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Le blog de Susanna Huygens

Et ses rêves s'inscrivent dans le vent

9 Novembre 2023 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Versailles

@ BNF - Photo Monique Parmentier / Orphée

Il était une fois... Il y a de cela quelques années, j'ai "découvert" un ouvrage, d'une grande beauté, c'est de cet ouvrage dont je vais vous parler ici.

Dans ma bibliothèque idéale, il y a bien d'autres livres illustrés, ou pas, appartenant au monde de l'édition anglaise, sur lesquels, je reviendrais, mais il y en a aussi bien d'autres. A la fin du mois, je vais recevoir, L'extraordinaire histoire de la Villa Alice de Maëlle Vincensini, une histoire merveilleuse, dont je suis sur Instagram, la si belle et douce aventure. Je relis Jane Austen, comme on savoure une tasse de thé au jasmin ou Earl grey... Bien des oeuvres littéraires de France et d'ailleurs, qui m'accompagnent depuis toujours... Mais il y a celui dont la rencontre m'a marqué par son éclat, à tous jamais. Le livret des costumes et décors du Ballet du Roy aux festes de Bacchus.

@ BNF - Photo Monique Parmentier - l'Automne

Au coeur de Paris, dans l'une des plus anciennes bibliothèque publiques qui soit, se trouve un département, celui de la Réserve des estampes, installé dans ce qu'il reste des appartements du Cardinal Mazarin. Son existence est connue et son accès plutôt réservée à des chercheurs et des passionnés pouvant être introduits. J'étudiais déjà depuis un certain temps les ballets baroques français au Département des Arts du spectacle, lorsqu'un jour où mon esprit vagabondait, est venu à moi, une référence de bas de page, m'y conduisant.

@ BNF - Photo Monique Parmentier - La fée

Aller à la réserve des Estampes, s'est un peu comme emprunter, une route qui mène au pied de l'arc en ciel. Ayant à coté de mes activités de journaliste bénévole en musique classique (ancienne), un travail alimentaire, auquel je me rendais sans plaisir intellectuel, je l'avoue, chaque visite à la BNF pour parfaire ma culture et écrire des articles qui aient du sens, à toujours représenté une évasion, un voyage vers un autre monde, me permettant d'aborder plus sereinement mon quotidien. La réserve des Estampes, elle est devenue une sorte d'Eden, de jardin extraordinaire. 

@ BNF - Photo Monique Parmentier - Les 3 Graces

Cette réserve nécessite d'aller plus profondément dans les bâtiments Richelieu, monter un très bel escalier, laisser quasiment toutes ses affaires dans des casiers (un crayon, quelques feuilles de papier, sa carte d'identité, son appareil photo, voilà tout ce que l'on a le droit d'emmener en salle), franchir deux portes blindées, arriver dans un sas, impressionnée par ce dispositif et apercevoir venant vers vous, la conservatrice en chef du département, tout sourire.  Je venais d'apercevoir des noms sur des boîtes me laissant ébahie comme Ali baba, devant les trésors de la caverne des 40 voleurs. "Oh, c'est magnifique n'est-ce pas, tous ces noms sur ces boîtes ?"... Que dire, si ce n'est "Oh oui !" : Rembrandt, Poussin, Dürer et bien d'autres.

@ BNF - Photo Monique Parmentier - Le sommeil

Ayant été introduite par mail, par une amie conservatrice dans un autre département, elle connaissait les motifs de ma visite. Elle m'installa alors sur une grande table, avec un lutrin et un lourd tissu rouge.

J'ignore combien de temps dura mon attente, peu car chaque séance ne pouvait durer que deux heures, les mardi et jeudi matin. Temps que j'utilisai pour laisser mon regard vagabonder et observer les lieux magnifiques et tous ces noms magiques sur des boîtes.

@ BNF - Photo Monique Parmentier - La reliure

Deux très longs livrets me furent d'abord emmener, que j'ai déjà évoqué ici, concernant des maquettes des costumes de ballet de Louis XIII, puis celui dont la référence m'avait attiré à la Réserve. Un ouvrage magnifiquement relié, sentant merveilleusement bon. Je mis certainement quelques minutes, après l'avoir déposé, bien à plat, à l'ouvrir, tant la reliure était déjà en soi une merveille. Ce que l'ouverture de l'ouvrage allait me révéler, reste pour moi, un inoubliable souvenir.

