Jordi Savall, Fontfroide 2018 : De l’ombre à la lumière… Je goûte en « vous écoutant », ma part d’éternité
Il y a bien longtemps maintenant, j’ai fait la promesse à Montserat Figueras de n’écrire que sur le fil de l’émotion, ne laisser ma plume se guider que sur ce qui fait l’essence même de la musique, de l’art et ne jamais devenir une critique comme une autre. Lorsque j’ai eu le sentiment de ne plus pouvoir pour un temps tenir ma promesse, je me suis éloignée et j’ai tenu une autre promesse que je lui avais faite, je suis venue trouver refuge à Fontfroide. Et tout comme Pandora quittant la terre ferme pour rejoindre le Hollandais volant dans le film d’Albert Lewin, j’ai ainsi pu briser le sablier, retrouvant cette « famille », ces amis perdus sur le long chemin du temps. Et avec eux, c’est toute l’empathie d’un monde que je croyais perdu qui m’attendait en ce lieu si unique. Pouvait-on me faire de plus beaux cadeaux que ces deux promesses qu’elle me demanda de lui faire ? La réponse m’a encore été apportée cette année… plus que des cadeaux, ces promesses furent un don, un don à l’incommensurable beauté.
Le XIIIe Festival Musique et Histoire pour un Dialogue Interculturel a comme chaque année, proposé à son public durant les cinq soirées des variations de toute beauté de ce dialogue entre les âmes que défend jusqu’à l’Unesco, Jordi Savall. La musique sous les nuits étoilées, au cœur d’une garrigue chantante et parfumée, s’empare de l’écoulement du temps et nous emmène sur des routes de lumière, parsemées de larmes et de senteurs, de poésie à la spiritualité universelle.
Le premier concert du soir, exceptionnel par sa durée et plus encore par son exigence et son engagement artistique, a donc été programmé en deux parties. L’Officium Hebdomadae Sanctae composé par Tomas Luis de Victoria en 1585 est d’abord le choix de celle dont le rayonnement aujourd’hui accompagne Jordi Savall sur les voies du temps. Maria E. Bartels, a conçu ce programme à ces côtés et a sélectionné les textes qui illustrent ce chemin si aride et ardent qui mène l’esprit de la vie à la mort ou de la mort à la vie. Et leur choix, relève de la poésie pure qui nous atteint au plus profond de nous. Impossible de tous les citer, mais il nous semble en les écoutant, voir surgir des souvenirs qui nous ouvrent les portes de la sérénité : « L’esprit ne périt jamais […] Il ne nait pas et ne meurt pas. Comme il était, il restera toujours, car il est éternel. Hors de tout ce qui est passé et tout ce qui est à venir. Il ne meurt pas quand le corps meurt ». Bhagava Gita. Parmi tous ces textes on trouve des citations de Platon, Rainer Maria Rilke, Saint Jean de la Croix et bien d’autres. Ils sont au service de la musique et prennent et donnent sens à l’élévation musicale. La mise en relief de ces textes appartenant au comédien Frédéric Borie, le récitant de ce programme. Si par moment, sa manière de déclamer semble sur la retenue, cela n’en marque que mieux l’épure, le « sublime » des citations sélectionnées ici. Le comédien s’efface pour laisser place aux mots, au sens, à la douleur exprimée, à l’espérance parfois, à l’attente, à la nuit transfigurée.
