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Le blog de Susanna Huygens
Articles récents

Des ténèbres à la lumière dans l'Italie du Seicento

2 Juillet 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

Visuel-copie-1.jpgLeçons de Ténèbres

Samedi saint dans l'Italie du Seicento

Il est des CD que l'on reçoit parfois des artistes, sans avoir rien demandé. Malheureusement il arrive qu'ils nous parviennent à un moment où l'on n'est pas forcément prêt à les entendre, au risque de passer à côté. C'est un peu l'histoire de cet enregistrement, le premier de l'ensemble in Musica Veritas qui m'est arrivé à la fin du printemps à un moment où la musique qu'il nous propose ne pouvait en aucun cas me convenir.

Une chronique ne me vient jamais comme cela. Être touché par un disque, puisque je fonctionne au coup de cœur, ce n'est pas quelque chose d'aussi évident qu'une critique froide et objective. Mais l'intérêt d'un blog, c'est qu'on a le temps pour nous et que contrairement à la presse papier ou à certains grands sites internet, aucun soucis éditorial ne vient m'obliger à faire dans l'urgence et en la bâclant cette fameuse chronique, que certes les artistes attendent, mais dont il vaut mieux qu'elle soit faite au moment où le désir est éveillé, où l'on est prêt à recevoir un don aussi merveilleux que celui qui est fait par quatre musiciens. Il crèe ici un véritable bijou baroque comme je les aime.

Les clairs obscurs de l'Italie du Caravage se retrouvent ici, dans toute leur poésie, leur violence et leurs subtilités. Ici est développée une palette riche en nuances, proche du silence et de la méditation, exprimant la souffrance avec une sensibilité à fleur de peau, un humanisme sans fausse délicatesse, où le doute et l'espérance tourmentent et libèrent l'âme

Bien que ce soit en France au XVIIe siècle qu'est né le genre proprement dit des "Leçons1312236-Le Caravage le Couronnement dépines de Ténèbres", elles s'inscrivent dans la liturgie de la Semaine Sainte depuis le Ve siècle. Si la discographie est abondante pour ce genre, les "leçons" proposées par l'ensemble In Musica Veritas, se révèlent particulièrement originales et passionnantes. Il nous offre de découvrir la liturgie du Samedi Saint telle qu'on aurait pu l'entendre dans la première partie du XVIIe siècle en Italie. Afin de reconstruire un corpus idéal, les musiciens de ce jeune ensemble, ont fait appel à différents compositeurs italiens, assez méconnus si ce n'est peut - être Merula et Sances. Mis bout à bout, ces différentes pièces instrumentales et vocales nous conduisent sur des chemins de croix, où la nuit semble devoir tuer toute espoir. L'esprit n'a plus d'autres voies tandis que la nuit se fait et que les cierges s'éteignent durant l'office, que de suivre la musique qui devient lumière, cette voix qui chante, qui prie, qui exprime l'absolue souffrance et dont émerge pourtant l'espérance. Quoi de plus terrible que ces sons discordants du jeu de régale, si criards et éraillés, hurlant la douleur, comme celle que provoque ce fouet qui claque et qui cingle et l'amertume âpre du vinaigre qui vient remplacer l'eau que le crucifié supplie de recevoir, qui ouvrent le CD. Nous rappelant que nous partons sur des chemins d'ombres et de douleurs, le jeu de Pierre Gallon à l'orgue est d'une grande intelligence, riche et expressif. La sacqueboute de Franck Poitrineau et le cornet à bouquin de Judith Pacquier, viennent enrichir le continuo avec suavité. La somptuosité de leur interprétation enrichit le dialogue avec le timbre si troublant et envoûtant de la Mezzo-soprano Alice Habellion. La voix appelle au recueillement. Elle est charnelle et pourtant si lumineuse, puissante et si bouleversante. Elle semble comme habitée par cette passion mystique. Ainsi des Lamentations pour le Samedi Saint de Francisco Soler, au psaume "Super Flumina Babylonis", au Stabat Mater Dolorosa de Giovanni Felica Sances, elle nous donne une interprétation unique, poignante et intime. Ses aigus déchirants, ses graves profonds et pourtant si sensuels, nous hypnotisent, nous captivent et nous permettent de traverser cette nuit qui lorsqu'elle se referme, ouvre à la lumière éternelle promise.

Ce premier Cd est une très belle réussite. Ces interprètes y expriment avec une sensibilité rare, tout ce qui dans la musique de la Contre-Réforme, peut expliquer par sa beauté, ainsi rendue, ce qui a permis a beaucoup d'hommes et de femmes au XVIIe siècle de trouver du réconfort  en se laissant séduire par la beauté du diable ou de l'ange. Elle leur permettait ainsi d'affronter une vie pleine de doutes et d'angoisses et une mort si froide et solitaire. Par ailleurs le répertoire que l'ensemble In Musica Veritas vous propose est d'une telle rareté qu'il ne peut que vous séduire. Enfin la prise de son est une réussite. Parfaitement équilibrée, elle offre aux musiciens, un moelleux, où la lumière et l'encens, semblent porter l'esprit de la musique au-delà de la conscience. 

 

Par Monique Parmentier 

In Musica Veritas - Direction et orgue : Pierre Gallon, Alice Habellion, mezzo-soprano

1 CD Ad Vitam records -

Durée : 60'56" - Enregistré au Temple de l'Eglise réformée de Limoges du 1er au 4 mars 2011

 

Copyright : Kunsthistorisches Museum, Vienne pour le Couronnement d'Epines du Caravage

 

Pour vous procurer ce CD n'hésitez pas à vous rendre sur le site du label Advitam Records

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Quand l’Italie illuminait le nord

28 Juin 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

visuel_chapelle_rhenane.jpb.jpgHeinrich Schütz (1585-1672)

Psalmen Davids : La Chapelle Rhénane, direction Benoît Haller.

Le voyage en Italie a longtemps représenté l’obligé dans la construction solide d’un artiste de l’Europe du Nord. Le fait est bien connu pour les peintres peut être moins pour les musiciens. Heinrich Schütz a fait deux voyages en Italie, à Venise, pour apprendre, découvrir, rapporter des partitions pour son prince et sa chapelle. Son premier voyage date de 1609 à 1612 où il va devenir l’élève de Giovanni Gabrieli. Peut après son retour, il quittera Kassel pour devenir directeur de la musique de la cour de Dresde. On voit donc, outre le talent progressif de Schütz, comment cette influence italienne produit un effet favorable en termes de carrière.

 

david_harpe.jpgLes Psaumes de David ont été publiés en 1619 mais ont probablement été, pour partie au moins, composé les années précédentes. Directement issus de cette période de formation, ils constituent une fusion entre la culture luthérienne solide du musicien de la Hanse et la luxuriance toute catholique Italienne. Ces pièces sont d’une grande variété, rarement sur le modèle du madrigal, plus souvent sous forme de doubles voir triples chœurs, des alternances très fluides de petits moments solides et de duo, trio quatuor de solistes opposés aux chœurs.

L’intrumentarium n’est pas précisément indiqué mais l’on sait qu’étaient utilisés toutes sortes d’instruments en fonction des possibilités du moment. Pour l’interprète avisé contemporain, ces pièces sont un véritable bonheur autorisant à une quasi recomposition ! Entendons nous, tout n’est pas permis mais beaucoup.

