Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Susanna Huygens

Histoires sacrées : la sensualité italienne,le cœur qui bat de la Chapelle Royale

27 Avril 2013 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

judith_ou_bethulie_liberee_le_massacre_des_innocents.jpgMarc Antoine Charpentier (1643 - 1704) : Judith ou Béthulie libérée et le Massacre des Innocents
Les Pages, les Chantres & les Symphonistes du Centre de musique baroque de Versailles (CMBV), direction, Olivier Schneebeli
Si ce CD ne nous offre qu'une partie d'un concert  de la saison d'automne 2012 du CMBV, ce que d'aucuns pourront toujours regretter, il n'en est pas moins la preuve du travail remarquable réalisé par Olivier Schneebeli à la tête de la meilleure maîtrise de France : les Pages et les Chantres de cette institution fondamentale pour la redécouverte du répertoire baroque français.
Dans les deux œuvres figurant ici, c'est tout l'art de Marc-Antoine Charpentier que l'on retrouve. Ce disciple de Carissimi, représentant du style italien en France, nous offre dans Judith comme dans le Massacre des Innocents un langage musical dissonant et très dense du point de vue contrapuntique, en total opposition au style français de Lully.
Ce sont deux des histoires sacrées qu'il a composé, dans sa riche production, que l'on découvre dans ce programme de concert. Tout d'abord, Judith sive Bethulia liberata, datant de 1660, époque où Charpentier revient de Rome. Le texte en est adapté de l'Ancien Testament. Elle comporte deux parties, la première se passant dans la Cité de Béthulie dont Holopherne et les Assyriens font le siège en privant d'eau ses habitants. La seconde se déroule dans le camp d'Holopherne où Judith, une veuve d'une grande beauté, se rend pour les délivrer. Elle parvient à mettre en confiance et à faire boire, le chef des Assyriens puis lui tranche la tête pendant son sommeil. Elle retourne alors parmi les siens pour leur annoncer leur délivrance.
angesvCaedes Sanctorum Innocentium daterait de 1683. Cette histoire sacrée relate une histoire sombre et terrifiante, qui démontre que le pouvoir peut conduire aux pires exactions : le massacre des enfants de Béthléem ordonné par Hérode. Le texte ne provient pas de fragments bibliques, mais recourt à l'Evangile selon Saint Mathieu pour l'exorde de l'Ange qui vient demander à Joseph et Marie de fuir en Egypte. Charpentier y déploie tour à tour un style aussi bien guerrier ou plaintif, mêlant la terreur et l'espérance, l'abjection et le divin.
Ces histoires sacrées trouvent leur filiation dans les grands oratorios romains et sont un genre très prisé au XVIIe siècle. Elles témoignent d'une spiritualité exaltée, toute en ombre et lumière, dignes filles musicales du caravagisme.
La première qualité de l'interprétation que l'on remarque d'emblée, c'est la déclamation soignée, tout aussi bien du chœur que des solistes. Elle relève la dimension tragique des textes chantés. L'équilibre entre les différents pupitres, la grande opulence des couleurs et des ornementations, l'engagement dramatique de tous, y compris des musiciens, nous racontent des histoires, qui vibrent dans toute leur passion et leur théâtralité.
Deux des solistes, sont issus de la maîtrise versaillaise, le jeune haute-contre Erwin Aros et la soprano tchèque Dagmar Sasková. Tous deux possèdent des timbres lumineux, fruités et inspirés, une projection soignée et claire. La Judith de Dagmar Sasková, possède l'autorité naturelle et l'abattage de ce personnage, qui ne recule devant rien pour sauver son peuple, soutenue par une foi absolue. L'ange d'Erwin Aros est un messager convaincant et apaisant.
angev2Dans les rôles d'Holopherne et d'Hérode, la souplesse vocale d'Arnaud Richard caractérise ses personnages avec puissance tout en en soulignant les failles qui finissent par les anéantir. Jean-François Novelli manie l'expressivité avec subtilité et un sens du pathétique qui révèle tant la faiblesse que l'accablement qui sourde d'Ozias.
Du chœur émane tout à la fois la noblesse et la sensibilité, une lumière qui enveloppe, un désespoir qui poignarde, une espérance qui irradie, une sensualité baroque que caresse le soleil à son coucher.
Les musiciens réunies pour ce concert, apportent des couleurs et des contrastes tout en clairs-obscurs. La direction attentive et souple, aristocratique et généreuse d'Olivier Schneebeli dessine avec conviction des univers à la spiritualité incandescente. Il met en gloire ce style unique, qui permet à la Chapelle Royale de retrouver sa musique et de donner aux anges d'or et de pierre un coeur qui bat. La prise de son naturelle et chaleureuse, met en valeur l'acoustique idéale, pour ce répertoire, de la Chapelle Royale, tandis que le livret s'il n'évite pas quelques coquilles dans le texte, illustre et documente avec beaucoup de soin, le caractère vibrant et à fleur de peau de cet enregistrement.