L’Officium Hebdomadae Sanctae est une œuvre hors du commun, considérée par beaucoup comme un des « chefs -d’œuvre absolus du genre liturgique dans le contexte du Maniérisme ». On y perçoit l’influence de la littérature humaniste du XVIe siècle sur un compositeur installé à Rome depuis de nombreuses années et sous influence de la musique de Palestrina. Il a découvert au cœur de la Cité éternelle au Collegium Germicum des figures de rhétoriques qui dans l’Officium Hebdomadae Sanctae se développent dans toute leur splendeur. L’art oratoire est ici au service d’une élévation spirituelle qui touche au céleste, à une manière de chanter quasi surnaturelle. C’est une œuvre grandiose, un jeu d’ombres et de lumières, qui comprend le cycle complet de la Semaine Sainte. Pour la servir, le maestro catalan a réuni autour de lui, une distribution à l’équilibre vocal parfait, même si deux des chanteurs ont retenu plus particulièrement notre attention. Tout d’abord la Mezzosoprano Marianne Beate Kielland, sa diction parfaite et son timbre moiré suggèrent les contrastes d’ombres et de lumière, de douleurs et de joie qui parsèment le chemin d’épines et de pétales de rose, emportant l’esprit vers l’élévation. Le timbre et la prosodie du ténor Victor Sordo, souligne avec un art consommé le brillant et la limpidité de la transcendance musicale. Mais c’est l’ensemble des chanteurs (Lucía Martín-Cartón et Monica Piccinini, sopranos ; Kristin Mulders, mezzosoprano ; David Sagastume et Gabriel Díaz, contreténors ; Lluís Vilamajó et David Hernández, ténors ; Marco Scavazza et Josep-Ramon Olivé, barytons ; Daniel Carnovich et Pieter Stas, basses) et musiciens qui doit être loué, tant ils parviennent à un équilibre, profondément troublant, à en paraître « surnaturel ». Ils ont dès les premières notes et les premiers mots, arrêté l’écoulement du temps, brisé le sablier. Les couleurs instrumentales créent un voile sonore luminescent, enveloppant et radieux. 5 musiciens d’Hespérion XXI entourent le maestro catalan, Sergi Casademunt, ténor de viole, Philippe Pierlot, altus et basse de violle, Joaquin Guerra, doulciane et Xavier Puertas, violone. La direction de Jordi Savall inspirée et bienveillante souligne la dramaturgie de ce long voyage. La musique efface les ténèbres dans les cœurs, nous guidant vers l’harmonie céleste.
La seconde soirée a été consacrée à un concert d’« Orpheus XXI, Musique pour la vie et la Dignité », intitulé « Chemins de l’exil et l’espoir – Musiques solidaires contre l’oubli ».
Je vous ai reparlé dans mon premier article de « ce projet interculturel d’action pédagogique et créative, en faveur des jeunes réfugiés et immigrants, conçu et dirigé par Jordi Savall. En résidence à la Saline Royale d’Arc-et-Senans, soutenu par les Pouvoirs Publics et des mécènes tels que les Fondations Edmond de Rothschild et Orange et bien évidemment le Centre Internacional de Música Antiga (la liste complète est fournie dans le programme), ce projet a depuis sa création en mars 2017, beaucoup évolué. Les premiers concerts ont été donné à Arles puis à Fontfroide en après-midi l’année dernière, puis cet automne (voir ma chronique) au Palais de la Porte Dorée, avec des effectifs plus importants et la participation directe aux côtés des musiciens attachés à ce projet (formateurs et instructeurs) de Jordi Savall avec un programme plus élaboré. C’est désormais avec les chœurs d’enfants dont les ateliers ont débuté cet automne à travers la France et l’Europe, que peut être présenté au public comme un accomplissement ce tout nouveau programme donné ce soir en l’Abbaye de Fonfroide, après une première représentation, en présence de la Ministre de la culture, fin juin lors du festival de l’Abbaye de Saint-Denis, à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés.
Celle qui en parle le mieux est Waed Bouhassoun et avant que de vous livrer mes impressions la citer me semble incontournable : « On réalise ce travail avec l’autre dans une ambiance familiale, car avec Jordi Savall nous sommes une famille dont les membres sont originaires de vingt pays, où il y a une âme joyeuse avec laquelle on arrive à faire quelque chose de beau. Il n’y a pas de vedette parmi nous, il y a seulement le plaisir de jouer, de chanter, de découvrir et d’échanger ».
