effectivement se sont enracinées dans la mémoire des correspondances ténébreuses et flamboyantes qui nous racontent une histoire, nous menant bien au-delà des apparences. Entre Songes et Lumières (thème du festival), les trinités si chères à l’antiquité grecque et aux celtes ont maintenu ce sentiment d’éternité de ce XIe festival Musique & Histoire à Fontfroide, dans la durée, bien après sa fin.

Au troisième jour, c’est donc Ferran Savall qui est annoncé à 18h30. Malheureusement, ce dernier souffrant, il a fallu au maestro catalan « improviser » afin de donner au public, un programme dont la qualité et la beauté, ne puissent pas générer une éventuelle déception. Mais lorsque l’on sait le talent des artistes qui l’entourent, cela ne lui a pas posé de problème. Il a donc fait appel, à l’un des artistes d’Orient, dont la discrétion n’a d’égale que la virtuosité, Moslem Rahal, interprète du Ney. Cette flûte est un instrument noble par excellence. Son origine remonte à l’antiquité. On la trouve aussi bien en Perse qu’en Turquie et son souffle invite au sommeil et à l’envoûtant miroitement du miroir des princes, de ces Mille et une nuit, où la voix de Shéhérazade portée par le vent et la musique, vous enivre à jamais. Moslem Rahal, est un artiste syrien, soliste de l’orchestre symphonique de Syrie. Il doit prochainement sortir un CD réalisé conjointement avec la chanteuse oudiste de même nationalité Waed Bou Hassoun qui l’a rejoint pour ce concert et l’amitié et la prodigalité étant chez ces artistes, une source inépuisable d’inspiration, Hakan Güngör en a fait de même.

Moslem Rahal fabrique ces Ney, lui-même et les montre avec un réel plaisir au public. Il a choisi de nous offrir un répertoire de mélodies syriennes qui permettent de faire entendre, la si belle variété des tonalités, des timbres si évocateurs de ce frémissement sensuel, quasi mystique, du désert et du ciel étoilé. Et comment ne pas se laisser emporter par la suave incantation qui en émane, tout comme par cette complicité qui lie les artistes entre eux, leur permettant en moins d’une heure d’improviser un programme d’une grande diversité et dont la réalisation est harmonie, équilibre et justesse, partage et don du cœur et de l’âme.

La dernière et cinquième journée, c’est un autre trio aux accents tout à la fois âpres et nostalgiques, qui a clos ces concerts en terrasse, le Trio Tatavla. Ce dernier est composé par le violoniste manouche, Tcha Limberger, accompagné par l’accordéoniste soliste grec Dimos Vougioukas et le guitariste belge Benjamin Clement. Leur intention est de nous faire découvrir la musique grecque que l’on pouvait entendre à Istanbul au début du 20e siècle. Rien de folklorique ici, tout parle à et de l’âme, de ces vies modestes qui animent les ruelles, les foyers, d’une vie sans cesse en proie à la difficulté et au bonheur de vivre ensemble. Tcha Limberger, n’est pas seulement un violoniste virtuose, c’est aussi un conteur qui aime avec un certain humour apostropher le public, et nous faire participer à cette fable des rues, entre quotidien et utopie. Il prend plaisir aussi à nous expliquer en quoi ces musiques où se mêlent étroitement les styles de toutes origines participent si naturellement à ce dialogue interculturel si cher au festival, le tout avec un naturel et un charme confondant. Le Trio Tatavla, ce sont trois merveilleux artistes, jamais avares de bis et dont la splendeur du jeu aura fait oublier le ciel devenu gris et le silence si étrange et triste des cigales.

Tout au long de ces cinq journées, dans les collines les voix du vent, mystérieux élisyques ou simple mirage auditif, ont semblé attendre et annoncer avec inquiétude et exaltation cette soirée, unique, dédiée au Dialogue celtique : l’homme et la nature. Ce concert nous laissera à jamais le souvenir d’une célébration, si proche des mystères d’Eleusis, rappelant ces rites anciens, qui instauraient entre le sacré, le divin et l’homme par le biais de la nature, une relation sensuelle et spirituelle ardente.

Il est étrange avec le recul de savoir que nul ne sait plus qui a demandé un changement de disposition de la scène et du public dans la cour Louis XIV de l’abbaye. Car cette modification, n’aura pas été sans conséquence, permettant aux sortilèges d’agir. Ainsi la scène ne tourne plus le dos au réfectoire des moines. Le public fait face à l’horizon, à cette colline où domine la croix métallique qui vient d’être restaurée et où le vent aime à jouer les mirages auditifs et de laquelle en ces belles nuits d’été surgit l’astre de Diane.

Jordi Savall tourne autour du monde avec le programme de viole celtique, enregistré en deux fois chez Alia Vox depuis des années, en compagnie d’Andrew Lawrence-King à la harpe irlandaise et au psaltérion et de Franck McGuire au bodhran (Il s’agit d’un instrument à percussion irlandais et plus précisément un tambour sur cadre qui se joue avec un bâtonnet). Mais pour l’accompagner, lui qui fait chanter par sa viole les voix du silence, avait besoin pour instaurer ce dialogue si particulier avec la nature, d’un autre enchanteur avec qui partager ses sortilèges. Il a donc invité un joueur de flûte, briseur des chaînes qui nouent nos âmes aux tourments du réel. Ce personnage qui semble tout droit sorti d’un conte, tant dès qu’il surgit, il émane de sa personnalité une poésie chevaleresque et altruiste, est un musicien galicien, sonneur de gaïta et flûtiste Carlos Núñez. Il est lui-même venu accompagné de deux autres musiciens qui reflètent si bien la carrière extraordinaire qu’il mène depuis déjà quelques années et dont la formation est tout à la fois classique et animée d’une grande ouverture d’âme et d’esprit, Pancho Álvarez à la viola capiria (guitare brésilienne baroque) et à la vielle-de-roue galicienne et Xurxo Núñez aux percussions, tambourins et pandeiros galiciens.

La nuit s’est installée tandis que nous prenons place. Mais nous n’avons pas le temps d’entamer la moindre discussion avec nos voisins, que surgit résonnant du fond de la cour, le son de la gaïta baroque. Carlos Núñez traverse au milieu du public, d’un pas assuré, l’allée centrale et arrivant sur scène, il pousse un cri qui foudroie les ombres. La fête peut commencer.