Judith sive Bethulia liberata H391 
(Judith ou Béthulie libérée), solistes :
Dagmar Sasková, Judith ; 
Erwin Aros, historicus et ex Israel I ; Jean-François Novelli, Ozias, 
historicus ex Israel II ; Arnaud Richard, Holofernes,
 historicus ex Assyriis, historicus ex filiis Israël ; Marie Favier, (Chantre), Ancilla 
; Jozsef Gal, (Chantre), soliste in historici ex filiis Israel ;
 Hugo Vincent, (Page), soliste in chorus ex Israel

Caedes Sanctorum Innocentium H411 
(Le Massacre des Innocents),  Solistes
Erwin Aros, Angelus
 ;
 Jean-François Novelli, Historicus ; Arnaud Richard, Herodes

Dagmar Sasková, Mylène Bourbeau (Chantre), Marie Favier (Chantre), chorus matrum A -
Paul Figuier (Chantre), Alix de la Motte de Broöns et Hugo Vincent (Pages), chorus matrum B
1 CD K617 durée : 59'19 - Enrigistré en public à la Chapelle Royale à Versailles les 5 et 6 octobre 2012 dans le cadre des concerts des journées d'automne co-réalisées par le CMBV et Château de Versailles Spectacles - Réf K617242 - Code barre : 3 383510 002427
 
Les Pages, les Chantres & les Symphonistes du Centre de musique baroque de Versailles - Direction, Olivier Schneebeli
 
Les Symphonistes : Benjamin Chénier, violon 1 ; 
Léonor de Recondo, violon 2 ; 
Pierre Boragno, flûte 1
 ; Jean-Pierre Nicolas, flûte 2
 ; Krzysztof Lewandowski, basson
 ; Sylvia Abramowicz, viole de gambe ; 
Eric Bellocq, théorbe
 ; Fabien Armengaud, orgue positif et clavecin
Droits photographiques : photos prises par mes soins à la Chapelle Royale/Château de Versailles
Lire la suite

Lord Gallaway's Delight : Ensorcelante Irlande

14 Avril 2013 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

lord-gallaway-s-delight.jpgLord Gallaway's Delight

Les Witches

Guest : Siobhán Armstrong - Early Irish Harp

 

Voici un CD dont l'onirisme est tout à la fois une invitation au voyage vers l'inconnu et à une redécouverte d'un répertoire qui nous raconte l'histoire des peuples celtiques et de leur musique et tout particulièrement, celle des Irlandais. Les Witches nous dévoilent avec sensibilité et talent, cette Irlande, pays où les fées se jouent des vents et de la brume, et dansent dans des cercles envoûtés, attirant dans leur univers tous celles et ceux qui en quête de paix ne demandent qu'à retrouver l'harmonie. 

Les Witches n'en sont pas à leur premier expérience irlandaise, puisqu'en 2002, ils avaient déjà enregistré, des mélodies issues de la verte Erin, Nobody's Jig. Mais la présence lumineuse de la harpiste irlandaise Siobhán Armstrong, apporte ici une touche d'authenticité tout à la fois musicale et d'âme, de cette âme irlandaise qui a traversé les épreuves et l'éloignement, grâce au maintien de ses traditions. Il n'est pas difficile ici de s'imaginer dans des pubs irlandais, à la veillée, avec musiciens, chanteurs et conteurs, évoquant les contes et légendes d'un peuple, de tous ceux qui ont aimé et résisté avec passion. 