Disons le tout de suite, c’est exactement cela que nous ressentons et ce dès la montée sur scène de l’ensemble des musiciens et chanteurs. Non seulement, ce que j’écrivais en novembre 2017 est toujours vrai, il est incroyable comme les enchaînements entre les pièces pourtant issues de traditions extrêmement diverses et aux traditions et techniques d’interprétations si différentes, coulent de source. Mais la joie sur scène, le bonheur d’être là se transmet entre interprètes et ces derniers et le public. Cette empathie qui se noue dès les premières secondes, libèrent les énergies et les talents. Pas un instant, nous aurons le sentiment de voir s’écouler le temps. Ce concert tient de la féérie ou du conte. Chaque chanteur, chaque musicien affirme sa personnalité sans pour autant mettre à mal la cohérence de l’ensemble, mais bien plutôt en enrichissant les nuances et les couleurs de saveurs, de parfums aux senteurs, aux sensations de mille et une merveilles qui jaillissent comme autant d’étoiles dans un ciel pur. Nous retrouvons certains des musiciens et chanteurs déjà croisés sur les routes d’Orpheus XXI. Bien évidemment, Jordi Savall et les instructeurs issus d’Hespérion XXI, Waed Bouhassoun, Moslem Rahal, Daud Sadozai et Hakan Güngor, mais également celles et ceux qui sont devenus les formateurs et qui nous ont déjà éblouis Rusan Filiztek au Saz et chant, Neşet Kutas aux percussions, Kurdes de Turquie, Azmari Nirjhar au chant du Bangladesh, Rebal Alkhodari à l’oud et au chant de Syrie. Sont venus se rajouter à eux ce soir Georgi Dimitrov, au cymbalum et chant, Hovhannes Karakhanyan au duduk d’Arménie, Maemon Rahal au kanun de Syrie et Abu Gabi au chant du Maroc.
Tous ont un immense talent. Il ne peut y avoir de « vedette » car tous ont quelque chose à partager, qui tient de l’ivresse mystique, une ivresse faite d’amour et d’amitié, dont les fruits sont la concorde, la gaieté, la félicité et un enthousiasme communicatif. L’on se prend à attendre le chant des moissons interprété par Rusan Filiztek accompagné par Neşet Kutas aux percussions, mais l’on découvre avec émerveillement, cet instant de dialogue du chant des oiseaux entre la viole de Jordi Savall et les sifflements à la mode Nikris de Rusan Filiztek entre Canarios et chanson kurde religieuse Yezidi. Lorsque ce chant de la nature se met à résonner dans l’abbaye, pendant un court instant, au cœur du songe on a le sentiment que la nature se convie à la fête… celle des jardins d’orient… c’est d’une telle délicatesse ce dialogue, que son réalisme n’en est que plus poétique. Les duos entre Azmari Nirjhar et le chanteur marocain Abu Gabi, apportent une note de douceur et d’innocence que vient un peu plus enrichir le chœur des enfants. Difficile de se souvenir de chaque détail interprétatif car au fond, l’on n’a guère envie de prendre des notes, juste de se laisser emporter et de voyager, de découvrir. Mais que ce soit le duduk, dont l’interprétation de Hovhannes Karakhanyan offre toute la suavité attendue, le chant virtuose et tellement bouleversant du chanteur oudiste Rebal Alhodari, le kanun de Maemon Rahal et le cymbalum de Georgi Dimitrov tellement scintillants, tous parviennent à nous toucher et à nous transmettre la richesse de leurs répertoires et cet humanisme bienveillant qu’ils partagent entre eux. Ils ont pour certains vécus des choses extrêmement douloureuses dont le déracinement, mais à aucun moment, l’on ne ressent la peur ou la souffrance, ou si parfois elles sourdent dans certaines pièces, on perçoit ici combien ils les transcendent pour mieux les dépasser.