De l’héritage luthérien, c’est avant tout le texte allemand qui est au premier plan et dirige la musique. La langue vernaculaire toujours parfaitement compréhensible pour le croyant est magnifiée par la musique. Et si elle fait parfois disparaître le texte sous la luxuriance des lignes qui s’entremêlent il est encore plus clairement rendu à la lumière ensuite. Benoît Haller et sa Chapelle Rhénane sont des quasi-spécialistes de la musique de Schütz après de nombreux enregistrements magnifiques et des concerts explorant cette époque. L’amour pour ces psaumes de David est flagrant et cette sélection présente des pièces variées et très représentatives des beautés nombreuses de ces psaumes. Dès les premières notes du Herr, unser Herrscher après un appel compact les instruments se révèlent tandis que les lignes vocales se disjoignent et s’individualisent. Tout n’est que beauté, élégance et joie de chanter. Les voix sont toutes belles, jeunes et enthousiastes dans une projection naturelle aisée. Les instruments évitent orgue et clavecin. Tout est donc aéré dans la texture de cette musique parfois compacte. Harpe, théorbe, violone assurent un continuo solide et souple à la fois, cornet à bouquin, dulciane, violons et violes de gambe soutiennent les chanteurs ou tiennent leurs parties.

chapelle_rhenane_tutti.jpgTout vit et une intense circulation de musique semble vrombir dans une belle lumière. Les sacqueboutes et les instruments sombres  saisissent l’auditeur dès les premières mesures de ce qui n’est pas un Psaume de David mais un verset du prophète Jérémie ? Texte plus personnel, traité avec beaucoup d’originalité par Schütz dans un clair-oscur très pictural. Les traits de harpes avec les voix de soprano font des trouées de lumière dorée dans la laque noire. Il en sera ainsi de chaque pièce choisie et ordonnée par Benoît Haller afin de stimuler l’écoute par une admiration enchantée pour la variété d’inspiration du Saggitarius naissant. Cette composition si riche entre lumière solaire vénitienne et brumes du nord  est loin d’être caricaturale, bien trop réussie elle enrichit le discours musical et là même met le texte magnifiquement en valeur. La sauvagerie de certains moments contraste tant avec la délicatesse d’autres et signe bien la complexité de cette époque baroque ou la mort rôde. Il a même un traitement plein d’humour de pages de louanges assez naïves comme Jauchzet dem herren ou Alleluya ! Lobet den Herren  avec des percussions sauvages et des petites flûtes sylvestres. La direction de Benoît Haller est organique, naturelle et souple emplie de dynamisme. On sent le réel plaisir à chanter ces musiques si diverses. Chaque instrumentiste et chaque chanteur à un moment ou un autre se distingue mais c’est le travail collectif qui au final est le plus admirable tant l’énergie est démultipliée par cette complicité de tous les instants.

 

Un seul petit reproche pourquoi K617 n’a pas jugé bon d’enregistrer l’intégrale des Psalmen David ? Et une proposition : une intégrale de la musique de Schütz par des interprètes si convaincants ne serait pas pour déplaire aux discophiles.

 

Prise de son aérée et qui permet une parfaite spatialisation des voix et des instruments.

 

Par H. S. 



1CD K617 Code barre : 3 383510002373.

Enregistré en janvier 2009 dans la salle de concert de la Ferme de Vilefavard.

Durée 59’49’’. 

 

Copyright :

- gravure du Roi David par François Chauveau/RMN/Nancy Musée des Beaux Arts

photo de la Chapelle Rhénane : DR 


 

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Jesu amantissime : une flamme divine

22 Juin 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

visuel-copie-1.jpgAprès deux CD consacrés à Bach, dont un superbe de virtuosité et de caractère des concertos pour clavecin, les Folies Françoises avec à leur tête et au dessus de violon, Patrick Cohën-Akenine, nous reviennent au disque avec un enregistrement de musique spirituelle française vocale et pour orgue, d'André Campra et de Jean-François Dandrieu.

Il s'agit en fait du programme d'un concert donné à l'occasion des Grandes journées Campra à l'automne 2010 à Versailles. Un certain nombre de pièces pour orgue de Dandrieu venant l'enrichir au disque.

 Cet enregistrement des Folies Françoises, leur rend justice avec talent à travers le genre du petit motet pour Campra et des pièces pour clavier et une sonate en trio de Dandrieu.

Il est difficile en quelques mots de résumer toutes les qualités de deux compositeurs d'une période de transition entre fin de règne à Versailles et grande liberté créatrice autour du Concert Spirituel. Campra et Dauvergne ont en commun d'avoir tous deux travaillé au service du Régent et de la musique de la Chapelle Royale. Tous deux sont à l'aube d'une ère nouvelle pour la musique mais parce qu'ils appartiennent à une période de transition, ils sont souvent considérés comme des compositeurs mineurs et donc plutôt méconnus, alors que chacun a permis à la musique de se renouveler, faisant évoluer des formes existantes et en en créant des nouvelles.

Chapelle-Poeme-074.jpgMais une fois n'est pas coutume, c'est du livret, qui parle si bien des deux compositeurs et dont le seul défaut est d'utiliser des caractères un peu trop petit pour une mauvaise vue, que je vous parlerais en premier. Sa lecture se révèle un vrai plaisir. Ecrit par Thomas Leconte, un des musicologues spécialistes de ces compositeurs qui travaille CMBV (Centre de Musique Baroque de Versailles). Il s'agit en fait du résumé des notes de programme du concert donné en octobre 2010. Il ne peut que vous encourager, à vous intéresser aux publications de ce Centre se dévouant avec passion depuis plus de 20 ans au service de la musique baroque française,et grâce à qui elle a aujourd'hui a retrouvé toute sa place au répertoire. Je ne peux que vous en recommander la lecture. 

 

Par ailleurs pour cet enregistrement, Patrick Cohën-Akenine et Cécile Garcia-Moeller disposent chacun d'un des dessus de violon, conçu pour nous restituer le son de l'orchestre à la française par le CMBV et les luthiers Antoine Laulhère et Giovanna Chittó.

 

PatrickCohenAkenine.jpgLa carrière de Campra est particulièrement révélatrice des changements de style qui s'amorcent en ce début du XVIIIe siècle. Le style italianisant qu'il insuffle à la musique française apporte plus de lumière, plus de couleur, plus de liberté à la voix.

Ici, grâce au talent des interprètes nous percevons clairement les évolutions du petit motet, genre que pratiqua Campra au début et à la fin de sa carrière. Du style français de ses débuts, à la beauté faite d'humilité et de limpidité (Quam Dilecta), au style italien parfaitement assumé (Salvum me fac Deus), il enrichit sans cesse sa palette, au contact du théâtre. Ses petits motets destiné à de petits effectifs (de une à trois voix), mettent en valeur les voix des solistes.

Les quatre instrumentistes des Folies Françoises apportent une tendre lumière, celle des dessus de violon, et une rondeur suave celle de l'orgue et de la basse de violon, aux trois solistes. Les chanteurs trouvent en eux plus qu'un appui. Ce sont des alter ego qui dialoguent pour mieux se séduire et nous enivrer avec une virtuosité si italianisante.

 

La ductilité vocale de Jean - François Lombard (haute-contre) et de Marc Labonnette (basse-taille), nous envoûte ainsi que leur timbre qui jouent sur les contrastes et leur riche expressivité favorise l'élan dramatique.

J_F_Novelli_CB.jpgQuant à Jean-François Novelli, par son timbre radieux et incandescent, son éloquence si poétique et bouleversante, il séduit aussi bien dans le trio de "Quam Dilecta" (motet issu du tout premier livre de motet Campra, au style encore si français) que dans « Beati Omnes » (issu du dernier livre de motet de Campra de 1706). Le plaisir des trois interprètes est si évident, que toute la sensualité de cette musique devient aussi ardente qu'une flamme qui sans cesse s'élève. 