Au début du concert, la fraîcheur nous saisit et l’on retrouve plus ou moins nos marques, nos souvenirs des CD de Jordi. Mais par une sorte d’émulation qui scintille dans les regards qui s’échangent entre Jordi Savall et Carlos Núñez, mais aussi entre l’ensemble des musiciens, le plaisir devient d’une telle évidence que la musique devient un brasier où se consument les chagrins et les douleurs et dont surgissent l’ivresse et le bonheur. Andrew Lawrence King se livre à des prodiges d’une variété et d’une agilité totalement confondants à la harpe. Jordi Savall dont la virtuosité n’est pas avare d’éloquence et de dépassement, se livre à des joutes amicales avec Carlos Núñez qui lui répond avec une verve et une ductilité ensorcelante à la flûte. Les regards qu’ils s’échangent ont quelque chose de tout à la fois admiratifs, ludiques et plus encore … Malicieux. Et même la mélancolie d’un air comme O Soñja,-(une romance sentimentale née en Occitanie au XIIIe siècle, reprise depuis des siècles, aussi bien comme mélodie de cantiques bretons que comme musique pour des comptines enfantines, comme Bonne nuit les Petits, émission pour les enfants de l’Ortf)-, ne résiste pas à cet appel au Carpe diem et nous enlace, nous grise… Et puis à cet instant-là, la nature semblant répondre aux musiciens, se met à faire chanter la lumière dans un nuage isolé et arachnéen venant de la colline, prenant des formes et des nuances fantasmagoriques, au gré de la brise légère.



La fraîcheur s’évanouit et ce qui n’était d’abord qu’une étrange lueur, devient une nuée incandescente pour enfin révéler la belle Hécate dans toute sa splendeur. A deux reprises, durant ce concert le public se sera levé pour danser… dont à la fin sur un long bis en formant le cercle de la danse bretonne An Dro. Et soudain l’on réalise que dans cette abbaye qui fut à la pointe de la croisade contre les albigeois et où des moines dressèrent dans toute la région des bûchers pour beaucoup moins que cela… les musiciens, en compagnie de la lune et sa triade, des fées et des sorcières, des poètes et des fous, ont effacé la haine, pour célébrer la vie. Dans la foule devait bien se cacher Obéron, Titania et leurs acolytes, ainsi que Puck dont on devine qu’il pourrait bien avoir le mot de la fin.

Ainsi arrive le dernier soir, le dernier concert dédié cette année à deux monuments de la littérature européenne, d’un côté Shakespeare et de l’autre Cervantès, tous deux disparus il y a 400 ans, en 1616, peut-être à un jour d’intervalle. Ces deux auteurs ne se sont jamais rencontrés, mais tous deux ont en commun plus qu’une année commémorative, voire une date de décès, un ancrage profondément baroque, où songes, sommeil, folie, fées et sorcières, ont un rôle essentiel. Jordi Savall se propose ici de rendre un hommage musical à ces deux grands écrivains dans deux parties distinctes.

La première est consacrée au grand Will dont il retient parmi ses plus beaux textes, des extraits où il évoque la musique, et les accompagne de madrigaux, de consort songs, de musique pour la danse. De cette partie on retiendra bien évidemment la mélancolie si tourmentée d’un Dowland ou la beauté virginale et céleste des pièces de William Byrd. Le ténor anglais Nicholas Mulroy se voit confier le rôle du récitant dans lequel s’affirme sa diction claire et ferme. Il savoure chaque mot avec un plaisir réel. Dans les parties chantées qui lui incombent, on apprécie la beauté de sa ligne vocale. L’interprétation des consorts est tout simplement magique. A ses côtés Jordi Savall, peut compter sur Vivabiancaluna Biffi dont le jeu est si onirique, sur Philippe Pierlot qui fait chanter sa viole avec tendresse, agilité et délicatesse, enfin sur Xavier Puertas au violone qui apporte cette note plus obscure et profonde au consort. Le plus étonnant, est ce côté presque chambriste de ces pièces instrumentales que parvient à obtenir Jordi Savall.

Le choix des poèmes mis en musique par des compositeurs en quête d’accents suaves, évoquant les plaisirs et les peines d’amour, nous transporte dans un pays quasi enchanté, où l’on retrouve plutôt le Shakespeare des comédies que des tragédies. L’amour se cache dans les bosquets, il se régale d’illusions et la musique enchante les cœurs, faisant vibrer l’air et l’instant, comme si l’éternité ne demandait qu’à se nourrir de l’ivresse des rimes et des notes.

Pour la seconde partie de la soirée, nous avons donc retrouvé Cervantès. Jordi Savall lui a consacré un livre disque dans lequel il reprend de larges extraits de son œuvre majeure, Don Quichotte de la Mancha. Cervantès n’a jamais évoqué la musique dans son œuvre, pour l’illustrer le maestro catalan a donc puisé dans un répertoire de ballades et de romances, d’œuvres anonymes, mais il a également retenu des pièces de musiciens de son époque comme Martín y Coll ou Juan Arañés. Les musiques ainsi retenues et leur interprétation célèbrent la folie, le rêve, une déraison qui vit, virevolte, danse et danse encore. De la Romance del Conde Claros interprétée avec juste ce qu’il faut de brio, de nuances dramatiques, de couleurs instrumentales, de sensualité et de sens de la comédie à la superbe Romance de Guarinos et à l’entêtante Chaconne : Un saro de la chaconna, tout ici insuffle une réelle noblesse, un sentiment de munificence et de volupté, la musique se fait jubilatoire même dans ses accès de mélancolie.

Chanteurs et musiciens nous offrent une dernière fois, tout ce qui aura fait le bonheur de ce festival, des interprètes qui s’aiment et travaillent ensemble pour effacer cette anxiété profonde dans laquelle nous vivons actuellement. Durant ces cinq jours, nous aurons partagé avec eux, une allégresse éternelle et savouré sans contrainte l’amitié, l’amour, la garrigue, la chaleur, les cigales et les nuits étoilées. Nous aimerions parmi tous les chanteurs de la Capella Reial de Catalunya rajouter un petit mot sur la si rayonnante soprano argentine, Adriana Fernández. Que ce soit dans les chœurs ou les pièces solistes, son timbre clair aux nuances célestes à laquelle elle ajoute un brin d’impertinence aura fait notre joie.