Quant au chœur d’enfants (au nombre de 8 issus de l’atelier de Saint-Denis et de Dortmund), on ressent leur implication, leur envie tout à la fois de s’amuser et le sérieux apporté dans le plaisir de chanter. Je n’oublierai jamais, l’un d’entre eux qui juste avant le concert, répétait encore et sans cesse ces quelques paroles et notes d’Üsküdar dans la Cour Louis XIV. Les voix du vent semblaient l’encourager et l’apaiser dans sa quête. Le concert de ce soir a été la plus belle des fêtes qui puissent se donner, celle de l’innocence, une fête au goût d’éternité. Puisse ce projet conserver en toute quiétude et ouverture d’esprit ses objectifs de fraternité, de transmission et de partage.
Le troisième concert, nous permet de retrouver le maestro catalan dans le répertoire qui l’a fait connaître, celui de la viole de gambe. Au programme, les Nations de François Couperin. Il est accompagné ici de 7 musiciens avec qui il joue régulièrement. Marc Hantaï à la flûte traversière, Patrick Beaugiraud au hautbois, Josep Borràs au basson, Manfredo Kraemer et David Plantier au violon, Xavier Diaz-Latorre au théorbe et à la guitare et Marco Vitale au clavecin. Ce concert recevant la visite des mécènes et des Pouvoirs Publics, je me suis retrouvée placée un peu trop loin pour parfaitement percevoir la viole, mais les songes qui émanent de la musique de Couperin et une interprétation favorisant la méditation m’ont permis de m’échapper vers un ailleurs apaisant. Se demande t-on lorsqu’on vient à un concert comme simple public pourquoi et comment la musique naît et nous transporte dans un monde meilleur, plus serein et plus doux ? J’ai donc fait le choix de renoncer aux notes et à la concentration de la quête des qualités interprétatives dont on sait pertinemment qu’elles étaient là, d’ailleurs la qualité des songes est là pour le démontrer. Marc Hantaï à la flûte traversière et Patrick Beaugiraud au hautbois nous offrent un son d’une grâce ineffable, dont émane une lumière mélancolique que vient revitaliser l’énergie des violons. Jordi Savall connaît parfaitement Les Nations qu’il a enregistré dans les années 80 et François Couperin. Il le connaît, mais plus encore il nous en dévoile l’âme. Cette conversation amicale entre musiciens en cisèle l’invention mélodique, l’élégance de l’éloquence et la sensibilité de la ligne musicale. Toute la fugacité de l’instant, cette sensation de l’éphémère sourdent de cette musique. Les interprètes deviennent poètes et leurs doigts laissent courir la plume pour mieux faire étinceler la magnificence de cette musique des ombres.
L’avant dernier concert est celui que nous attendions tous sans peut être oser nous l’avouer. Tout comme celui d’Orpheus XXI, il aurait du se tenir à l’extérieur mais tout comme pour Orpheus XXI, la météo s’y est opposée et d’une manière extrêmement violente en cette soirée du 18 juillet. Mais comme dans Pandora la tempête et la foudre accompagnent le Hollandais volant et Pandora dans cet autre temps, celui de l’amour retrouvé, la tempête orageuse qui s’est abattue sur l’abbaye de Fontfroide en ce début de soirée, est venue créer une atmosphère étrange et mystérieuse, semblant permettre au Temps Retrouvé, titre du programme, de transformer notre perception du temps, notre mémoire et nos émotions.
Jordi Savall a pour ce concert réuni autour de lui, ses deux enfants Arianna Savall et Ferran Savall, mais également leurs partenaires respectifs : Petter Udland Johansen, le mari d’Arianna au Hardingfele et à la mandoline ainsi qu’au chant et Meritxell Neddermann aux claviers qui accompagne Ferran. On a pu également entendre Sveinung Johansen à la guitare acoutisque et dobro et David Mayoral qui participent tous deux aux projets de l’ensemble Hirundo Maris, mais pour le second, il travaille régulièrement aussi bien avec le maestro catalan que son fils.