SMA_Jean-Francois_Lombard.jpgEn complément de ce programme les pièces instrumentales de Dandrieu sont de véritables petits bijoux. Et la musicalité si radieuse des dessus de violon et tout particulièrement celle de Patrick Cohen-Akenine est un véritable enchantement. Sur l'orgue de l'Abbaye de Saint-Michel en Thiérache, François Saint Yves, fait preuve tout à la fois de délicatesse et d'une grande subtilité. Il nous révèle toute la beauté d'un instrument qui date de 1714, restituant tout comme les dessus de violon, la musique que composèrent et entendirent Campra, Dandrieu et leurs contemporains.

La prise de son est ample, chaleureuse et équilibrée. Elle offre ainsi un cadre idéal à des musiciens inspirés. Un Cd qui mérite toute votre attention. Il se révèle au fil des écoutes d'une telle richesse que vous ne vous en lassez pas.

Par Monique Parmentier

 

Photo :

- personnelle des anges musiciens de la Chapelle Royale à Versailles

- DR Jean-François Novelli, Jean-François Lombard et Patrick Cohën-Akenine

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Tomas Luis de Victoria : la clé du renoncement

2 Juin 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

5400439000056.jpgTomas Luis de Victoria - Officium Defunctorum - LPH

Collegium Vocale Gent

 

Philippe Herreweghe

 

Pour le cinquième disque de son label, Philippe Herreweghe quitte les géants Bach, Mahler et Brahms pour revenir au répertoire de musique ancienne qu'il a défendu avec tant d'ardeur par le passé et à un compositeur encore trop méconnu aujourd'hui : Tomas Luis de Victoria

Et l'enregistrement qu'il nous offre est certainement un des plus beaux cadeaux que l'on pouvait nous faire à l'occasion de la célébration du 400ème anniversaire de la mort de ce dernier.

Si de son vivant Tomas Luis de Victoria connu une reconnaissance qui lui attira la protection des plus grands, et ce dès son plus jeune âge, tant en Espagne sa terre natale qu'en Italie, où il séjourna, il nous reste encore beaucoup à redécouvrir de lui, même si depuis quelque temps, de plus en plus d'ensembles de musique ancienne, s'y intéressent.

Ce compositeur est le maître de la polyphonie espagnole de la Renaissance. De sa musique rigoureuse d'une grande complexité émane un mysticisme fervent. Ce mysticisme qui pouvait faire naître la plus belle des musiques et qui brûlaient les corps comme les âmes sans aucune forme de compassion. Qui pouvait donner les pleins pouvoirs à l'inquisition et en même temps évoquer l'amour de cette mère parmi toutes les mères, la vierge Marie avec une sensibilité et une sensualité si bouleversantes.

Tomas Luis de Victoria naquit à Avila, l'un des centres spirituels de la Contre-Réforme et fut l'élève de Palestrina. C'était un homme en quête d'une paix intérieure qui le mena sur les voix de cette musique si austère, qui élève sans cesse jusqu'à l'oubli de soi. Sa dévotion sincère et son humilité, ne l'empêchèrent pas de connaître une gloire internationale. Il servit dans la dernière partie de sa vie la  sœur de Philippe II, l'impératrice douairière Marie, veuve de Maximilien II, l'empereur du saint Empire romain.

L'officium Defunctorum enregistré ici, lui fut dédicacé. Publié en 1605, soit deux ans après son décès, c'est aussi la dernière œuvre publiée par Tomas Luis de Victoria, son "chant du cygne".

Et l'interprétation que nous en offre Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale Gent est tout simplement d'un irradiant et splendide dépouillement. Les 12 chanteurs réunis ici trouvent sous la direction souple et lumineuse de leur chef. Ils nous offrent les clés de l'harmonie, celles qui effacent la souffrance et permettent d'accueillir la mort comme une libération. Leur déclamation parfaitement maîtrisée donne aux paroles chantées toute leur force de conviction. Le tissu polyphonique est aussi léger qu'une soie qui miroite sous les feux d'une foi qui consume les peurs et les regrets. L'intensité dramatique de la "Missa pro defunctis" est ainsi rendue dans toute sa ferveur. La violence du chagrin se noue jusqu'aux larmes... ces larmes qui emportent le flot de la douleur.

Pour accompagner cette messe, des motets qui s'adressent à la Vierge en un langage parfois plus chatoyant mais toujours d'un grand raffinement que l'interprétation soutien avec une élégance et une sensibilité qui nous bouleversent.

Ce CD, où la prise de son équilibrée et fidèle et le livret soigné, est plus qu'un hommage rendu à l'un des plus grands compositeurs de la Renaissance. Il nous offre les clés d'un univers où règne une paix lumineuse.

Par Monique Parmentier

LPH 005 - 1 cd - Durée 59'40''

Livret : Français - Anglais - Allemand - Hollandais

Enregistré du 3 au 5 novembre 2011 à Notre - Dame du Liban, Paris

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Giacomo Torelli : un scénographe maître de l'art de l'irrationnel

27 Mai 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Dossiers Musique

carton_invitation.gifDécouvrir un univers où tout est possible, où le merveilleux règne, où musique et arts de la scène vous enchanteront, c'est à cela que vous invite le Signor Torelli, à un voyage au cœur de l'imaginaire baroque.

C'est à la Grèce antique que nous devons l'étymologie du mot "scénographie" : puisque que la "skênegraphia", désignait le décor, réalisé au moyen de panneaux peints, représentants des architectures. Giacomo Torelli fut le créateur de la scénographie "moderne"

 

 

Au XVIIe siècle, la scénographie tant en Italie pour l'opéra qu'en France pour le ballet de cour, tient une place essentielle dans les œuvres proposées au public. Elle lui offre des univers oniriques où l'impossible est roi. Dans ces spectacles, la quintessence de ce goût pour le rare et l'irrationnel qui caractérisent si bien l'esprit baroque s'exprime en une fusion totale de la musique et des arts de la scène, suscitant l'émerveillement, la surprise et l'émotion.

torelli.jpgSi j'ai déjà eu l'occasion de vous parler de certains des compositeurs, tel Francesco Cavalli qui fut à l'origine de l'opéra public à Venise, j'ai eu envie de vous évoquer non seulement celui qui fut l'un des plus grands scénographes du XVIIe siècle, Giacomo Torelli, mais également au passage, d'autres personnages moins connus tel Gissey, le costumier des premiers ballets de cour de Louis XIV.

Torelli avec Cavalli a en commun d'avoir séjourné en France. L'un comme l'autre ont eu une forte influence sur les évolutions du théâtre lyrique. Tous deux après un succès qui fût plus éphémère pour Cavalli regagnèrent l'Italie où ils finirent leurs jours.

 

Epouse-Torelli.jpgGiacomo naquit le 1er octobre 1604 à Fano, ville qui se situe sur les côtes de l'Adriatique où il mourut également en 1678. Il appartenait à une famille de petite noblesse. On ignore encore aujourd'hui dans quelles circonstances il fit le choix de devenir ingénieur. Il épousa le 20 novembre 1660 une parisienne de petite noblesse Francesca Sué.


Programme-fano.jpgSon premier spectacle dont on sait peu de chose date de 1633 à Fano et fut donné à la demande d'un noble répondant au nom de Gabrielli. Deux ans plus tard, il créa sa première société de spectacle avec un certain Giovan Francesco Bertozzi. En 1637, il monte alors la pastorale Filarmindo de Ridolfo Campeggi (1565 - 1624) toujours à Fano.

 

Les années vénitiennes.