Jamais le songe n’aura été si profond et en revenir si difficile. Et si l’on tend l’oreille, on peut facilement imaginer que Puck murmure à ceux qui ont pu être parfois un peu gênés par les soucis sur la sonorisation, -tout comme Vézelay ou Saint Denis et toute abbatiale romane, l’acoustique est un problème et joue parfois des tours aux techniciens – que sans aucun doute ces derniers feront mieux la prochaine fois. L’essentiel est que du premier au dernier rang, tout le monde ait pu en profiter pleinement.

Et avant que de conclure, un mot pour dire qu’on ne remerciera jamais assez les familles Fayet/d’Andoque d’ouvrir leur abbaye à la musique, à la ville de Narbonne, à la région Occitanie, au département de l’Aude, mais également à tous les instituts culturels (hellénique, italien de Paris, le département de Cultura de Catalunya, l’Ambassade de Turquie) et tous les partenaires professionnels industriels ou du monde de la culture, de continuer à soutenir via ce festival, des projets culturels d’une telle ampleur, alors que l’actualité nous démontre jour après jour, combien il est important d’apporter le dialogue, la découverte, l’écoute, mais aussi le bonheur grâce à des artistes qui ne demandent qu’à aller vers le public.

Avant que de se quitter artistes, bénévoles et techniciens… Se sont tous rejoints. Les rires ont une dernière fois fusés de toutes parts. L’éclairage à la bougie des anciennes cuisines a créé sa part de poésie non à des adieux, mais bien au contraire à une permanence de ce voyage que les élisyques reprendront l’année prochaine, pour se retrouver en ces lieux, où les attendent les fées, les nymphes et un public fidèle. Mille e mille volte grazie à Jordi Savall et à tous les musiciens qui ont enchanté ce Songe d’une nuit d’été.

Monique Parmentier

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Festival de Fontfroide 2016 - Article 3

9 Août 2016 , Rédigé par Parmentier Monique

On ne peut avec un festival comme Musique & Histoire à Fontfroide se permettre de jeter les mots sur une feuille, en se disant qu’une chronique musicale n’est jamais qu’un billet d’humeur.

En cette troisième journée, entre poésie et gravité, bonheur et mélancolie, la lumière des lieux nous a portés sur des rivages fait de mystères, de féerie, d’amour, d’écoute, d’ouverture à la diversité, à la pluralité et à la richesse des mondes.

Le concert, de l’après-midi, nous a ainsi conduits, sur les chemins des sortilèges amoureux, nous invitant à la méditation, à la limite du songe, celui d’une poésie musicale courtoise, sensible et raffinée. C’est dans le dortoir des moines, et non dans les jardins, à la demande de l’artiste, que nous nous sommes retrouvés, pour entendre un récital voix/harpe, offert par Arianna Savall Figueras.

Mais avant toute chose, elle a souhaité rendre un vibrant hommage à ses parents. A son père tout d’abord, présent dans la salle, mais également à sa mère, -dont la présence bienveillante est d’une telle évidence à Fontfroide, comme à ses côtés-, pour tout ce qu’ils lui ont apporté et permis de réaliser. Et le concert de ce soir est à l’image de cette liberté artistique dessinant un parcours humain et musical précieux et incandescent.

Reprenant des pièces qu’elle a déjà enregistrées sur divers CD, -avec l’ensemble qu’elle a créé avec Petter Udland Johansen, Hirundo Maris-, dont certaines compositions personnelles, c’est en fait une invitation à un voyage d’amour, dans la tradition des troubadours, qu’elle nous a proposée et qu’elle a intitulée : La voix de la harpe.

Voyage sans frontière comme les sentiments, comme les poètes et les musiciens, que rien n’arrête. Ainsi les pièces que comporte son récital nous conduisent-elles de l’Allemagne à l’Italie, de l’Espagne à la France et sur les rivages du Nord de l’Europe.

Bien que la harpe soit un instrument courant du Moyen-Age au XVIIième siècle, voire bien évidemment au-delà, elle n’a longtemps été qu’un instrument d’accompagnement. Les œuvres qui lui sont exclusivement destinées qui nous soient parvenues sont donc rares, puisque c’est avec Monteverdi qu’il semble que pour la première fois, une musique soit notée tout spécialement pour elle. Au Moyen-âge, elle n’est réellement connue que parce qu’elle apparaît régulièrement dans l’iconographie.

Mais Arianna Savall Figueras est une interprète virtuose qui ne s’arrête pas à ce type de difficultés, n’hésitant pas à adapter des pièces destinées à la guitare ou au théorbe à son instrument, telle l’arpeggiata de Kapsberger. Entre pièces anonymes, ou de compositeurs tels Monteverdi ou Gaspar Sanz au répertoire gaélique traditionnel, tout ici est d’un lyrisme au charme ineffable.

S’accompagnant tout d’abord d’une harpe médiévale, puis d’une arpa doppia (la harpe baroque), Arianna Savall Figueras, nous donne bien plus qu’un aperçue de l’étendu d’un répertoire pour instrument. Elle semble broder les arpèges durant l’arpegiatta avec une technique arachnéenne ensorcelante. Elle est aussi, peut-être une des rares harpistes à pouvoir donner l’illusion que sa harpe résonne comme une guitare ou un théorbe, accompagnant ainsi le son si pur de la harpe d’une résonance sombre et mélancolique. Le timbre limpide et chatoyant d’Arianna Savall Figueras fait tressaillir chaque note, chaque mot, de Si dolce è il tormento ou de l’Amour de moi, d’une sensuelle clarté toute baroque. Ici aimer c’est donner et c’est partager des émotions à fleur d’âme. Il émane du chant d’Arianna Savall Figueras une telle générosité, une telle sensibilité que d’Hildegard von Bingen aux fées du Nord, sourde un bonheur sans égal. Tout n’est ici qu’amour, lumière et beauté, y compris les ornementations du chant, révélant à la fois une technique et une âme si étincelante qu’aucune nuit, aucun chagrin, aucune peur ne peut y résister. Les nuances si subtiles du chant et de la harpe sont un véritable sortilège.

Pour les bis Arianna est rejointe par Petter Udland Johansen… nous invitant à danser parmi les rires des fées, virevolter avec les couleurs arc-en-ciel filtrées par les vitraux.

Pour ce troisième soir de concert, Jordi Savall nous a présenté sa dernière grande fresque musicale sortie récemment chez Alia Vox, Ramon Llull, Temps de conquestes, de diàleg i desconhort, créée à Barcelone en novembre 2015 et que nous évoquerons prochainement sur ODB Opéra. En raison de l’indisponibilité de certains artistes présents lors de la création à Barcelone ou au disque, il en a adapté certains passages.

