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Le blog de Susanna Huygens

dossiers musique

Jean-Denis Malclès : un peintre et décorateur, poète au pays des contes de fées

1 Décembre 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Dossiers Musique

@ Janine Malclès et André Boulze

Certains peut-être s'étonneront de mon dossier... Jean-Denis Malclès n'a jamais été "classifié" comme un metteur en scène baroque et pour cause puisqu'il quitta le monde de la scène bien avant la Renaissance scénique et musicale de la musique ancienne... il n'en reste pas moins que les décors et costumes qu'il a réalisés pour la scène lyrique de 1952 à la fin des années 1960, sont une invitation onirique au voyage, à la rêverie, au songe. Alors que 2012 a été l'occasion de célébrer le centenaire de sa naissance, j'ai eu envie en cette fin d'année et suite à une conférence à laquelle j'ai assisté le 20 novembre à la Bibliothèque Nationale de France, de l'évoquer ici, tant son univers me semble merveilleux et doux. Son influence sur de nombreux artistes vous semblera peut - être aussi évidente qu'elle m'est apparue.

Je tiens tout d'abord à très vivement remercier Madame Janine Malclès et Monsieur André Boulze qui m'ont autorisé à reproduire ici les photos destinées à illustrer cet article. Je remercie également Cécile Coutin, conservatrice en chef à la BNF, qui m'avait convié à cette conférence me permettant ainsi de découvrir un artiste d'une grande sensibilité et dont les notes m'ont beaucoup aidé à rédiger cet article. A toutes celles et ceux qui aimeraient reproduire les photographies merci de contacter M. Boulze afin de respecter les droits liés à leur reproduction. 

@ Janine Malclès et André Boulze

"Jean - Denis Malclès est capable de voyager au pays de mes propres rêves et de me les restituer. Il rend les rêves solides. Il tire de son carton à dessins les plus ravissantes merveilles que vous aviez pu rêver... et chaque fois que le monde peut croire un poète, il évite une énorme bêtise". C'est Jean Anouilh, pour lequel Jean - Denis Malclès a réaliser de nombreux décors qui parlait ainsi de celui qui fut aussi son ami.

Ses origines semble le prédestiner à devenir cet artiste décorateur, peintre et "créateur aux multiples facettes".

Né  à Paris le 15 janvier 1912, Jean-Denis Malclès était d'origine provençale. Petit-fils d'un poète ami de Frédéric Mistral, il vécut toute son enfance dans un milieu artistique. Son père est sculpteur et décorateur. A 15 ans, il entre à l'école Boulle où il obtient un diplôme dans la section sculpture sur bois (ébénisterie, menuiserie, sièges, tapisserie). Il peint pendant ses loisirs et expose une première fois en 1939. Il commence une carrière de décorateur et pendant l'occupation il rencontre Pierre Frey pour lequel il dessine ses premières collections de tissus. Mais c'est en 1941, retrouvant Jean-Louis Vaudoyer qu'il avait rencontré trois ans plus tôt alors qu'il était conservateur au Musée Carnavalet et devenu entre temps administrateur à la Comédie Française, qu'il entre dans le monde du théâtre pour ne plus le quitter. C'est pour Fantasio d'Alfred de Musset qu'il crée ses premiers costumes. Il va apporter à la scène son imaginaire "lumineux et ouaté, peuplé d'arlequins, de poupées de chiffon, de poussière de lune et de robe d'aurore". Ces mots de son amie Renée Auphan, comme ceux de Jean Anouilh, nous montrent à quel point Jean-Denis Malclès savait par sa personnalité toucher au cœur tout ceux qui l'approchait.

@ Janine Malclès et André Boulze

Ce touche à tout, élabore des décors et des costumes tout aussi bien donc pour le théâtre, que pour l'opéra, les ballets et le Music-Hall. C'est lui qui entre autre à conçu les costumes d'un quatuor vocal dont le nom est encore aujourd'hui bien connu, les Frères Jacques. Il réalisa également des affiches, dont celle de la Belle et la Bête en 1946.

Il a travaillé pour ceux dont les noms sont devenus légendaires: Jean Cocteau, George Feydeau, Marcel Aymé, Marcel Achard, la compagnie Renaud - Barault, Jean-Paul Sartre, sans compter Jean Anouilh.

C'est en 1952 qu'il aborde le théâtre lyrique avec Adrienne Lecouvreur à la Scala de Milan. Ses décors pour Obéron de Weber à l'Opéra de Paris, sont tout simplement une merveille. On y perçoit toute la fantasmagorie du songe.