IncognitiCrestS.jpgIgnotoDeo.jpgPour des raisons probablement politique, il quitte sa ville natale entre 1639 et 1640 et s'installe à Venise en 1641. Il y ouvre le Teatro Novissimo grâce à l'aide de ses amis de l'Accademia degli Incogniti, dont il est l'un des membres. Ce qui est une des nombreuses singularités de cette salle. Car contrairement à tous les autres opéras vénitiens, elle n'est donc pas le fruit de la volonté de paraître d'une famille patricienne, mais née de la complicité d'un ensemble de jeunes nobles de la Sérénissime. Bien au-delà d'une amitié de confrérie, tous ont en commun la volonté de célébrer la gloire de la Sérénissime.

 

s22torelli1 bellerofonteVenetia-edificata.gifAvant de continuer j'aimerais m'arrêter un cours instant sur l'Accademia degli Incogniti, car son rôle fut vraiment fondamentale dans l'apparition de l'opéra commercial public. Elle fût fondée en 1630 par le patricien Giovanni Francesco Lorédan (1607-1661). Les sujets des discussions entre membres de l'Accademia pouvaient aussi bien porter sur des questions relatives à la relation entre corps et âme, que sur la puissance des larmes à l'opéra, pour mieux en exprimer la puissance des sentiments amoureux. Ils eurent pour objectif de se livrer à une véritable propagande antipapale favorable à Venise.

Cette Académie fut fortement influencée par l'enseignement de Cesare Cremonini (1550-1631), professeur de philosophie à l'Université de Padoue. Ce philosophe eut de nombreux problèmes avec l'inquisition. Sa vision aristotélicienne du monde, en faisait un sceptique prêchant l'importance de "l'ici et maintenant" et de la valeur du plaisir qu'il plaçait bien au - dessus de la morale chrétienne.

  Cadmus et HermioneOn comptait parmi les membres de l'Accadémia de nombreux acteurs de la vie politique mais plus encore de la vie musicale vénitienne. Parmi eux Giulio Strozzi ou Gian Francesco Busennelo qui écrivirent de nombreux livrets d'opéra pour tous les compositeurs vénitiens dont Monteverdi. C'est à Busennelo que nous devons le Couronnement de Poppée. On y trouvait également un personnage particulièrement intéressant, le Marquis Pio Enea degli Obizzi (1592-1674) auteur d'un opéra monté à Padoue en 1636 dont le livret repose sur l'histoire de Cadmus et Hermione (que Lully devait mettre en musique en 1672 sur un livret de Philippe Quinault) l'Ermiona (sur une musique de Sances).

L'Accademia degli Incogniti su faire connaître le Novissimo en se donnant des moyens pour le moins moderne. La publicité en faisait partie. Ces membres firent également imprimer les livrets avant chaque représentation. Ils avaient avant tout une vision politique de l'opéra tendant à affirmer la splendeur de Venise par les arts et tout particulièrement la musique.

09farnese-platea_parme.jpgS'il ne nous reste même aucune gravure, ni plan du Novissimo, du moins savons nous un certain nombre de chose de cette salle, notammachine1JPGment qu'elle était en bois et disposait de cinq cent places construite selon les plans de Torelli lui-même. Ce dernier souhaitait y faire la preuve de son génie  et y montrer toutes ses nouvelles inventions en matière de machineries. Contrairement aux trois salles qui l'ont précédé c'est une salle neuve construite pour l'opéra ("eroiche opere, solamente in musica, e non commedie"). D'où son nom, Teatro Novissimo.

Anna Renzi

Elle est inaugurée le 14 janvier de cette année là avec la Finta Pazza (La Folle supposée), un drame de Giulio Strozzi (1583 - 1652) sur une musique de Francesco Sacrati (1567 - 1623). (Signalons au passage que Giulio Strozzi a écrit pour Monteverdi le livret de la Finta Pazza Licori, dont la musique est perdue, mais qui ne fut probablement jamais terminé. Pour cet opéra Monteverdi, avait particulièrement travaillé, l'interprétation de la Folie, pour lui essentielle. Des lettres qu'il a adressé à son librettiste, nous en apportent le témoignage). Des musiciens romains furent embauchés pour l'occasion. Et la première "prima donna" de l'histoire, Anna Renzi (c 1620 - après 1660) faisait partie de la distribution. Elle y tenait le rôle de Deidamia. Elle eut une brillante carrière ("e perfettissima voce") et créa le rôle d'Ottavia dans l'Incoronazione di Poppea. Plusieurs librettistes écrivirent spécialement pour elle, dont Giulio Strozzi avec la Finta Pazza et en 1644. Un livre écrivant ses louanges fut spécialement écrit à sa gloire. 

Livret_Finta_Pazza.gifLa Finta Pazza (voir livret original en ligne) fut donc le premier opéra qui fut monté au Novissimo. On peut le considérer comme le modèle de l'opéra vénitien par excellence. On y trouve tout ce qui caractérise le genre et que l'hiver dernier, l'Egisto de Cavalli dans la mise en scène de Benjamin Lazar avec le Poème Harmonique sous la direction de Vincent Dumestre, nous a rappelé et que la Calisto du même Cavalli, dans la belle mise en scène d'Herbert Wernicke sous la direction de René Jacobs nous avait permis de découvrir en 1993 .

D'un côté le burlesque, emprunt parfois d'obscénité tient une place non négligeable dans l' œuvre. Par ailleurs, les machines permettent de créer deux niveaux ou hommes et dieux partagent les mêmes affects. Ils se déplaçant tous de l'un à l'autre, semblant ainsi rompre avec les lois d'un monde jusqu'alors en parfaite harmonie. Entre le niveau terrestre qui est le monde des humains et le niveau céleste, celui des divinités, des passages y deviennent possibles, brisant ainsi des lois ancestrales. Enfin la scène de folie tient une place essentielle dans le livret.

s22torelli1 bellerofonteGiacomo Torelli, montre dans cette salle tout un savoir-faire qui prend en compte toutes les contraintes du lieu. A Venise, impossible de faire disparaître les décors sous la scène, c'est de la hauteur et de la profondeur qu'il joue. "Ses inventions sont nombreuses, en particulier sur les machines où son expérience d'ingénieur naval lui permet d'imaginer des systèmes permettant de créer l'illusion, des changements à vue rapides, des effets de perspectives et les "gloires", qui permettent de faire voler et se mouvoir dans les airs les acteurs". Ils sait enfin utiliser les éclairages avec subtilité, permettant des transitions en douceur entre les différentes scènes.

 

s23torelli4-copie-1.jpgS'il ne reste aucune image de la Finta Pazza, Torelli devait par la suite faire imprimer afin de les faire diffuser des gravures des différentes scènes des spectacles, dont celles du Bellerofonte qui suivi la Finta Pazza au Novissimo. Mais l'on sait par une publication de l'époque (Le Cannocchiale de Maiolino Bisaccioni, un noble gênois) qu'elles furent élaborées, riches en effets visuels.

s24torelli2-copie-1.jpgBellerofonte fut l'autre grande production du Novissimo. L'auteur du livret, Vincenzo Nolfi était lui-même un gentilhomme de Fano, la ville natale de Torelli. La musique fut composée par Sacrati. Les toiles furent réalisées par le peintre Domenico Bruni de Brescia (1600 - 1666). Bellerofonte fut conçu pour le théâtre à machines, en fonction des désirs de Torelli. Une distribution à la hauteur de l'événement en provenance de toute l'Italie fut réunie. Pour montrer l'importance de ce grand moment artistique, le prince Matthias de Médicis prêta le contralto Michele Grasseschi. La soprano Anna Renzi faisait bien évidemment partie de la distribution. Avec 8 décors et sept machines, cette production fût somptueuse. Le succès fut immense et Bellerofonte connût plusieurs reprises à travers toute l'Italie et les décors furent gravés par Giovanni Giorgi.