Le festival Musique et histoire à Fontfroide a un surtitre que nous connaissons tous et qui a d’autant plus son importance en ces temps douloureux de violence et de deuil : Pour un dialogue interculturel. Et le programme de ce soir est bien plus qu’un simple appel à s’ouvrir à l’autre, ou un concert qui se voudrait « militant ». Il s’agit bien d’une véritable réflexion musicale, qui par la redécouverte d’un philosophe, poète, mystique qui a profondément marqué son époque, Ramon Llull (1232-1316), par sa plénitude absolue, un juste équilibre Texte/musique permet de remettre en question toutes nos certitudes sans concevoir cela comme une déchirure insurmontable.

Par l’émotion musicale, ce concert nous rappelle que si l’être humain est faible, il peut choisir d’être libre et d’aller vers l’autre, à la découverte d’horizons nouveaux sans pour autant renoncer à ce qu’il est et à son héritage socio-culturel.

Plutôt que de vouloir opposer les trois grandes religions monothéistes et prêcher à tout vent des « guerres saintes », Ramon Llull toute son existence rechercha un dialogue entre les croyants de chaque religion. Sans être un militant pacifiste, il voyagea toute sa vie afin de rencontrer, organiser des discussions avec des responsables de cultes.

Parvenir sur un sujet aussi délicat, à partir d’un personnage dont les écrits certes magnifiques mais s’adressant a priori à un public érudit, à transmettre non seulement une émotion, mais au-delà à nous bouleverser tout en nous incitant à la réflexion, relève de l’idée que les compagnons du devoir se font du « chef-d’œuvre », du mystère de l’âme. Seul un artiste humaniste comme Jordi Savall pouvait probablement le réaliser.

C’est donc en s’appuyant sur les écrits de Ramon Llull, auteur prolifique, qui nous sont parvenus grâce à leur diffusion « universelle » dès leur création, que le maestro catalan nous livre l’histoire d’une vie, d’un itinéraire humain, avec ses joies, ses erreurs, ses peines, ses doutes et ce dépassement qui permet jusqu’au bout de persévérer dans la douleur et la solitude.

Deux récitants Sylvia Bel, actrice catalane et Jordi Boixaderas, comédien espagnol, qui ont déjà tous deux travaillé avec Jordi Savall, nous content une histoire hors du commun, celle d’un homme, d’un courtisan ordinaire qui soudain va à l’occasion d’une révélation, choisir la rupture et la curiosité comme chemin de vie. Leur diction parfaite et une présence scénique très intense, participent pleinement à la fluidité d’un récit profondément humain, profondément vrai. Comment ne pas être saisi par leur envoûtante interprétation toute en nuances de ce magnifique dialogue extrait du Livre de l’ami et de l’aimé. A fleur de peau, l’amour sensible ose espérer et pardonner.

De la naissance à la mort de Ramon Llull, les différentes étapes de sa vie sont donc marquées par des extraits de textes mais également musicaux. Si Ramon Llull n’était pas musicien, des indications qu’il a portées sur ces poèmes, laissent à penser qu’il ne les concevait pas sans mise en musique. Jordi Savall a choisi d’illustrer, un de ses textes, la Complainte de Ramon Llull par la musique du poème du Maître des Troubadours, Giraud de Borneil, Je ne peux supporter la douleur, dont l’interprétation de Luis Vilamajó sur le fil du silence est un pur joyau contemplatif.

Pour le reste du programme c’est dans un corpus aussi bien de musique médiévale occidentale qu’orientale que Jordi Savall a découvert de quoi nous donner à entendre l’âme de Ramon Llull, de son temps, de ses contemporains. Et c’est tout l’univers de ces civilisations entre raffinement culturel, et quête d’un idéal résistant à la violence des croisades et des luttes pour faire prévaloir une religion sur une autre qui se livre ainsi à nous. Entre l’art des troubadours, poésie occitane, pastourelles et taksims, danses mauresques, mawachah et plaintes arabes, nous nous laissons porter non loin mais comme en dehors de ce monde moderne, à la limite de l’inconscience, en un espace et un temps ou notre perception du monde en devient plus émotionnelle et plus vibrante. Tous les chanteurs et musiciens réunis par le maestro catalan pour porter ce projet et son message humaniste, se dépassent et vont bien au-delà de la virtuosité afin de nous ouvrir ces horizons nouveaux, ceux que Ramon Llull en son temps n’avaient pas hésité à franchir pour rompre avec le cycle de la violence et permettre à l’idée de la paix et du dialogue de faire son chemin et franchir les préjugés et l’ignorance.

La merveilleuse chanteuse et Oudiste syrienne Waed Bou Hassoun, est la voix féminine de ce programme. Et en lui confiant la berceuse hébraïque Noumi noumi yaldatii, qu’a si souvent chanté et transcendé Montserrat Figueras, Jordi Savall nous a fait un cadeau rare et précieux. Lorsqu’elle rejoint le centre de la scène, elle nous donne, vêtue d’une robe couleur chocolat aux broderies d’or, le sentiment grave et élégant, délicat et onirique d’une présence faite de compassion et de tendresse, de mélancolie et de lumière. Elle forme également un très beau duo avec Moslem Rahal dans « Ô toi qui m’a enivré », une danse arabe dont la fluidité célèbre la rencontre de l’eau et du feu, de la source et de la flamme.

Entre chanteurs et entre chanteurs et musiciens, la complicité est tout simplement unique et parfaite. Car il en émane bien plus que des qualités de musiciens, des qualités humaines extrêmement rares.

Les chanteurs de la Capella Real de Catalunya sont tous magnifiques et forment un ensemble homogène dans les chœurs. Individuellement, lorsqu’ils sont amenés à interpréter des partis solistes, ils nous enchantent tant par leur engagement que par la beauté des timbres qui s’accordent et se complètent sur l’ensemble des pupitres.

Et parfois pendant de très courts instants, on se surprend à se laisser porter par les couleurs denses et fastueuses dont chaque instrumentiste nous fait l’offrande, telle la flûte de Pierre Hamon et les percussions de Pedro Estevan dans cette Istampitta (danse florentine du XIIIe siècle), la harpe d’Andrew Lawrence – King si céleste ou le duduk de Haïg Sarikouyoumdjian qui semble arrêter le temps lors de la rencontre de Ramon Llull avec sa foi, avec dieu.

