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Le blog de Susanna Huygens

Lullabies : rêve poétique

1 Octobre 2023 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Poésie et Littérature

Depuis quelque temps, je me promène dans ma bibliothèque idéale. Celle qui a tout à la fois le goût de l'enfance perdue et d'une vie où le beau a heureusement réussi à se préserver, un refuge. J'aime la poésie, la musique. J'aime les beaux livres et les mots qui chantent. Il est des poèmes, des illustrations qui toujours me ramènent à un rêve musical. En suivant ainsi les mots, j'ai retrouvé celle qui m'a toujours apaisé. Qu'importe la berceuse, le murmure s'insinue en un souffle léger, parfum de jasmin, de roses aeterna... Montserrat Figueras me manque depuis que les étoiles l'ont rappelé si loin de nous.

@ Alia vox

Lorsque j'ai commencé à feuilleter les pages virtuelles de ce livre si précieux, dont les mots et les mélodies ont accompagné tant de mamans, tant de nouveaux nés dans leurs premiers rêves, j'ai perçu sa présence, comme une évidence,  me ramenant à ce jour où discutant avec elle, elle posa ses mains sur mon bras droit, pour me réconforter et m'encourager à poursuivre ma route sur les chemins de la musique et de la poésie.

@ DR

Lullabies... Berceuses... la berceuse rite universel, musique de l'origine, rendant soutenable à l’aube de la vie la première séparation. Elle est ainsi chantée par Montserrat Figueras, une main tendue entre la douleur infinie et l’amour à jamais.

@ DR - Illustration Grèce

Les vers, ci-dessous, sont issus d’une berceuse irlandaise, qu’elle aurait pu chanter. Certains me diront, que cela ne vaut pas un poème de Baudelaire ou de Yeats... mais la comparaison en matière de poésie me semble absurde. Les textes de ces berceuses, portent en eux, une musique du coeur et des émotions, envoûtante, ensorcelante. Une musique qui n'est pas seulement celle des nouveaux nés, mais celle qui toujours nous trouve reclus sur nos douleurs pour mieux nous donner à voir l’indicible lumière, d'un lien plus fort que tout, qui nous relie à tous ceux que nous avons aimé et qui nous aiment par delà le temps et l'espace :

@ DR

"On a bed of fragrant roses asleep the morning lies. And the quiet evening sleepeth where the dusky hilltops rise ;
Then sleep, my child, my darling — do thou, too, close thine eyes.
In a rock-bound hollow lying, the winds sleep 'neath the hill;
With feathery clouds for pillow, the stars sleep calm and still ;

Then sleep, my child, my darling — do thou, too, sleep thy fill."

@ DR

"Sur un lit de roses parfumées, le matin est endormi. Et le soir tranquille dort là où s'élèvent les sommets sombres des collines ; 
Alors dors, mon enfant, ma chérie ; toi aussi, ferme les yeux.
Dans un creux rocheux, les vents dorment « sous la colline » ;
Avec des nuages plumeux pour oreiller, les étoiles dorment calmes et immobiles ; Alors dors, mon enfant, ma chérie, et toi aussi, dors à ta faim."

@ DR

La berceuse, est la musique des rencontres, des apprentissages, des premiers chants partagés des jeux d’enfants, souvenirs ineffables de l'innocence perdue. Mais y sourde, ces menaces sombres et tout juste ébauchées, qui bientôt nous rattrapent sur le chemin de la vie : les référence à la vie et à la mort, aux larmes, à la pluie et aux orages, aux chagrins qui nous frapperont tôt ou tard…Parfois chant marial, la Vierge est une maman qui sait que la vie est un cadeau et un don de soi, un don qui conduit à l’abandon absolu.

@ DR

Que de berceuses, j'ai souvent aimé écouter, particulièrement bien sur celles interprétées par Montse, mais aussi par Arianna sa fille et Petter Udland Johansen. Dans les programmes d'Hirundo Marris, leur ensemble, on retrouve ce répertoire si tendre, qui s'apparie si bien avec la Harpe céleste, instrument dont Arianna est une si merveilleuse interprète, mais également avec leur timbre. Un timbre dont la clarté éloigne la nuit, la peur, la méchanceté qui nous environnent. 