 

s25torelli5-copie-1.jpgUn certain nombre des complices de la création quitte après Bellerofonte le Novissimo pour retourner au Teatro San Giovanni e paolo (Strozzi et Anna Renzi en font partie), mais Torelli y monte encore Venere Gelosa dont il fait publier les images. Cet opéra fut composé par Sacrati sur un livret de Niccolo Enea Bartolini. En un prologue et trois actes, comme son titre l'indique, Vénus amoureuse y perd la raison, constamment sujette à des crises de jalousie.s27torelli6-copie-2.jpg

 

Il réalise également à la même période la scénographie d'un Ulisse Erante pour le San Giovanni.

Il achève son travail pour le Novissimo avec Deidamia. Il s'agissait d'une tragédie dont le livret fut écrit par Scipione Errico (Messine 1592 - 1670), un poète appartenant au courant marriniste et membre de l'Accademia degli Incogniti. La musique était de Francesco Cavalli. Deidamia fut présentée au public du 5 janvier au 30 mai 1644 puis redonnée à Florence le 8 février 1650. Ce fut à l'époque un véritable triomphe pour Torelli. Cette tragédie fut considérée à l'époque comme l'aboutissement de tout le travail réalisé par ce dernier au Novissimo. L'histoire présente des situations à la limite de l'improbable et l'on peut y voir un véritable manifeste de la "bizarrerie baroque". Seul Haendel devait également par la suite reprendre le scénario de cet opéra.

Geant2Le Novissimo qui passait pour le théâtre d'opéra le plus novateur de son époque, dès sa construction, ne connut que cinq saisons et fut fermé en 1645. Les propriétaires du Novissimo n'ayant probablement pas les moyens d'assurer le renflouement de la salle ruinée en partie par les extravagances de Torelli. Détruit, il fût d'abord remplacé par une autre salle de spectacle qui à son tour devait disparaître. Aujourd'hui on trouve sur son emplacement l'Ospedale Civile SS Giovanni e Paolo.

Quant à la carrière de Torelli, elle va connaître un tournant... Il va devenir le Grand Sorcier, au royaume du Roi Soleil.

Un second article reviendra sur sa carrière en France. Et j'enrichirais cette première partie avec le temps.

Bateaux_venitiens.jpgSources : 

- Actes du colloque (en italien) consacré à"Giacomo Torelli : L'invenzione scenica nell'Europa barroca" qui s'est tenu à Fano du 8 juillet au 30 septembre 2000

- Per Bjurström (1928) : Giacomo Torelli and stage design

- Jérôme de la Gorce : Divers ouvrages et articles

- Décorations et machines aprestées aux nopces de Tétis, 1654, ballet royal, BNF/Gallica, illustrations Israël Sylvestre

 - Feste theatrali per la Finta pazza, drama del sigr Giulio Strozzi, (texte imprimé et gravures en fin de volume) - 1645, BNF/Gallica, illustrations : Noël Cochin, (1622 - 1695)

- Dessein de la Tragédie d'Andromède de Corneille représenté sur le théâtre royal de Bourbon contenant l'ordre des scènes,la description des théâtres et des machines (de Giacomo Torelli) et les paroles qui se chantent en musique - 1650 - BNF/Gallica

- Olivier Lexa, L'Eveil baroque chez Karéline

 

Iconographie tous Droits réservés sauf indications contraires :

- Carton d'invitationTeatro S. Giovanni Grisostomo. Venice, Biblioteca del Civico Museo Correr

- Portraits de Torelli et de son épouse à la Pinacoteca Civica à Fano. 

- Gravure du fascicule réalisé par Torelli pour Filarmondo à Fano (1637)

- Degli Incogniti - Cantate, Ariete a una, due & tre voce de Barbara Strozzi publié chez Gardana à Venise en 1654

- Gravure Bellerofonte par Giovanni Giorgi avec Venise en toile de fond

- Venetia Edificata par Giulio Strozzi

- Cadmus et Hermione production du Poème Harmonique photo : E. Carecchio

- Théâtre Farnèse à Parme - Modèle pour un triomphe d'Amalia Castelli à Milan à l'Accademia di Belle Arti et Brera

- Anna Renzi, gravure, Venise 1644 extrait du livre Le glorie de la Signora Anna Renzi romana parJacobus PecinusVenetus Venice, Fondazione Scientifica Querini Stampalia

- Frontispice du livret de la Finta Pazza

- Porte de la Cité avec Venise en toile de fonds Acte I, scène 1 et 3 de Bellerofonte - Gravure réalisée par Giovanni Giogi en 1642 - Ile de Magistea (ile de la Chimère) Acte II, scène 3 - Grotte d'Eole Acte 1 - Scène 11

- Venere Gelosa - Peinture à l'huile sur toile anonyme - Cité de Nasso - Acte II, scène 1 à 7 et Acte III, scène 5

- Deidamia - Prologue, Statue d'Hélios à Rhodes - huile sur toile

- Armoiries de Giacomo Torelli

(Les tableaux des scènes de Venere Gelosa et de Deidamia appartiennent à une série offferte au Musée de Fano par le Comte Gregorio Amiani. Elles furent données à sa famille  par les descendants de Torelli).

Armoiries.jpg

 


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Bach drama

20 Mai 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

Visuel_drama.jpgJohan Sebastian Bach. Drama

 

Je comprends que certains n’aiment pas Bach. Y a t il un autre génie de cette trempe qui fait mieux que quiconque tout ce qu’il fait ? Cette étrange perfection formelle, alliée à la splendeur de l’écriture virtuose, la richesse des rythmes de danse, les instrumentations variées, l’appui constant sur le texte même dans les da capo tout est proche de la perfection. Aucun genre ne lui est étranger. Ceux qui le cantonnent dans la splendeur du genre sérieux vont en être pour leurs frais avec ce coffret, car le genre sinon comique du moins humoristique tient en trois œuvres des exemples de choix.

Ainsi le label Ambronay a fait confiance à sa découverte, le sémillant Leonardo Garcia Alarcon, pour recréer des œuvres profanes de Bach. Ces dernières sont écrites pour des événements « mondains » anniversaires, récompenses ou défis musicaux. Le Café Zimmermann qui avait aussi une salle de concert et un jardin en plein air servant l’été de salon de musique est probablement le lieu dans lequel ces œuvres ont été répétées et données en première audition entre cafés, bières et peut être chocolats et vins. Une ambiance amicale régnait et Bach n’était pas le dernier à trinquer nous assure Gilles Cantagrel qui signe un très beau texte accompagnant. Garcia Alarcon lui, justifie une admiration totale pour ces œuvres du cantor, alors que si tout n’est pas du niveau du sublime, rien n’est en dessous de ce qui est fait à l’époque. Ces trois cantates dramatisées, de style profane, sont composées sur des livrets en allemand pas forcement fins.

La dispute rhétorique entre Pan et Apollon est un peu raide et la victoire de la musique savante sur la musique populaire est abrupte. Car les airs sensés départager les deux divinités musicales sont de grandes qualités chacun. La fausse colère d’Eole est surtout l’occasion d’un chœur virtuose des vents à la riche orchestration du plus bel effet. La troisième cantate se veut édifiante, Hercule expliquant son choix entre Volupté et Vertu. La simplicité des livrets est contrebalancée par la richesse des partitions. Les chœurs sont splendides et les airs parfois d’une beauté saisissante et d’une virtuosité opératique. Les récitatifs sont concis et pas trop convenus. L’orchestration utilise tambours, timbales, trompettes, hautbois, basson, luth et cistre ainsi que nombreuses cordes, orgue et clavecin. C’est une des plus vastes palettes de couleurs envisageable. L’utilisation humoristique du basson est particulièrement réjouissante.

