The complet concerti grossi Arcangello Corelli (1653-1713)
Gli Incogniti - Amandine Beyer
2 CD ZZT - Outhere
Seule ou avec les Incogniti, Amandine Beyer a renouvellé notre écoute des œuvres les plus connues du répertoire. Des Quatre saisons de Vivaldi aux sonates et partitas de Bach, elle a offert des versions vivantes et vibrantes d'œuvres rabachées, au point pour la première d'être parfois devenue une véritable scie. Mais elle a aussi exploré des pans du répertoire plus méconnus comme les sonates de Matteis. Ces redécouvertes auront été d'autant plus marquantes qu'elles nous auront à chaque fois fait ressentir une fulgurante émotion. Et c'est exactement le même sentiment étrange et bouleversant qui nous touche en écoutant ce nouveau CD qui sort ce mois-ci chez Zig Zag Territoires, consacré à la musique de celui que tous les violonistes considèrent comme leur "bread of life" (le pain de la vie).
Il existe de très nombreuses versions au disque des Concerti grossi Opus VI, d'Arcangello Corelli, dont on peut signaler au passage, celle de Chiara Banchini dont Amandine a été l'élève qui figure parmi les plus marquantes de la discographie et dont à l'écoute apparaît la filiation. C'est lors de concerts donnés à l'Arsenal de Metz en février 2012 qu'a été effectué l'enregistrement de ces concerti par les Incogniti. Mais ce n'est pas tant par les applaudissements à la fin de chaque CD ou par la prise de son qui manque parfois de netteté, rendant encore plus vrai la démarche des artistes, que nous le percevons, que par cette intense respiration de l'orchestre, qui semble vibrer de l'intérieur, révélant une âme italienne généreuse et irradiante.
Lorsque l'Opus VI paraît à Amsterdam en 1714 Corelli est mort depuis quelques mois. Mais avant de disparaître, il a fixé avec son éditeur tous les détails accompagnant cette parution. Ce nouvel et dernier opus va connaître un tel succès, que la formule "concerto grosso" va s'imposer dans la terminologie pour désigner un genre instrumental. Comme leur nom l'indique les concerti grossi sont destinés à l'orchestre et c'est une première pour Corelli. Car tous ces autres opus ne concernent que des petites formations. Toutefois, en tant que chef d'orchestre, il a souvent eu l'occasion lors de cérémonies somptuaires de diriger des pièces importantes. Dès son arrivée à Rome, il travaille pour les plus grands mécènes de la société romaine. De Christine II de Suède, au cardinal Pamphili à Pietro Ottoboni chez qui il finira sa carrière, Arcangello Corelli bénéficie d'une notoriété qui le met à l'abri des besoins financiers. Le succès de l'Opus VI influencera durablement la vie musicale européenne, tant au-delà d'une écriture musicale encore liée à la tradition contrapuntique, il ouvre la voie à une nouvelle "esthétique de l'écriture instrumentale et à une nouvelle culture concertante". Si l'Opus VI ne fut édité qu'après la mort du "divino Arc Angelo", il est le fruit d'un long travail. Corelli remania des compositions plus anciennes dans certains cas, dont la sinfonia pour la Santa Beatrice d'Este, que nous entendons ici dans le premier CD.
Ce nouvel enregistrement des Incogniti est une dentelle intangible, une merveille de musicalité et de partage. Réparti comme il se doit en concertino et ripieno, l'orchestre révèle ici des couleurs et des nuances, évocatrices de la palette fugace et changeante au gré des humeurs de la lumière en la Cité Eternelle, du drame qui se noue au cœur même de la nuit de Noël (Concerto da chiesa Op VI n° 8 in G minor, "Fatto per la notte di Natale"). 4 violonistes solistes viennent tour à tour prendre la parole aux côtés d'Amandine dans les concerti et les sonates, apportant chacun leur personnalité, leur sensibilité, à ces instants fugaces et si fervent. Une vrai complicité les unis. Le violon d'Alba Roca est un rire cristallin, aussi translucide et joyeux que l'eau des fontaines romaines et pourtant parfois si méditatif, tandis que celui de Flavio Losco est plus mélancolique, celui d'Helena Zemanova chante la joie de vivre et celui de Yoko Kawakubo l'énergie de la jeunesse éternelle. Amandine Beyer semble transfigurer la lumière de cette musique, apaisante, amicale et bienfaisante. Elle n'a nul besoin de "diriger" à proprement dit, car tous ici s'écoutent et dialoguent.
La densité du tissu orchestrale est si sensuelle qu'elle est un véritable enchantement chromatique. La fluidité des ensembles, danse, virevolte et les effets de clair-obscur que dessinent les musiciens révèlent un univers sensible à l'invisible. Les cordes pincées et le clavecin sont ici une source vive. Jamais la musique de Corelli ne nous aura semblée à la foi aussi radieuse et pourtant emprunte d'une nostalgie aussi troublante. Des phrasés rayonnants, des mises en perspective, grâce au travail des basses, digne d'un Borromini. Ici les histoires qui nous sont racontés n'ont guère besoin des mots, l'archet chante. Le livret dans lequel Amandine nous livre ses intentions participe au bonheur total, à l'émotion musicale et humaine que nous ressentons tout au long de l'écoute de ce superbe double CD. Mon second CD Musique de l'âme de la rentrée. Les Incogniti expriment la quintessence même du baroque.
Par Monique Parmentier
2 CD ZZT - Outhere - CD 1/ Durée 69'27 : Concerto da chiesa Op VI n° 7 in D major ; Concerto da camera Op. VI n° 9 en F major - Sinfonia, WoO 1 to the oratorio Santa Beatrice d'Este in D minor ; Concerto da Chiesa n°4 in D major ; Concerto da camera Op. VI n°11 in B flat major ; Concerto da chiesa Op. VI n° 2 in F major ; Concerto da chiesa Op. VI n° 8 in G minor, "Fatto per la notte di Natale). CD 2/Durée : 75'18 : Concerto da chiesa Op. VI n° 5 in F major ; Sonata a quattro in G minor, WoO2 ; Concerto da camera Op. VI n° 10 in C major ; Concerto da chiesa Op. VI n° 5 in B-flat major ; Concerto da camera Op. VI n° 12 in F major ; Concerto da chiesa Op VI n° 3 in C minor ; Concerto da chiesa Op. Vi n° 1 in D major.
Enregistré à l'Arsenal de Metz les 10 et 11 février 2012 et du 11 au 13 février 2012. Ref ZZT 327 - Code Barre : 3 760009 28327 4
Crédit photographique : Amandine Beyer et les jardins de la Villa Borghese © Monique Parmentier ; Gli Incogniti © DR