Le programme proposé Le temps retrouvé « musiques du temps et de l’instant », Dialogue entre le Sud et le nord et entre l’Ancien et le Nouveau monde réunissait tout aussi bien des musiques du répertoire commun à la famille Savall (musiques de Diego Ortiz, de Marin Marais, de Méditerranée et berceuses sépharades), mais également quelques très belles improvisations de Ferran Savall et les musiques de l’album Hirundo Maris d’Arianna Savall et Petter Udland Johansen. Ainsi écrit, ceux qui ne connaissent pas suffisamment Fontfroide, ou la famille Savall pourraient se dire rien de bien nouveau… et pourtant la magie de ce programme est unique et fantasmagorique. Elle est celle de la Voix de l’émotion, celle qui ouvre les chemins à ce que nos cœurs ont de plus secret. Pas un d’entre nous ne sera reparti à l’issue de ce concert, sans en avoir été bouleversé.
Bien sûr tous les musiciens sont des artistes virtuoses et ils ont tous déjà joué ensemble et se connaissent parfaitement. Mais la poésie du lieu, ce que le maestro et ses deux enfants y ont tant de fois partagé et ses retrouvailles autour de l’absente si présente et si bienveillante, donnent à cette soirée quelque chose qu’aucun mot ne pourrait réellement décrire, d’autant plus que chacun de nous l’aura perçu à sa manière. Ferran Savall reprenant El Testament d’Amelia chanté par sa mère en un murmure, Arianna guettant les regards de son père et les regards que posent ce dernier sur ses enfants lorsqu’il pose sa viole et les écoute relève de l’insondable mystère de l’âme qui s’abandonne à ses souvenirs. La joie de vivre de certains chants traditionnels du nord que Petter Udland Johansen interprète avec une si flamboyante énergie, fait surgir comme autant de fées et de trolls qui se chamaillent pour mieux danser autour d’un feu qui illumine les nuits d’hiver et qui parviennent à tenir tête à cette si douloureuse mélancolie qui tente de s’emparer des cœurs… que pourrait-on dire de ce concert, sans révéler de soi ce mystère qu’il nous permet de découvrir ? La si belle berceuse bretonne O Sonjal qu’interprète avec une indicible poésie Jordi Savall arrête le temps tout comme cette version de Üsküdar que nous donnent les musiciens, ou Noumi noumi yaldatii ou les improvisations de Ferran Savall, ou la surprise que nous fait David Mayoral lorsqu’il nous révèle son très beau timbre en prêtant sa voix à un air traditionnel américain. D’ailleurs, il me faut être franche, la voix si claire, si cristalline d’Arianna, le son de sa harpe si limpide et indicible, ses doigts d’Ondine qui courent de feuilles en feuilles comme une brise légère, m’ont alors depuis bien longtemps transportée par-delà le temps dans un monde que le temps avait effacé et que ce concert me permet de retrouver…. La conscience d’être se fait autre et ce que la musique nous donne dans un tel moment, ne saurait faire l’objet d’une chronique. La promesse que Montserrat Figueras me demanda de lui faire prend ici tout son sens. La viole, les voix et les instruments qui les accompagnent chantent en compagnie des voix du vent l’éternité retrouvée et « je goûte en les écoutant ce goût unique de l’ineffable ». Les mots s’effacent… Mille e mille volte grazie. Une chose est certaine ce soir les interprètes ici réunis ont trouvé l’équilibre parfait et ont réalisé le concert que nous avons tous rêvé d’entendre une fois dans notre vie, parce qu’aucun sablier ne peut résister à tant de beauté et de générosité.