Les jeunes chanteurs choisis sont tous efficaces avec une mention particulière pour le ténor élégant et virtuose de Fabio Trümpy. Le chœur de Chambre de Namur est très à l’aise dans les grands portiques choraux comme dans les moments plus modestes. L’orchestre avec en Concertmeister Patrick Cohën-Akenine est virtuose et sensible. Rien n’a été lésiné afin de permettre une adhésion immédiate à ces récréations généreuses de partitions oubliées d’un Bach plus aimable entouré probablement d’étudiants. L’Abbaye d’Ambronay est le cadre qui a permis l’enregistrement des deux premiers drama mais c’est un concert capté par Arte qui est offert en DVD qui permet le mieux de percevoir l’engagement du chef qui dans un enthousiasme généreux, tous sourires dehors, dirige ses troupes avec gourmandise.

Le charme de Céline Scheen passe très bien à l’écran, son air de la volupté est admirable. Le ténor Fabio Trümpy a un port royal est une sûreté admirable dans les vocalises.

Tout est réuni pour convaincre que Bach a de l’humour et de l’esprit à revendre dans ces pièces de circonstance pour lesquelles il a osé utiliser un orchestre volumineux.

Ancêtre des Singspiel ces Drama sont porteurs d’une véritable théâtralité. Mais des chefs géniaux comme Gardiner nous avaient déjà convaincu dans son intégrale Live des Cantates en 2000 que Bach a écrit, malgré l’interdiction, de la musique d’opéra.

La prise de son fait de son mieux avec l’acoustique un peu floue de la Basilique d’Ambronay.

 

Par H S

 

 

Der Streit zwichen Phöbus und Pan, BWV 201

Der Zufriedengestelle Äolus, BWV. 205.

Die Wahl des Hercules, BWV 213.

Christian Immler, Alejandro Meerapfel, Céline Scheen, Clin Van der Linde, Fabio Trümpy, Makoto Sakurada,

Chœur de Chambre de Namur

Les Agrémens

Direction Leonardo Garcia Alarcon

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Venise, un rêve baroque

13 Mai 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Divers

Venise_visuel-copie-1.jpgVenise, l'éveil du baroque

Olivier Lexa - Karéline

 

Venise a toujours fait rêver. Elle est une ville unique par ses particularités tant géographique, historique que sociale. Ouverte sur le monde, curieuse, c'est une cité libre qui a toujours su revendiquer ses choix, faits au nom d'un sens inné du commerce. Consciente que seul le respect de la diversité pouvait permettre son développement, elle fût un refuge et un univers aux frontières aussi mouvantes que l'eau de sa lagune... Enfin et plus que tout, elle fût un théâtre, une scène à ciel ouvert. Elle sut tirer partie de son décor et de son esprit libre. Car c'est non seulement à Venise que naquit au XVIIe siècle l'opéra public mais également de nombreuses formes musicales qui donneront naissance à la musique moderne.

 

Olivier_lexa.jpgAlors que le Festival qu'organise le Venetian Centre for Baroque Music va entamer sa deuxième saison et que certains d'entre vous se rendront peut-être dans la Cité des Doges à cette occasion, il nous paraît opportun de revenir sur le livre/guide qu'Olivier Lexa, le musicologue français créateur et directeur artistique du Centre a publié l'année dernière pour accompagner et expliquer sa démarche. (Voir l'article sur la conférence qu'il a donné le mois dernier à la librairie de l'Autre Monde à Paris).

Grâce à ce guide vous pourrez visiter la Sérénissime avec un autre regard, une autre écoute de cet univers fait pour la fête, le songe baroque par excellence : l'opéra vénitien.


Dans Venise, l'éveil du baroque, Olivier Lexa vous adresse une invitation au voyage tout à la fois onirique et particulièrement bien documentée.

image2.jpegEmpruntant deux itinéraires musicaux, profanes et sacrés, il vous permet de découvrir à ses côtés cette ville aimée dont il partage l'âme. Les lieux qu'il vous révèle sont à la fois secrets et publics, ouverts à tous et pourtant bien souvent perdus. Ils en illustrent cette flamme ardente, cette vie qui se consume et qui au XVIIe et XVIIIe siècles embrasse en un dernier feu celle qui sera la Sérénissime pour l'éternité. Des photographies personnelles en noir et blanc réalisées par l'auteur, belles et mystérieuses, oscillent entre tableaux dont la palette n'est que reflets, courbes et mystifications.

 

Olivier Lexa vous retrace plus qu'une histoire, une vie intense, mouvementée dans ces lieux où vécurent, Monteverdi, les Gabrieli, Marini, Castello et jusqu'à Vivaldi dont il n'était plus joué dans les rues que les Quatre Saisons, il y a encore deux ans, tandis que tous les autres devaient compter sur les scènes du monde entier pour se faire entendre, alors que Venise leur préférait des musiques venues d'ailleurs et de périodes plus récentes.

 

image4.jpegDans cette ville où naquit également l'édition musicale contre-partie d'une liberté affichée de penser, l'opéra  connut donc ses premiers feux, tandis que la barcarolle fait chanter et miroiter ses canaux.

Ses théâtres d'opéra aujourd'hui disparus firent travailler des machinistes venu des arsenaux, qui redonnèrent plus que jamais le goût de la vie aux habitants de la Cité après plusieurs épidémies de peste mais également une passion immodérée pour la fête tandis que la découverte du Nouveau Monde et "le déplacement à l'ouest du centre géopolitique de l'Europe" avait amorcé son irrémédiable déclin économique.

s22torelli1 bellerofonteVenise vit et vibre, se passionne pour l'opéra. Tout d'abord celui des machines, que le Grand Sorcier Torelli a mis au service de la musique poétique et raffinée de Monteverdi et Cavalli, puis les exploits vocaux des castrats virtuoses et l'opéra seria. Mais Venise et ses théâtres qui à  tous les coins de rue se livraient à une surenchère qu'entretenaient les grandes familles patriciennes, aiment  également la musique sacrée, celle qui permet aux femmes dans les os pedali de créer l'illusion d'un paradis où des voix d'anges sensuelles transcendent la musique de Vivaldi.

Image5Vous lirez ce livre en vous promenant, que ce soit dans les rues et ruelles, et en suivant les canaux, de cette cité hors du commun, mais aussi chez vous, en imaginant et en écoutant ce monde enchanteur du théâtre en musique.

Je ne peux que vous recommander sa lecture, bien des mystères s'y dévoileront, rendant indispensable ce voyage unique. De ses palazzi à ses églises, de ses théâtres d'opéra à ses casinos, Venise y renaît à chaque instant de ses cendres.

 

 

 

Par Monique Parmentier

Karéline - ISBN 978-2-357-48-080-3 - 24  Euros

 

Photos de Venise réalisées par Olivier Lexa, reproduite ici avec son aimable autorisation et tous droits réservés pour le visuel du livre et la photographie d'Olivier Lexa, ainsi que pour le visuel du Bellerophon mis en en scène par Giacomo Torelli

 

Pour le programme du festival n'hésitez à vous rendre sur le site du Venetian Centre for Baroque Music, il se déroulera de juin à septembre 2012.

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For ever fortune

8 Mai 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

Visuel.jpgFor ever fortune

Scottish Music in the 18th Century

Les Musiciens de Saint-Julien - Direction et flûtes : François Lazarevitch

Robert Getchell - ténor

 

La collection les Chants de la Terre chez Alpha, nous a déjà offert quelques merveilles. Que ce soit en musique contemporaine (Joël Grare avec Follow ou Paris Istanboul Shangaï, ou le Poème Harmonique interprétant la musique de Daniel Brel dans Quatre Chemins de mélancolie) ou en musique traditionnelle (comme avec les superbes albums du Poème Harmonique consacrés aux romances et complaintes de la France d'autrefois, Les Marches du Palais et Plaisirs d'amour, ou les albums de Tarentelle de Christina Pluhar).  