 

@ Janine Malclès et André Boulze

Il aborde son premier opéra baroque en 1956, au festival d'Aix, il s'agit de Platée. Et alors qu'on est encore très loin d'avoir envisagé la renaissance du baroque, on découvre dans ses costumes et dans ses décors, cette grâce presque naïve d'une imagination au service de l'œuvre. Si à l'époque, l'orchestre n'a rien de baroque, il s'agit de l'orchestre de la Société des concerts du Conservatoire, placé sous la direction de Hans Rosbaud, ni les voix d'ailleurs on trouve dans la distribution un Nicolaï Gedda dans le rôle de Thespis et c'est Michel Sénéchal qui tient le rôle de Platée, il n'empêche que les décors et costumes célébre avec magnificence et magie, le bicentenaire de la recréation du chef d' œuvre de Rameau. Et en dehors d'un Orphée de Glück en 1967 à l'Opéra Comique, Jean-Denis Malclès n'abordera plus le répertoire baroque. Cela tient malheureusement à son époque et l'on ne peut que le regretter. Toutefois, que ce soit dans la Flûte Enchantée au Festival d'Aix toujours en 1958 ou dans Ampithryon 38 de Giraudoux on retrouve toujours chez lui, des qualités que l'on aimerait tant retrouver sur scène aujourd'hui.

La modestie du créateur poète qu'il est et qui met au service des auteurs son talent, « s'effaçant » devant les mots et la musique, ou plus exactement nous les révèlant en dépassant la simple écoute, en les métémorphosant avec humilité par une formule magique dont il avait le secret.

 

@ Janine Malclès et André Boulze

Lors de la conférence Renée Auphan, nous a raconté une anecdote qui en dit long, sur son attention aux comédiens et aux chanteurs, révélant à quel point c'était un véritable plaisir pour les artistes de savoir que celui qui les habillait tiendrait compte de la nécessité pour eux de disposer d'un costume qui leur permette de se mouvoir sans difficulté et de chanter sans se sentir gêné. A sa demande, il modifia un de ses costumes, révélant un véritable savoir-faire et une écoute attentionnée.

Une exposition qui se termine le 15 décembre lui est consacré dans les locaux de la boutique Pierre Frey à Paris et un catalogue préfacé par une autre grand créateur de costumes, Christian Lacroix, est sorti à cette occasion. Alors que Jean-Denis Malclès a connu une gloire certaine durant sa carrière, il est important de ne pas l'oublier. Et s'il est évident qu'on ne doit pas idéaliser des créateurs du passé au dépens de ceux d'aujourd'hui, Jean-Denis Malclès fait partie de ceux qui font que le Spectacle Vivant est intemporel. Il a ouvert la voie à cette idée qu'il est important que lorsqu'on nous poussons la porte d'un théâtre, nous puissions oublier le monde extérieur, pour nous laisser emporter dans les milles et un monde du rêve des auteurs et compositeurs. Loin de nous enfermer dans des fantasmes personnels, il a su libérer l'imagination des spectateurs. 

La plus belle des conclusions est aussi l'hommage d'un homme de théâtre, Jean-Louis Barrault, qui disait de lui « Jean-Denis Malclès est plus qu'un illustrateur; beaucoup plus aussi qu'un peintre : il s'intègre à la pièce, en conçoit le mouvement et l'esprit, en un mot s'oublie lui-même. Il est en premier lieu, un metteur en scène .»...

Je vous invite à ne pas hésiter à faire une recherche sur internet afin de découvrir toutes les merveilles que nous a laissé cet artiste sensible.

@ Janine Malclès et André Boulze

 

Crédit photographique pour les costumes : © André Boulze © DR/ Pierre Frey pour la photographie de Jean-Denis Malclès

N'hésitez pas à visiter le site internet qui lui est consacré, afin de prolonger cette tendre rêverie


Monique Parmentier

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Un voyage musical en peinture

14 Juillet 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Dossiers Musique

@ Musée des Beaux Arts Rouen

Je souhaite ici vous faire découvrir des peintres méconnus qui ont "représenté la musique" au XVIIe siècle... Celle du silence, celle que votre imagination et que votre envie de découvrir le répertoire baroque grâce aux musiciens d'aujourd'hui, pourra rendre vivante. Il y a différentes manières d'aborder l'histoire de la pratique musicale au XVIIe siècle, dont les plus évidentes et logiques sont les traités, mais aussi les partitions et l'étude des instruments. Pour ma part, n'étant ni musicologue ni historienne de l'art,si dans votre parcours à mes côtés vous relevez des erreurs n'hésitez pas à me les signaler,-  ce n'est qu'à un voyage dans le temps et en des lieux proche de l'Arcadie, que je vous invite. A travers la peinture dite de genre où j'ai trouvé quelques trésors qui j'espère vous raviront, peut - être vous dévoilerais-je une part de l'enchantement baroque. (Ci - dessus Un festin dans un parc attribué à Sébastien Vrancx (Anvers 1573 - 1647), au Musée des Beaux-Arts à Rouen).