@ DR

Bien sûr la musique classique, mais également le jazz et la variété se sont emparés de ce répertoire. Certains instruments, comme le duduk arménien (le programme/Cd, Esprit d'Arménie de Jordi Savall, est en cela, une magnifique continuité des programmes sur les berceuses. que le maestro a enregistré avec son épouse. Une musique du deuil, quête de l’apaisement), ou les mélodies de Debussy au piano ont cette faculté de m'emmener sur les voies de la paix intérieure, de la sérénité, ou comme Sospiri d'Elgar. En vieillissant, on découvre que la beauté idéale, est probablement, celle qui comme dans ces berceuses, ne recherche que cette sensation à fleur de peau, cette petite chose indéfini et poignante, qui nous inquiète toute notre vie, pour mieux l'apaiser. Sans effets grandiloquents, avec douceur et empathie, la berceuse est la poésie de l'éphémère. Je n'ai jamais été aussi bouleversée qu'en entendant Arianna Savall, interpréter des berceuses au côté de sa mère ou de Petter ou l'adieu ou Gracias a la vida et sa maman toutes ces merveilleuses berceuses de l'album Ninna nanna. Des chants qui nous disent, sans cesse la fragilité et la beauté de tout ce que la vie nous offre mais nous reprendra.

@ Hirundo Marris

Ce sont les voix de Montse, Arianna et Petter, qui ont surgi des pages, de ce magnifique recueil de Lullabies (berceuses) datant de 1894. Les poèmes qui le composent, sont tous issus de traditions populaires européennes. Ils ont été recueillis, rassemblés et traduit par Alma Strettell (1853-1939). Traductrice et poétesse anglaise, qui s'est passionnée pour le folklore et les contes populaires. Sa maîtrise des langues, lui permettait de faire chanter les mots, issus du roumain, de l'italien, du français, du grec, de l'espagnol, de l'allemand ou du vieil anglais dans sa propre langue, l’anglais contemporain, avec un talent de musicienne, qui explique peut être, l'étrange résonance à la lecture de ce livret magique. 

@ DR

Les illustrations ici, ont été réalisées par une autre femme, Emily J. Harding (1850-1940). Artiste, illustratrice... et suffragette britannique. D'elle, l'histoire a surtout retenu son combat pour la place et les droits des femmes. Mais c'était une artiste qui s'est construit son propre style. Si certaines illustrations à ses débuts sont autant influencées par le mouvement Art & Craft que par les écoles de peintures plus classiques du 19e siècle britannique, elle trouve comme ici, ce mouvement, cette épure qui suggère les mouvements de l'âme et des émotions, tout en évoquant le contexte de naissance de chaque berceuse illustrée, d’un trait maîtrisé et pourtant évanescent. Et les différences entre les différentes cultures, n'en sont que plus belles. L’art du dessin, célèbre ici aussi bien le folklore dans ce qu'il a de plus beau et l'universalité dont chaque culture est porteuse.

@ DR

Le travail d’une si belle sensibilité, réalisé par ces deux femmes à la fin du XIXe siècle et leur éditeur, George Allen mérite d’être souligné. Combien de livres aujourd'hui, sont encore ainsi imprégnés de leur propre musique, de leurs murmures, de leurs larmes et leurs rires ? Combien de livres aujourd'hui, pourraient ainsi, nous apporter un tel sentiment d'harmonie ?

En dehors des oeuvres de Tolkien, qui bénéficient des talents d'illustrateurs saisissant et singulier comme John Howe et Alan Lee, le monde de l'édition a renoncé à s'engager sur de tels chemins. Et pourtant, réseaux sociaux ou pas... Rien n'est plus beau qu'un livre qui chante, lorsque le lecteur s'abandonne, et livre son âme à l’infini beauté des mots et des dessins, d’un art où tout est musique.

Par Monique Parmentier

 

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