Ces musiques traditionnelles sont à nouveau à l'honneur, dans le CD, For ever Fortune, qu'ont sorti récemment les Musiciens de Saint - Julien. Cet ensemble qui n'a cessé depuis sa création par le flûtiste François Lazarevitch de s'intéresser à un répertoire d'autant plus délicat dans la restitution de son interprétation que sa notation et sa connaissance ne reposent bien souvent que sur des sources indirectes.  

Toutes les pièces que vous entendrez ici sont nées ou ont été notées entre le début du XVIIe siècle et la fin du XVIIIe siècle et en particulier par James Oswald compositeur de la chambre de George III qui fonda la société du temple d'Apollon à Londres. Il chercha à promouvoir cette musique traditionnelle écossaise où l'instrument de Pan trouve à côté de la lyre d'Apollon ses lettres de noblesse que les dieux lui refusèrent.

 

Invitation à danser, à s'enivrer de joie de vivre dans un compagnonnage amical, le répertoire proposé dans ce nouveau CD, est d'autant plus irrésistible, que les musiciens sont inspirés.

Aucune morosité ne résistera au charme qui émane de cet enregistrement. Les couleurs parfois rugueuses mais si vives de l'ensemble nous envoûtent par leur richesse éclatante et opulente. Violons, viole de gambe, Archiluth, théorbe, cistre et harpe nous ouvrent des horizons parfois tourmentés, d'une douceur quasi irréelle, ou d'une énergie vivifiante sans pareil. La flûte de François Lazarevitch nous ensorcelle et nous entraîne dans un rêve, quelque part hors du temps pour notre plus grand bonheur, et à l'Hümelchen (petite cornemuse) il évoque cette Ecosse où se mêlent des paysages arides au parfum des fleurs de bruyère avec une virtuosité enchantée. 

 

Les émotions qui naissent ainsi se mêlent en une subtile harmonie. Plaisir intense du violon dans Kennet's Dream où la scordatura en la mi fa, permet d'utiliser les effets en bourdon et d'augmenter les résonances de l'instrument, nous offrant une étrange mélodie, celle d'un songe inquiétant. Plaisir de l'onde qui court dans Benney side sous les doigts de la harpiste et les sonorités si sensuelles de la flûte. Mais également douleur dans la plainte de la viole, du théorbe et de la Harpe dans Moc Donogh's Willie au caractère si sombre et si intime.

Quant au ténor Robert Getchell, il savoure cette langue écossaise qu'il défend avec ardeur pour mieux, non pas la "restituer" (prononciation historiée) comme une sorte de monument, mais pour nous en offrir les délices ou l'âpre poésie.

Vous aimerez écouter et réécouter ces pièces qui chantent et dansent l'amour et ses revers (For ever Fortune), l'ivresse, la pauvreté et l'envie de s'enrichir, la vie et la mort, en vous donnant le sentiment d'entendre le vent souffler, tandis qu'au coin du feu, on se rassemble pour partager des moments d'intime bonheur.

Par Monique Parmentier

1 CD Alpha - Durée : 66'05 - Réf : Alpha 531

 

Pour vous procurer ce Cd, vous pouvez soit vous rendre à l'Autre Monde à Paris ou sur le site internet Outhere

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Porpora : des voix d'anges

29 Avril 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Chroniques CD

visuel_porpora.jpgNicola Porpora (1686-1768)

Vespro per la festivita dell'Assunta

Martin Gester - Le Parlement de Musique - La maîtrise de Bretagne

 

Depuis plusieurs années le Parlement de Musique, sous la direction de Martin Gester, s'intéresse au répertoire des ospedali vénitiens, ces orphelinats où l'on enseignait la musique aux jeunes filles, faisant d'elles de véritables virtuoses.

Les plus grands compositeurs de l'époque dont Vivaldi y trouvèrent un vivier de voix idéales pour le répertoire sacré.

Après le Prete Rosso, Giovanni Battista Bassani, Johann Adolf Hasse, Nicolo Jommelli et Gaetana Latilla, c'est à Nicola Porpora que Martin Gester consacre ce nouvel enregistrement pour le label Ambronay. Pris sur le vif lors d'un concert du festival en septembre 2011, il nous dévoile ainsi, entouré d'une très belle distribution vocale, la musique des Vêpres créée pour les festivités de l'Assomption en août 1744.

Destinée à des voix de femmes et constituée de cinq psaumes, cette messe ne nous est pas parvenue dans son intégralité. 

L'histoire de cette œuvre est plutôt bien connue, puisqu'elle fit l'objet dès sa création de soucis pour le compositeur accusé de réutiliser des pièces issus de motets existants, ce qui normalement lui était interdit, son contrat le liant aux ospedali lui faisant obligation de composer des oeuvres nouvelles. Il existe de Porpora un courrier en date de janvier 1745 où il en décrit les différentes pièces.

Si l'essentiel des pièces composant cette messe est conservé à la British Libray (dont trois des cinq grands psaumes la composant : Laetatus sum, Nisi Dominus et le Lauda Jerusalem), d'autres pièces comme le Magnificat ont malheureusement été perdues.

C'est donc une reconstitution à partir de ces trois psaumes de ces Vêpres que nous livre ici Martin Gester, complétant les passages manquants par des psaumes équivalents, réutilisant ainsi comme cela pouvait parfois se faire à l'époque, certaines pièces "orphelines" datant de la période romaine ou napolitaine du compositeur.

Dans le livret soigné qui constitue une excellente introduction à l'écoute de cet enregistrement, le musicologue Kurt Markström et Martin Gester, nous délivrent quelques clés, nous montrant combien cette messe des Vêpres n'est pas seulement belle formellement, mais se révèle être un chaînon entre la polyphonie baroque sur le point de disparaître et le style classique naissant. Ainsi le rôle dévolu aux solistes, fait t-il la part belle à une flexibilité et une légèreté vocale, à une sophistication des ornementations très proche de celle que l'on peut trouver chez Mozart ou Haydn.

Pour des nécessités techniques, l'ensemble du concert n'a pas été enregistré (le Nisi Dominus donné en concert n'a pas été retenu, ainsi pas comme nous l'explique le livret). Et afin d'en resserrer la dramaturgie, le Salve Regina a été déplacé une fois encore uniquement au CD.

La prise de son permet de revivre l'exaltation du concert dès les premières mesures du Laudate pueri Dominum.

Les trois solistes magnifiques illuminent cette musique par leurs timbres superbes. On retiendra surtout l'Alto Delphine Galou qui transcende chacune de ses interventions et ce dès le A solis ortu dans le même Laudate pueri Dominum et plus encore dans le Salve Regina. Sa vocalité troublante, son timbre chamarré aux graves de velours, une sensualité flamboyante, l'aisance des vocalises séduisent. La soprano Mallia Vargas éblouit tout autant, accompagnée par le violoncelle solo d'une grande délicatesse de Patrick Lango dans Qui habitare, elle irradie de présence tout comme dans le Gloria. Un timbre fruité, des vocalises d'une merveilleuse agilité ouvrent les voûtes de la basilique vers un ciel d'un bleu d'azur.

 

La maîtrise de Bretagne fait non seulement preuve d'une belle homogénéité, mais bien plus que cela d'une présence habitée du chant. Soprani et alti nous emportent et nous élèvent avec ferveur et une fougue d'une impétueuse jeunesse.