@ BNF - Photo Monique Parmentier - Graffitis

Le ballet des festes de Bacchus, fut donné en 1651, les 2 et 4 mai, en pleine Fronde, à Paris, au Palais Royal, anciennement Cardinal, donc rue de Richelieu. Ce magnifique livret qui aurait du rentrer dans les collections royales comme un cadeau de son commanditaire, organisateur des plaisirs du Roy, Louis Hesselin (Treslon-Cauchon) (1602 - 1662), dont les armoiries figurent sur la reliure, ne rentra dans les collections nationales qu'en 1805 à l'occasion d'une vente. Son histoire connue permet de retracer son chemin.

@ BNF - Photo Monique Parmentier - Détail costume filigrané d'argent

Toutefois bien des "mystères" entourent, ce livret où ne figurent que les dessins des costumes et décors. Pourquoi est-il inachevé ? Est-ce pour cette raison qu'il resta dans le patrimoine familial, hérité par un neveu, dont les héritiers finirent par le vendre ? Qui est (ou sont les auteurs des magnifiques illustrations (maquettes)) ? Qui a réalisé les graffitis que l'on trouve à la fin du volume et qui semblent aussi anciens que l'ouvrage ? Les costumes authentiques furent -ils aussi magnifiques que leur reproduction où l'auteur, les a -t-il en fait sublimés par l'imagination ? Si certains ne présentaient pas de difficultés particulières à réaliser en un temps très courts, d'autres ont dû demander aux artisans (tailleurs, brodeurs, orfèvres), un travail extrêmement ardu.

@BNF-Photo M Parmentier-Détail costumes Grâces filigrané or et argent

Pour compléter la connaissance de ce livret, on dispose dans les collections de la BNF de la musique et du texte où est indiqué la distribution des rôles. Les vers en sont attribués à Isaac de Benserade (1613 - 1691), mais cette attribution est aujourd'hui encore contestée, alors qu'elle remonte au récit qu'en fit Loret dans La gazette, à l'époque de sa création.

@BNF-Photo M Parmentier - Il cherche la cadence, détail

Le synopsys de ce ballet, en fait une mascarade, dans l'esprit des ballets de Louis XIII, est d'une grande simplicité, mais totalement baroque dans l'esprit. Les rôles en ont été attribués, tout à la fois, à de grands seigneurs, à des valets du Roi et à des comédiens professionnels. Le Roi lui même en fut l'un des acteurs. Mais contrairement à ce que j'ai parfois lu, il n'y interpréta pas Apollon (le Soleil), rôle attribué à un acteur professionnel, le Sieur Cabou. Le jeune souverain ne deviendra la Roi Soleil, que deux ans, plus tard en 1653, à l'occasion du... Ballet de la nuit. Inaugurant son règne absolu, dont disparaîtra la fantaisie baroque.

@BNF-Photo M Parmentier-Détail Trophée de musique

L'attribution des dessins, qui elle aussi est parfois contestée, revient à Henry de Gissey (1621 - 1673). Que ce soit pour les vers et pour les dessins, il s'agit en fait d'un report d'attributions. Puisque concernant le Ballet de la Nuit, elles sont certaines et qu'elles présentent ici des caractères semblables. Mais à moins de découvrir un jour un courrier émanant de Louis Hesselin, rien ne pourra les confirmer ou les infirmer. Bien d'autres noms ont été avancés, et un auteur inconnu, n'est pas improbable.

@BNF-Photo M Parmentier-Fleuve Oubly

Réaliser sans doute, en collaboration avec Giacomo Torelli (1608-1678) pour les décors, les dessins sur un format 33,4x 22,1 cm, aquarellés rehaussés d'or et ou d'argent, gouaches et encre et sont pour la plupart inachevés, mais tous d'une grande beauté, parfois infiniment poétiques (tels l'automne, le sommeil, Orphée, le fleuve Oubly, les fées...). Bien que représentés une seule fois, certains personnages dans le ballet, étaient multiples, tels les muses, les bacchantes, les fées...).

@BNF-Photo M Parmentier-Détail Apollon

Je ne m'autorise à partager ici que quelques photos, dont des détails, la BNF a désormais mis en ligne cet ouvrage sur Gallica), mais je peux vous l'assurer, ces dessins, sont porteurs d'une émotion indicible, tant leur grâce ineffable, est celle des contes que l'on imagine lire à la veillée. Cette élégance quasi surnaturelle, qui même sur des personnages aussi inattendus et farfelus que "Je cherche la cadence", les gladiateurs, les trophées de la musique, sont si évocatrices des mystères dionysiaques, thématique pour le moins triviale d'ailleurs dans le texte, du ballet. Uniquement interprétés par des hommes, certains participants portaient des masques, parfois à peine discernables sur les dessins, leurs costumes donnant le sentiment d'être fait en des tissus luxuriants et fastueux. Fronde ou pas, la cour offrait à son jeune roi des distractions créant un sentiment d'irréalité du monde extérieur. Sentiment que j'ai souvent rencontré à Versailles, mais aussi dans le monde de la culture. Entrer à la Réserve des estampes, passer des heures en compagnie de tels chefs-d'oeuvre, dans un environnement aussi paisible, proche du recueillement, m'a toujours rendu le retour à mon quotidien, extrêmement difficile.