Si l’on retrouve ici les musiciens d’orient, dont le sompteux oudiste Yurdal Tokcan, la diversité et la luxuriance des couleurs d’Hesperion XXI, donnent à cette fresque une splendeur digne des cours d’Orient et des princes occitans. Tout l’univers dans lequel a vécu Ramon Llull revit ici. Entre Al Andalus et le Royaume de Grenade, la cour des Comtes de Toulouse, des arabesques des architectures arabes, perses et ottomanes à la quête de la lumière de celles d’Occident, Jordi Savall nous invite ici à un voyage dont on ne peut ressortir indemne car les rivages qu’il nous propose de côtoyer sont ceux d’une émotion partagée, à la recherche de la paix. Le musicien recrée ici une harmonie et donne le sentiment qu’il ne faudrait pas grand-chose pour que ce dialogue tant souhaité par Ramon Llull permette à chacun de vivre et croire ou non, sans aucune forme de jugement de valeur, avec juste le profond désir d’offrir aux générations à venir, un monde meilleur. Pour terminer ce concert, Jordi Savall, musiciens et chanteurs, ont choisi en bis, cette chanson (dont le titre turc est Üsküdara) est dont la mélodie a fait le tour de la Méditerranée et qui toujours chante et danse l’amour.

Monique Parmentier

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Festival de Fontfroide 2016 - Article 2

9 Août 2016 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

Pour le second concert de l’après-midi, c’est une seconde dame, qui est venue succéder à Waed Bou Hassoun, Vivabiancaluna Biffi, violiste et mezzo-soprano italienne. Le programme qu’elle nous a offert a permis en ce lieu qui invite à la rêverie qu’est Fontfroide, de retrouver ce lien sacré si cher à la Renaissance, entre la nature, la poésie et la musique. Ce programme a fait l’objet d’un disque enregistré en 2014 chez Arcana/Outhere, Fermate il passo, sur lequel nous reviendrons prochainement sur ODB Opéra.

Le répertoire du Frottole qui le compose est celui de chansons populaires ou de cour de la fin du XVe et du début du XVIe siècle. Vivabiancaluna Biffi crée ici un opéra miniature avec un prologue, trois actes et un épilogue, apportant un éclairage nouveau sur les origines de l'opéra. Mais ce n’est pas à une expérience musicologique qu’elle nous convie, mais bien à la recherche de l’émotion, telle que tous ces compositeurs et musiciens sur lesquels elle s’appuie ici l’ont eux-mêmes recherchée.

Parmi les poètes qu’elle a choisi avec le plus grand soin, il y a Polliziano, auteur de la première fable (fabula) d’Orphée, dont on pense qu’elle fût mise en musique, en utilisant soit des violes, soit des luths et sous une forme déclamative comme, l’œuvre recréée ici par Vivabiancaluna. Et ceci n’est peut-être pas si anodin que cela.

Et comment ne pas citer malgré tout, toutes ces sources qui pourraient faire peur à toutes celles et ceux qui se font une idée tronquée de la musique et de la poésie de cette période, considérées avant tout comme « savantes » : des poèmes d’Angelo Polliziano (déjà cité) mais également Pétrarque, le Prince des Poètes, celui qui les a tous influencés, Jaccopo Sannazzaro, Luigi Pulci, Niccolo Machiavelli, et Serafino Aquilino sont donc mis en musique en empruntant des compositions à des musiciens de la même période tels Bartolomeo Tromboncino, Marchetto Cara, Francesco Varoter.

Tous, hormis Pétrarque, avaient en commun d’avoir travaillé à la cour d'Isabelle d'Este à Mantoue et celle de Laurent de Médicis à Florence. Ils participèrent poètes et musiciens non seulement à cette quête particulière de la musique du théâtre antique, mais au-delà à cette quête d’un absolu, celui du bonheur vécu intensément en chaque instant. Une quête d’une spiritualité nouvelle, plus sensuelle, plus libre.

Le programme de cette fin d'après-midi fut une expérience unique et merveilleuse, qu'aucune chronique/critique musicale ne peut réellement relater.

L’histoire qui se dessine ici est universelle. Elle s’adresse aussi bien à notre âme qu’à nos sens. Tout n’y est peut-être qu'apparence. Le prologue et la conclusion évoquent le temps qui passe et la mort qu’il faut exorciser en vivant chaque instant comme s’il devait être le dernier. De l’homme de la fable qui s’exprime ici nous ne savons rien ou presque, si ce n’est qu’il dit refuser l'amour par peur de souffrir puis finit par s'y abandonner. Mais qui de l'homme ou de la femme souffre vraiment. Qui est cette femme ? Une allégorie de la poésie qui se donne au poète un cours instant puis s'évanouit à jamais ? Une femme de chair ou un idéal. Qui est cet homme ? Un poète, un amant déchiré ou trompé ou bien celui qui se moque et qui brise ? Sous une apparence narrative, l'essentiel est non pas dans ce que disent les mots, mais ce qu'ils murmurent à chacun de nous.

Et même si certains ont perdu la culture « antiquisante » et ésotérique qui peut donner ainsi sens à ces œuvres, l’interprète si sensible a trouvé dans les jardins de Fontfroide de nombreux alliés qui ont permis au public de s’abandonner à la beauté si ardente et passionnée de cette musique, à cette invitation au Carpe Diem. La nature, la musique, la poésie ont fait de chacun de nous, bien plus qu’un simple auditeur. Le songe s’est emparé de nous, et tel le personnage d’un roman particulièrement important dans la littérature ésotérique de l’époque, -le Songe de Poliphile-, nous avons retrouvé grâce à Vivabiancaluna Biffi, l’espace d’un instant, l’harmonie.

C’est sur un mot, un seul « morte », que la réalité se sera estompée, que subjuguée par la beauté de la musique et du chant et celle des jardins, notre âme se sera échappée loin très loin. Les jardins, espace du songe, transmettent une sensualité tendre et radieuse qui permet à l'émotion d'oser se libérer. Tout se passe comme si le vent, le soleil, les arbres, les cigales, les papillons, la source des lieux entendaient la lyre d’Orphée et que leurs voix se mêlaient à la sienne pour célébrer l’ineffable, le sublime, -osons le mot-, de cet instant qui passe, le tressaillement si doux de l’air, le frémissement des coeurs qui palpitent.