Le dernier concert est celui du retour vers le temps qui s’écoule et le monde contemporain. Certes il est une étape magnifique, tant les pièces sélectionnées pour illustrer ce Guerre et Paix II consacré au Saint Empire Romain-germanique et aux règnes de deux de ses grandes personnalités politiques, Maximilien Ier et son petit-fils Charles Quint, sont superbes. Le choix des couleurs instrumentales et vocales soulignent avec brillance et exaltation, la gloire, l’orgueil, les doutes et la déchéance des hommes fussent -ils des souverains absolus. Le concert suit le fil de la vie de ces deux souverains et les évènements majeurs qui bouleversèrent l’Europe durant leurs règnes respectifs. Maximilien en Empereur Chevalier va régner en disposant d’atouts que son petit-fils n’aura pas l’obligeant à s’affirmer avec plus de détermination et de violence. Tous deux devront faire face à des temps troublés, mais tous deux étaient princes de grande culture. Le plus connu des compositeurs illustrant le règne du premier est Heinrich Isaac, auquel Jordi Savall a consacré il y a peu un CD magnifique, la musique de quelques anonymes sépharades ou médiévaux et Josquin des Prez se prêtent également à dépeindre ce dernier grand souverain d’une époque qui se meurt, mais qui est également l’aube d’une époque de grands bouleversements, la Renaissance. Cristobal de Morales, Adrian de Willaert, Antonio de Cabezon, Josquin des Prez, Hieronimus Parabosco, Thoinot Arbeau viennent illustrer les ombres et lumières du règne de Charles Quint. On retrouve le brillant des Sacqueboutiers de Toulouse (Jean-Pierre Canihac, Béatrice Delpierre, Daniel Lassalle, Elies Hernandis) pour illustrer les armures rutilantes et le fracas des combats avec toujours autant de brio, accompagnés par les percussions expressives de David Mayoral. Cet artiste tout au long du festival, nous aura fait entendre la richesse sonore des percussions de leurs grondements à leurs murmures, de leurs déflagrations à leur extrême délicatesse. Les violes de Jordi Savall et Philippe Pierlot, conversent gravement et librement sur les affects qui dévorent les âmes les plus secrètes et nous dépeignent cette mélancolie des regrets qu’ils soient d’amour ou de pouvoir et plus encore cette quête spirituelle de l'Homme fûssent t-ils des empereurs, face à la mort qui les attend. A la doulciane, Joaquim Guerra, vient apporter de la profondeur à l’ensemble. Les couleurs d’Hesperion XXI sont également ici complétées en gravité par le violone de Lorentz Duftschmid et l’orgue de Marco Vitale, tandis qu’à la vihuela et la guitare, Xavier Díaz -Latorre, fait danser cette Renaissance.
La distribution vocale parfaitement équilibrée, -composée de Lucia Martin, Soprano ; Vivabiancaluna Biffi, Kristin Mulders, mezzosopranos ; Pascal Bertin et David Sagastume, contreténors ; Victor Sordo et Lluís Vilamajó, ténors ; Furio Zanasi, baryton et Daniele Carnovich, basse -, joue avec bonheur sur des nuances et des couleurs qui permettent de souligner la dramaturgie de cette fresque qui achève avec panache, cinq jours et nuits de pure joie musicale.
Ce texte, vous l’aurez compris en le lisant, n’a pas été écrit comme une critique, mais bien comme une chronique du Temps retrouvé, du partage et de l’harmonie. Elle me permet de dire mon immense reconnaissance à toutes celles et ceux qui permettent au Festival Musique & Histoire, pour un dialogue interculturel d’exister et de se renouveler année après année et bien évidemment au Maestro Jordi Savall et son épouse Maria Bartels. Merci aux musiciens et chanteurs, et aux équipes administratives et techniques. Un grand merci à ceux qui nous reçoivent et dont l’hospitalité est un don précieux, les familles d’Andoque de Sériège et Fayet, et tout particulièrement à Laure d’Andoque et Antoine Fayet, co-gérants du domaine, leurs représentants. Merci aux bénévoles dont on retrouve chaque année pour notre plus grand bonheur le sourire et la gentillesse. Merci aux partenaires et mécènes qui donnent aux artistes cette possibilité de nous enchanter. Merci, tout simplement merci à toutes celles et ceux que je pourrais oublier mais qui font que ce Festival peut se tenir et se tient dans cette ambiance si particulière, celle d’un ailleurs, qui nous libère d’un quotidien souvent oppressant le temps d’un instant.
« La main mouvante écrit. Et va, ayant écrit. Ni ta piété ne la saura, ni ton esprit fléchir pour qu'elle remonte à la ligne et l'efface. Ni tes pleurs d'un seul mot n'en laveront la trace." Omar Khayyâm.
Par Monique Parmentier