@BNF-Photo M Parmentier-Trophée Musique

Si les costumes et les décors sont oniriques, le texte accompagnant chaque scène et entrée, révèlent donc une certaine canaillerie extravagante, à la poésie loufoque et non dénuée d'un certain charme.

@BNF-P Monique Parmentier-Photo prise de dos du Sommeil

"Sçachez qu'on doit aymer alors qu'on eft aymé
Et quand par vos faueurs (faveurs) mes voeux Seroient contens
Vous ne Sçauriez eftre blafmées
De vous accommodez au Temps..."

"Attraper la cadence eft un pénible ouvrage
Je perds en cette enquête & ma peine & mes pas..."

J'aime l'orthographe, malheureusement je ne dispose pas ici des bonnes polices, aux caractères évocateurs de cette époque où la langue française se cherchait encore, et où la prononciation reconstituée par Benjamin Lazar, dans certains spectacles du Poème harmonique, laisse d'ailleurs éclore le verbe en toute liberté.

@BNF-Photo M Parmentier

Après une introduction prêchant l'abstinence comme une grande vertu, l'ensemble des personnages en défilant, vas donc à contrepied défendre, le jeu, l'amour, le vin, la goinfrerie... Les vices comme un art de vivre. Les rêves n'y sont que des mensonges, à moins que ce ne soit celui qui l'affirme qui mente aux spectateurs. Jeu baroque ou la mort n'est pas plus qu'un songe. Les personnages les plus évocateurs de poésie ou de noblesse sont ridiculisés par Bacchus et ceux qui le servent. Le Sommeil lui - même avoue ne devoir son succès auprès des belles dames, qu'à la faveur du pavot, dont il abuse. Le jeune roi, interprète des personnages sans noblesse (une Grace, une bacchante, un homme de glace ou plutôt un "glacé", un filou, un titan, une muse, et ce n'est pas Louis XIV qui conclut dans le rôle conclusif ce ballet, mais un certain comte de Mauleurier, d'après le livret, en fait Edouard - François Colbert, comte de Maulevrier (1634-1693), père du fameux ministre du Roi Soleil.

@BNF - Photo M Parmentier

La musique, parce qu'il y en avait une, fut éditée par Philidor Laisnée, longtemps après, en 1690. Elle fut composée par François de Chancy (chanteur, luthiste et compositeur actif dans la première moitié du XVIIe siècle, mort en 1656), le plus connu de tous ; Louis de Mollier (vers 1615 - 1688) ; Michel Mazuel (1603 - 1676) et un certain Verpré dont le nom n'apparait que dans l'édition de Philidor Laisnée, à l'occasion de ce ballet.

@BNF-Photo M. Parmentier

Des décors furent donc installés pour accompagner certaines des scènes, attribués à Torelli. Malgré l'oxydation des blancs de plomb, ils en conservent toute leur force. Les moyens théâtraux mis en oeuvre semblent tout aussi surprenant par leur grandeur que les costumes.

@BNF-Photo M Parmentier

Avoir passé, en compagnie de ce livret, du temps en tête à tête, dans le silence de la salle de lecture, ne m'a laissé que des souvenirs magiques. Si j'ai mis du temps, ne disposant pas d'autant de moyens que des historiens professionnels pour restituer son histoire, il reste des questions auxquelles probablement nul ne saura répondre. Les mystères qui voilent encore la mémoire liée à l'évènement, à la création de ce spectacle, puis du livret et aux chemins empruntés par ce dernier pour nous parvenir, en ces lieux et ces collections, ajoutent une touche de fantasmagorie à ce livre unique. Un livre de rêves, fait pour rêver, oublier, s'oublier, partir, voyager, au -delà des horizons du quotidien. En conservant sa part de mystère, il porte en lui, ce qui contribue à souligner, l'objet baroque dans toute son étrangeté. Il nous invite à inventer, une autre histoire, celle que nous souhaitons en le feuilletant, qu'il nous raconte.

Par Monique Parmentier

@BNF-Photo Monique Parmentier-Bacchus

 

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