trinity-college-harp.jpgL'Irlande est le seul pays au monde, dont l'emblème est un instrument de musique : la Harpe. Et dans la musique de ce pays, elle tient  une place unique. Accompagnant poètes et bardes liés à l'aristocratie gaélique, c'est un instrument jugé bien supérieur au luth, en raison même de sa complexité. Elle a bien failli disparaître, privée par l'exode du peuple irlandais, de son public et de ses interprètes. La dernière d'entre elles, est aujourd'hui conservée à Dublin au Trinity College. Siobhán Armstrong a donc fait reconstituer cet instrument si particulier. Munie d'une caisse de résonance généralement taillée dans un rondin unique de saule, et de cordes métalliques en laiton, (en argent, voir en or), elle offre une sonorité d'une douceur magique, irréelle.

Toutes les pièces que vous entendrez ici, ont été choisies avec le plus grand soin, afin de nous offrir ces instants uniques, nous permettant d'apercevoir toute la beauté des paysages irlandais. Cette musique fit l'objet de nombreuses éditions depuis le XVIIe siècle, lui permettant d'arriver jusqu'à nous. Les Witches font donc d'abord  un travail musicologique de grande qualité, leur permettant de retransmettre ce répertoire "savant" et "populaire" qui de la Renaissance à l'époque baroque et au-delà a entretenu toutes les particularités de la culture insulaire de cette terre du "bout du monde". Toutes ces mélodies ont beaucoup voyagé en terre gaélique. De L'Ecosse au Pays de Galles, en passant par l'Irlande, elles ont été reprises et arrangées au cours des siècles. Parmi les publications qui ont beaucoup comptées pour les Witches, la toute première dédiée à des airs uniquement irlandais, des Neal père et fils, The most celebrated irish Tunes, date de 1724. "Ce sont des variations destinées aux amateurs qui témoignent du goût pour l'improvisation sur des Grounds", mais dans cette compilation, on trouve également des mélodies, dont presque toutes sont dues à des joueurs de harpe (Harpers). S'il est parfois difficile d'attribuer certains airs, à un compositeur, le plus connu d'entre eux Turlough Carolan (1670-1738) nous a laissé sans aucun doute Mary O'neil et Sir Ulick Burke que vous pouvez entendre ici. En revanche un doute subsiste, pour Molly Halfpenny (plus connue sous le titre de Carolan's Dreame). Mais au fond qu'importe, pour le public, c'est le résultat confondant de beauté qui ici nous subjugue.

irlande_940x705.jpgLes musiciens dessinent des arabesques sonores, mélancoliques et sensuelles. Le violon ou le cistre au son parfois un peu âpre mais si taquin, nous entraînent dans une danse envoûtante. Personnages folkloriques ou mythologiques, créatures fantastiques nous tendent la main pour les accompagner dans des gigues endiablées, tandis que la harpe où les flûtes nous enveloppent dans une sensation d'ailleurs ensorcelante, ouvrant les horizons à l'infini. Ld Gallaway's Lamentation, ou Counsellor Mc Donoghs Lamentation nous fascinent par ce doux dialogue entre le son cristallin, limpide et pourtant si moelleux de la harpe qui semble apaiser le chagrin et la douleur que laissent sourdre les autres instruments. Mais s'il est un titre dans cet enregistrement, dont l'interprétation, nous livre cette âme irlandaise si farouche et pourtant si douce, c'est bien Molly Halfpenny que je retiendrai. Les larmes de la harpe, y expriment la poésie étrange, fascinante et merveilleuse d'une terre que l'on ne peut oublier si l'on en est un enfant.

Laisser vous séduire par les Witches et Siobhán Armstrong (fées et leprechauns) qui ne demandent qu'à vous enchanter avec ce nouvel opus consacré à l'Irlande, terre de passions et de rêves qu'ils ont su apprivoiser.

 

1 CD Alpha - Durée : 78 ' - Enregistrement réalisé du 20 au 23 mars 2012 à la Courroie (Entraigues sur la Sorgue)

Enregistrement, direction artistique & mastering : Hugues Deschaux - Réf : Alpha 534 - Code barre :3 760014 195341

Crédit photographique : © DR

Lire la suite