Les larmes se mettent à chanter le bonheur de vivre pour l’éternité ce moment unique. S’est-on endormi ? Est-on éveillé ? Quelle illusion s’empare de celui qui écoute cette voix si pure déclamer, chanter… ce parlar cantando, qui n’a pas encore trouver sa forme académique, avec autant de raffinement, de verve, de théâtralité et une infinie allégresse ?

On tente de s’attacher à des détails que l’on attend d’une chronique musicale. Vivabiancaluna Biffi chante en solo s’accompagnant de la viola d’arco, fidèle en cela à ce que l’auteur - Baldassare Castiglione -, d’une œuvre clé de la Renaissance, le Courtisan, préconisait. Mais pourquoi le faire ? Elle s’adresse avant tout au cœur et c’est bien une pure émotion musicale qui s’empare de nous en l’écoutant et peu importe de posséder ou non la culture des princes italiens de la Renaissance, puisque cette musique, cette poésie sont musique et poésie de l’âme et que si à la Renaissance on savait déjà que musique et nature pouvaient dialoguer, il ne dépend que de chacun de nous d’écouter, de percevoir l’invisible, de s’abandonner à l’amour, de suivre les chemins du vent. Entre Orphée ou l’Arcadie (Jaccopo Sannazzaro fut son poète) et les jardins de Fontfroide, en cet après-midi de juillet, la quête de sens si chère à notre époque, appartient bien à cette quête d’un univers onirique, dont la noblesse et l’ardent hédonisme, cette fulgurance de la passion, sont fruit d’un abandon de soi l’espace d’un instant.

Il n’y a pas eu de rupture entre ce concert si unique et celui du soir. Dans la cour Louis XIV de l’abbaye, sous le ciel étoilé, le songe s’est prolongé le temps d’une douce nuit d’été. Jordi Savall nous a invités à franchir la Sublime Porte et à le rejoindre, lui et les musiciens d’Orient, ainsi que la chanteuse turque Meral Azizoğlu autour du programme Istanbul.

Tout ici, est évocation d’un art de vivre harmonieux et fastueux. Dès la plainte ottomane qui ouvre ce concert on est transporté dans la cour d’un palais d’un sultan, en un temps ancien. Le temps semble s’arrêter et notre écoute est captivée par le sentiment de plénitude absolue qui émane de l’ensemble réuni sur la scène par le maestro catalan.

Jordi Savall a consacré deux albums à la musique turque, Istanbul et La Sublime Porte chez Alia Vox. Qui mieux que lui sait évoquer en musique ce qui pour un européen, un français moderne, relève presque plus d’une ville mythique que d’une cité bien réelle. Tout à la fois si proche et si lointaine, elle a depuis toujours entretenu d’étroits rapports avec la culture européenne, tout en restant profondément enracinée dans une culture orientale tout à la fois magique par sa luxuriance et envoûtante par sa diversité. Comme en miroir à Venise Millénaire, le programme de ce soir nous ouvre un peu plus les horizons infinis qui se se sont longtemps présentés aux voyageurs. Fruit de multiples influences : turque, arménienne, arabe, byzantine, la musique d’Istanbul est à l’image des rêves d’Orient des poètes et musiciens qui l’ont visité.

Dans l’ensemble qui accompagne ce soir Jordi Savall on retrouve cette pluralité des sources. Venant de Turquie, d’Arménie, de Bulgarie, de Grèce et d’Espagne, tous les musiciens sont de véritables virtuoses. Tous participent au sentiment d’opulence, d’exubérance qui nous enivre en nous emmenant sur les rives d’un Bosphore plus enchanté que jamais : la merveilleuse délicatesse du chant de l’Oud, interprété par Yurdal Tokcan, la sensible et séduisante ductilité de Hakan Güngor au Kanun, à laquelle répondent les arabesques cristallines et féériques du Santur incomparablement joué par Dimitri Psonis, la fantasmagorie des instruments arméniens si évocateurs d’horizons infinis et mystérieux si ardemment rendus par Gaguik Mouradian au Kamanche et Haïg Sarikouyoumdjian au Duduk et au ney, auxquels vient se joindre Nedyalko Nedyalkov au Kaval et les percussions de Pedro Estevan qui rythment avec une extrême richesse chacune des pièces dans lesquelles il intervient.

La voix séduisante et rayonnante de la chanteuse turque Meral Azizoğlu charme, envoûte.

Toujours aussi vertigineusement virtuose aux instruments à cordes frottées, Jordi Savall dirige avec précision et une réelle empathie. Il transmet avec une telle noblesse de cœur cet amour pour la musique dialogue des âmes que le public ne peut qu’en être bouleversé.

Invitation au voyage, à la découverte, au plaisir et à l’amour de la différence, on se surprend à la fin du concert, à regretter que cette nuit musicale ne soit pas plus longue… éternelle.

Monique Parmentier

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Les Elisyques : les voix du vent

8 Août 2016 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Divers

Que sait-on vraiment des Elisyques ?

Que c'était probablement une peuplade ligure (peuples indo-européens, italo-celtique), ayant subi une influence ibérique. Très active, elle avait même sa propre monnaie.

Elle occupait jadis l'oppidum de Montlaurès, tout proche des étangs de Bages et de Sigean, et du delta de l’Aude. Du haut de ses quelques 56 mètres, cet oppidum est la matrice originelle de Narbonne. Le royaume des Elysiques s’étendait de la région de Leucate jusqu’à celle d’Agde.

L'oppidum d'Ensérune, le mieux conservé, car ayant bénéficié d'une occupation plus longue, en a fait partie. Montlaurès, sous le nom d’Elycia en était la capitale. Ils n’avaient jamais été soumis par les voisins grecs. Puis, leur royaume fût détruit par des peuplades celtes venues d’Europe centrale, les Volques. Le site devait ultérieurement s’accroître et donner naissance à Narbonne, car au pied de cet oppidum, en effet, passaient tous les flux d’importations (bijoux, perles, verroteries, vases grecs, ibériques poteries massaliotes ou italiotes de Campanie, poteries celtiques, etc.), et d'exportations (produits agricoles, sel, minerais : plomb, or, cuivre, étain).

Mais peut - on imaginer que l'âme d'un peuple heureux puisse disparaître à jamais... à chacun de répondre à cette question.

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Le chemin des Elysiques

28 Juillet 2016 , Rédigé par Parmentier Monique

Mon premier article, sur la première journée du Festival Musique et Histoire à Fontfroide est en ligne sur ODB Opéra.