 

La maîtrise de Bretagne offre des couleurs de toute beauté à cet enregistrement. Le théorbe dans le Salve Regina aux larmes si tendres et doloristes, aux cordes somptueuses, servent avec feu la musique de Porpora. Quant à la direction de Martin Gester, attentive à la somptuosité du chant, elle tend la dramaturgie avec une fougue contenue n'en rendant que plus intense cette prière à la Vierge.

Si la prise de son est parfois presque un peu trop brutale, à la limite de la saturation, car au  cœur de l'orchestre, elle offre toutefois une belle lisibilité de l'ensemble.

Voici donc un bel enregistrement que je ne peux que vous recommander.

 

Par Monique Parmentier

1 CD Ambronay - live recording - concert enregistré le 16 septembre 2011 dans l'abbatiale d'Ambronay

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Max Emanuel Cencic : une vie dédiée à la musique

19 Avril 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Interview

cencic420c.jpgMax Emanuel Cencic fait partie de ces artistes qui n'hésite pas à prendre des risques, y compris celui de la critique découlant de ses choix artistiques, plutôt que de se contenter d'une carrière facile. Il produit lui-même certains de ces projets. Nous l'avions rencontré l'année dernière pour parler de sa carrière et de ses projets. L'un d'entre eux va voir la jour durant la saison 2012/2013. Artasese de Leonardo Vinci .
Pourquoi chantez-vous ?
Chanter pour moi est une obsession. C'est parfois un métier de fou. Je pourrais travailler dans un bureau, j'ai étudié les affaires internationales et ainsi avoir une vie plus tranquille, mais j'aime chanter et c'est un choix de vie.
 
Pourquoi vous produire vous - même ?
J'ai chanté presque que tout ce qui existe dans le répertoire depuis que j'ai commencé ma carrière.
J'ai dû faire presque 2000 spectacles depuis que je chante, c'est-à-dire depuis 28 ans. Au risque de paraître "prétentieux" peut-être, c'est une expérience je pense qu'aucun autre contre-ténor ne possède. Je dis cela pour vous permettre de mieux cerner tout ce que j'ai fait dans ma vie. Je ne pense à rien d'autres qu'à la musique.... En arrivant à Zagreb par exemple, j'ai eu trois répétitions avec un pianiste et alors que cela faisait 15 ans que je ne les avais pas travaillé, j'ai chanté des lieder de Schubert. J'ai d'ailleurs enregistré deux CD de lui. Il n'y a pas de limites de répertoire pour un contre-ténor. Cette musique est dans mon sang. Donnez moi du Richard Strauss et je le chanterai sans problème, tout comme Ravel ou Poulenc. Mon répertoire est extrêmement large. J'ai même chanté du Verdi ou du Bach... Je n'ai pas de soucis à chanter l'ensemble du répertoire, mais l'on m'a catalogué comme un chanteur baroque. Regardez mon disque Rossini, certains ont considéré que c'était réservé aux voix de femmes, mais je peux le faire. Il n'y a pas très longtemps j'ai demandé sur une scène de télévision si l'on voulait bien faire connaître mon enregistrement de Schubert et l'on a ri. Les gens pensent que je suis fou. Je rêve d'être suivi sur ces autres répertoires.
 
rinaldo-lausanne.jpg
© marc vanappelghem
J'entends encore ce directeur d'opéra me dire " oh j'étais très surpris, dans votre Rinaldo, votre voix était très puissante. Je n'ai jamais pensé qu'un contre-ténor puisse avoir une voix aussi puissante". Ce a quoi j'ai répondu "donnez-moi un Rossini". Malheureusement, la réponse a été négative. J'ai même pourtant chanté dans Médée avec plus de 120 musiciens dans la fosse.
 
Vous voyez je me bats chaque jour avec la programmation et c'est pour cela que j'ai commencé à produire mes opéras moi-même. J'ai commencé avec Faramondo et Farnace et maintenant Artasese avec Philippe Jaroussky. Thésée et Tamelano sont également prévus. C'est très difficile de convaincre les programmateurs de faire quelque chose de nouveau. Ils ont peur de ne pas vendre si le public n'est pas préparé. Ils trouvent tout trop difficile.
En tant qu'artiste je raisonne mes projets. Peut - être ont-ils raison, le contexte économique est difficile, mais pour ma part en tant qu'artiste je trouve tous ces arguments frustrants. Je n'ai pas la liberté de faire tout ce que je veux. Mais j'ai contrairement à d'autres chanteurs désormais cette force de pouvoir proposer mes propres programmes et transmettre en partie certaines de mes idées. J'aime ce répertoire. Mais je suis loin de pouvoir faire tout ce que j'aimerais.
Il y a 30 ans on n'acceptait pas les contre-ténors dans les rôles que je chante aujourd'hui. C'est un combat contre la rigidité d'une certaine perception sociale. Alors que l'on est dans une société que l'on dit ouverte, aujourd'hui encore on est victime de préjugés. Il y a une certaine immobilité autour de nous.    
 
PJaroussky.jpgUne nouvelle production en 2013 avec Philippe Jaroussky, Artaserse. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
C'est un opéra romain et tous les rôles comme dans le San't Alessio de Stephano Landi seront chantés par des hommes. On aura comme pour Farnace, une tournée avec mise en scène et dans certains cas comme au TCE à Paris, on le donnera en version concert. Un CD est prévu et la tournée passera par Nancy, Cologne et Bilbao... Le compositeur Léonardo Vinci est très mal connu. Je suis très fier d'avoir poussé à cette redécouverte.
 
Ce que j'aime par-dessus tout c'est travailler en équipe. Je voudrais en profiter pour tout particulièrement remercier les directeurs d'opéras, Valérie Chevalier, Laurent Spielmann à Nancy, EricVigier à Lausanne et Eric Laufenberg à Cologne... A tous ceux qui m'ont soutenu sur ce projet et m'ont aidé à trouver un metteur en scène. Ce sera un opéra extraordinaire. J'ai essayé d'associer les meilleurs contre-ténors du monde : Francesco Fagioli, Youri Minenko qui a gagné le troisième prix à Cardiff, sopraniste extraordinaire... et un ténor Daniel Pehle.
 
Avec un casting international ne défendez-vous pas l'idée que la musique est un langage commun à tous  ?
Sur mes projets, j'invite des artistes qui ne sont pas forcément très connus dans le monde baroque mais qui sont formidables. Sur Farnace, pour le CD, j'avais invité par exemple Ruxandra Donose qui est plutôt une rossinienne ou Daniel Behle qui est un mozartien. Et bien sûr des personnes comme Ann Hallenberg ou Karina Gauvin ou un jeune chanteur comme Emioliano Gonzalez Toro qui travaille avec Christophe Rousset ou enfin Mary Ellen Nesi avec qui j'ai déjà travaillé sur Faramondo. Mais sur les représentations certains n'étant pas libres je suis amené à travailler avec d'autres. 
Vous savez je parle cinq langues, j'aime venir en France et je m'y sens chez moi. J'aime avoir autour de moi des casts internationaux. Les nationalités ne me m'intéressent pas du tout, j'ai une "haine" envers tous les nationalismes. Je ne les supporte pas. Car si aujourd'hui on est si libre de nous déplacer je ne pourrais comprendre comment l'art ne pourrait pas voyager entre des nations et partager la beauté. Je suis un peu une "mixture" viennoise. La seule chose qui compte dans l'art c'est l'excellence.
 
Interview réalisée par Monique Parmentier
Photos : DR sauf indication contraire  
Pour information : Nous retrouvons Max Emanuel Cencic dans le rôle titre de Il Farnace de Vivaldi à l'Opéra du Rhin (Strasbourg), du 18 au 26 mai avec l'ensemble I Barocchisti dirigé par Diego Fasolis.

L'opera est disponible au disque
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