Un grand merci à tous les artistes, mais aussi à tous les amis photographes, journalistes, ... techniciens, membres des Amis de Fontfroide et du public pour cette merveilleuse première journée partagée avec eux.

A très bientôt pour la suite.

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Le Festival de Fontfroide 2016 - Article 1

28 Juillet 2016 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques Concerts

Il est des festivals qui ressemblent à un conte, celui des griots et des fées. Le Festival Musique et Histoire à Fontfroide, dans l’Aude, est de ceux-là.

Ainsi, commencerais-je mon article : Il y a longtemps, mais alors très très longtemps, vivait dans la région de Narbonne, une peuplade appelée les Elisyques. On a longtemps cru et certains le croient encore, que cette peuplade devait son nom au territoire qu'elle habitait… Les Champs-Elysées. Peuple d'agriculteurs/éleveurs, ils vécurent là en paix pendant ce temps où l'harmonie, les sources et le ciel, voulurent bien les protéger, cultivant des céréales et avec pour seul or, le miel de la garrigue environnante. Puis un jour, la « folie » civilisatrice, celle des empires celtes et romains, s'abattit sur cette modeste peuplade, balayée des mémoires… Chaque année pourtant, depuis 11 ans, comme appelés par les voix du vent, musiciens et publics, « reviennent » en ce pays enchanté.

En 2015, nous vous avions sur ODB Opéra évoqué le festival de Fontfroide. Créé il y a 11 ans, par Jordi Savall et celle dont la lumineuse générosité rayonne à jamais en ces lieux, Montserrat Figueras, ce rendez-vous hors du temps, n'a pas manqué à ses promesses et ce malgré une actualité d'une rare violence. Le 14 juillet veille de l'ouverture du festival, le monstrueux attentat de Nice nous a tous laissé dans un état de sidération absolue tandis que le même jour aux portes même de l'abbaye, un incendie consumait 750 hectares de forêt. Nous nous sommes donc retrouvés le lendemain partagés entre la gravité et la joie. Et ce double sentiment, ne nous a jamais quittés.

Les amateurs d'opéra auront pu cette année trouver plus qu'à se réjouir, car Fontfroide reste avant tout, et l'Aura de celle qui a participé à sa création, y est certainement pour quelque chose, un rendez-vous où les voix sont à l'honneur. Des voix de lointains rêvés, mais aussi du chant classique. Une quête du Parlar Cantando… D'un chant du récit qui nous porte vers les horizons du songe et d'une paix retrouvée et partagée.

Entre concerts de l'après – midi sur la Terrasse jardin (ou le dortoir des moines) et les concerts du soir dans l'abbaye (ou la Cour Louis XIV), l'ensemble de l'abbaye cistercienne accueil ces multiples univers qui s'y rejoignent pour mieux dialoguer.
Le chemin qui mène à l’abbaye est la première rupture avec tout ce que nous souhaitons tant laisser derrière nous, toutes nos craintes, nos souffrances, nos peines. Les retrouvailles des musiciens et du public y possèdent la ferveur que donne toute séparation entre amis ou d’une famille. On se retrouve tous autour du maestro catalan pour célébrer la joie de vivre ensemble, pour partager tout ce qui est essentiel, dont la musique.

Alors revenons à la musique et honneur aux dames, celles qui au fond donnent tout son sens à la thématique de cette année : Songes et lumières d'une Europe Multiculturelle.
Pouvait-on pour ouvrir ce festival, trouver une artiste plus évidente que Waed Bou Hassoun ? Chanteuse et oudiste syrienne, elle est au premier plan concernée par cette actualité qui est venu la rejoindre en France la veille du concert. C'est tout naturellement qu'un hommage vibrant a été rendue aux victimes de cette violence inacceptable autant qu'incompréhensible par Jordi Savall et les hôtes du festival. Cet hommage a ensuite accompagné chaque concert, tant comme une évidence la quête, de la paix et la réconciliation, y résonne comme une basse obstinée.
Le répertoire de ce concert de fin d'après-midi rassemble pour l'essentiel les pièces que Waed Bou Hassoun a enregistrées sur deux albums intitulés, La voix de l'amour et l'âme du luth paru chez Musiques du Monde (Universal).
Le répertoire est un savant mélange de poèmes contemporains et anciens de l’univers ésotérique soufis avec en particulier des pièces d'Ibn Arabi (un philosophe qui avait une conception très ouverte de la religion), ou de Rabia al Adawiyya al Quaysiyya (une ancienne courtisane, dont les talents de poète et de musicienne furent mis au service d'un mysticisme à la fulgurance sensuelle).
Si bien sûr, on ne peut s'empêcher de penser à Oum Kalsoum en l'écoutant, Waed Bou Hassoun, dépasse pour nous son modèle. Son timbre de miel ambré, cette façon de dire, d'envoûter son auditoire, a quelque chose de purement onirique. La jeune interprète nous offre un équilibre parfait entre poésie, musique et rythme. Sous la lumière du soleil couchant, dans les jardins de Fontfroide, sa voix semble répondre aux murmures de la source des lieux. Sa beauté aristocratique, nimbée de lumière, évoque l’Orient des seigneurs du désert et d’anciennes civilisations. Elle nous invite à lâcher prise, à nous enfuir loin de toute contingence réelle, à l’amour contemplatif et si déchirant évoqué par certaines miniatures du monde arabe illustrant, telle celles de Hadẗh Bayâd wa Riyâd la complexité des relations amoureuses.
Le soir, c'est dans l'abbaye que nous nous sommes retrouvés pour un nouveau programme, de Jordi Savall et ses ensembles au grand complet – Capella Reial de Catalunya, Hespérion XXI et le Concert des Nations, auxquels se sont rajoutés les musiciens d’Orient et l’ensemble vocal Orthodoxe/Byzantin Panagiotis Neohoritis. Venise Millénaire, les Portes de l'Orient, première des grandes fresques données cette année, a été créée la veille à Arc et Senans et sera donnée à la Philarmonie de Paris cet hiver.
Cette ville évocatrice de voyages vers l’ailleurs, de bateaux sur le départ, de quais couverts de richesses, d’épices, de soieries et qui a vu passer tant d'aventuriers, de marchands, de vagabonds, tant de musiciens et de poètes, qui a toujours refusé de se plier aux dogmes, qui a vu naître l'opéra, permet à Jordi Savall de nous faire entendre toute la splendeur de la diversité de ces univers qui viennent s'y côtoyer.
C'est par la luxuriance du monde byzantin que s'ouvre le concert. Par un chant, prière de paix que nous adresse l'ensemble vocal orthodoxe/byzantin Panagiotis Neohoritis. Tout au long de la soirée, cette mélopée, musique des mots et du silence, nous captive par son côté grave et épuré.
Du Moyen-âge à nos jours, les œuvres choisit par le maestro catalan pour bien plus qu'illustrer ce Livre des Merveilles qu'il nous livre ici, le rendre vivant, chatoyant puise dans un répertoire opulent, provenant de tous les horizons qui se sont croiser à Venise durant ce millénaire.
Et l'émotion, naît de cette densité, de cette superbe pluralité des cultures humaines. Des chants orthodoxes aux psaumes des traditions catholiques, de l'Italie à Istanboul, de la Grèce à la Turquie, de Monteverdi à Mozart, Beethoven et Arvo Pärt, tout ici est invitation au respect et à l’amour de la différence.
Les couleurs de l'orchestre sont d'une splendeur digne d'un Empire du milieu fantasmé. La complicité totale, entre musiciens et chanteurs, participe à la plénitude du bonheur que l'on ressent tout au long du concert. Violes, violons, sacqueboutes, flûtes, chalémie, psaltérion, harpe, luth, mais aussi kanun, santur, oud et le souffle profond et chaleureux du duduk sont autant d'appels au partage et à la générosité. Tous les interprètes sont en harmonie avec le maestro catalan, dont le travail de recherche pour constituer de tels programmes s'efface au profit de l'émotion.
Comment ne pas ici parler de l'interprétation de Testo par Furio Zanasi dans le Combattimento di Tancredi e Clorinda de Monteverdi. Tragique, poignant, combatif, son timbre doux et velouté et sa déclamation raffinée nous ont profondément touché tandis qu'en face de lui la soprano Hanna Bayodi-Hirt rend sensible la personnalité tourmentée de Clorinde.
Autre moment marquant de cette soirée ce superbe Mowachah interprété par Driss el Maloumi s'accompagnant à l'Oud avec à ses côtés Hakan Güngör véritable virtuose du Kanun (nous en reparlerons) et aux percussions David Mayoral. Instant de poésie où se caligraphie les peines d'amour en souples arabesques.

Le concert s'est conclu par le Da Pacem domine d'Arvö Part, rajouté pour rendre hommage aux victimes de l'attentat de Nice. Cette œuvre que Jordi Savall avait commandé au compositeur estonien à la suite des attentats de Madrid, va bien au-delà de la simple émotion, puisant dans la douleur sa résistance, elle est tout à la fois souffrance et compassion. Tétanisé par ce Cri musical bouleversant qui semble répondre à l'œuvre d'Edvard Munch, le public a marqué une minute de silence avant d'applaudir les interprètes de ce programme qui nous a emportés, loin, très loin du quotidien et de la brutalité de la réalité extérieure.

Je reviens prochainement vers vous pour la suite des concerts.

Monique Parmentier

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Le phénix et les voix du vent

20 Juillet 2016 , Rédigé par Parmentier Monique

Revenir... Renaître, retrouver à Fontfroide le chemin qui mène aux sources de la vie... Non ceux qui ont cru me faire douter n'ont pas réussi à atteindre ce que je suis vraiment... Mais m'ont soulagé du poids de mes doutes. Après m'être au propre comme au figuré brûlée au 3e degré, Je suis rentrée "à la maison" et j'ai retrouvé "ma famille"... Les voix du vent m'ont ramené aux Champs Elysées et bientôt un article, voir plusieurs en rendront compte. J'ai trouvé le bonheur et oublié, balayé les voix du malheur . À très bientôt sur ODB... Et en attendant gros bisous des Halles de Narbonne une ville de cœur, ma ville de cœur ... Celle de ma Renaissance. Merci à Jordi Savall, et aux musiciens ... Merci à Aline et Irene... Merci à toutes celles et tous ceux qui m'ont donné leur confiance amicale. Merci à Jérôme d'Odb Opera. Merci à celle qui désormais à ramener auprès du Maestro la lumière.

Merci Montsé... Très chère Montsé, une petite fée de la garrigue vous remercie pour votre lumineuse présence qui m'a guidé toutes ces années et permis de venir un jour découvrir ce festival unique.

Le phénix et les voix du vent
Le phénix et les voix du vent
Le phénix et les voix du vent
Le phénix et les voix du vent
Le phénix et les voix du vent
Le phénix et les voix du vent
Le phénix et les voix du vent
Le phénix et les voix du vent
Le phénix et les voix du vent
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Le phénix et les voix du vent
Le phénix et les voix du vent
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Le phénix et les voix du vent
Le phénix et les voix du vent
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CD Vox Cosmica d'Arianna Savall

22 Décembre 2014 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

sterne-5.jpgJe m'étonne en revenant sur mon blog après plusieurs semaines d'absences, de voir que certains dont j'ignore tout, puisque nul ne m'a jamais laissé de messages, le visitent.

 

J'ai pris la décision, de ne plus écrire de chronique de CD et de me contenter de couvrir quelques concerts pour Classique News et Odb Opéra. Ce blog avait été créé pour être animé en compagnie de quelqu'un qui a choisi de me lâcher, malgré de multiples promesses d'amitié éternelle. Il m'a fallu faire mon deuil. Mais poursuivre seule la tâche, a fini par me sembler impossible. Je prenais du retard et j'accumulais des piles de CD et livres que j'aurais été bien en mal de traiter. Et plus la pile grossissait et plus cela me pesait, me faisant perdre d'autant plus le plaisir, qu'il n'y avait aucun partage.

 

Une seule artiste est parvenue à me faire changer d'avis : Arianna Savall. Comme sa mère, avant elle, elle a su me toûcher par sa générosité. C'est une personne chaleureuse et merveilleuse et une artiste sensible et talentueuse.

 

Cette dernière chronique de CD, que je viens d'écrire, se trouve sur Classique News où vous pourrez la lire. Si vous voulez faire un beau cadeau à quelq'un que vous aimez Vox Cosmica, sera le plus beau que vous puissiez faire à cette personne.

 

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Quant à mon blog, j'ignore si je le poursuivrais et de quelle manière. Je dirais probablement, mais j'ai besoin d'y réfléchir.

 

Je souhaite à toutes celles et ceux qui passeront ici une belle et heureuse année 2015.

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