Galleria Doria-Pamphili Rome

En dehors des peintres italiens ou flamands les plus connus au rang desquels figurent Caravage ou Théodore Rombouts, toute une série de petits maîtres flamands dont les noms sont peu connus du grand public, ont représenté  concerts, bals, carnavals, kermesses et autres fêtes dans leurs œuvres en un savant mélange de finesse naïve et onirique. Ce sont ces "petits maîtres" que je vous propose de découvrir. On distingue dans la peinture de genre, celle des grands figures et celle des petites figures. Je ne m'attarderais que peu sur la première. Par ailleurs, je reviendrais dans un autre article sur l'un d'entre de ces peintres qui me touche tout particulièrement, Louis de Caullery. Pour tous les autres, y compris les anonymes je vous propose de me suivre, dans cette visite du musée idéal selon moi, celui qui fait revivre la fête baroque dans toute sa diversité et ses couleurs. 

@ DR

Peu d'historiens de l'art, se sont intéressés aux peintres de genres. D'ailleurs certaines attributions sont régulièrement revues lors de ventes aux enchères, démontrant ainsi une connaissance approximative de ces "petits maîtres". C'est dans la peinture flamande du XVIIe siècle, où leur nombre extrêmement important interdit de tous les passer en revue, que je les ai rencontrés. Ce sont pourtant de véritables maîtres possédant une palette et une grâce qui me touchent. Parmi tous les thèmes qu'ils ont traités celui qui m'intéresse ici est bien évidemment la musique. 

Parmi les plus connus, l'on trouve David Teniers le jeune (1610 - 1690) - dont vous pouvez voir ci - dessus, le Tableau Kermesse au Village. fils David Teniers l'Ancien (1582 - Bruxelles 1649)

David Teniers le Jeune - @ DR

Ce tableau introductif pose les caractéristiques même du peintre de genre. Loin des sujets historiques, du portrait officiel, ces peintres, comme David Teniers, le jeune s'intéressent avant tout à la vie quotidienne, aux faits et gestes des hommes (seigneurs ou paysans), sans aucun rapport à la mythologie ou à la religion. Rien d'exceptionnel dans les scènes peintes, pas de personnages connus que l'on souhaite flatter, des anonymes en groupe ou solitaire, dont on peut tout juste déterminer la classe sociale et l'époque dans laquelle ils vivent. On trouve bien sûr dans tous ces tableaux profanes un second sens, plus ou plus moins allégorique ou moral, même si parfois le hasard peut aussi y prendre sens. Il arrivera donc que parfois, vous soyez tenté de me dire, oui mais là c'est une allégorie. Certes vous répondrais-je, mais ici le tracé me semble incertain entre les genres, montrant combien l'allégorie quand elle sert encore de thème au tableau, peut n'être bien souvent plus qu'un prétexte. C'est donc avant tout une sorte de témoignage pris sur le vif, relatant des us et coutumes, illustrant un état d'esprit.... Le charme de ces tableaux tient avant tout à ce côté "air du temps", comme le qualifie F.C. Legrand, qui leur octroie ce sentiment d'onirisme naïf, un peu comme un de ces airs que l'on retient et chantonne, une ritournelle, celle d'un bonheur simple et sans afféterie.

Dans les tableaux ci-dessus, nous sommes donc en présence d'une scène populaire dont les instruments rois sont bien souvent la cornemuse, la musette ou la vielle.

Pieter Brueghel l'ancien - Danse des Paysans - @ DR

La cornemuse du tableau de David Teniers le jeune, tout comme celle du tableau de Pieter Brueghel l'ancien, possède deux longs tuyaux de bourdons parallèles, un tuyau mélodique et un grand sac qui se serre entre les avant-bras. Le timbre de cet instrument était grave.Tout autour des couples dansent, tandis que des hommes attablés derrière le musicien boivent. C'est donc une scène de liesse populaire, une kermesse, où pendant quelques heures des paysans, s'autorisent une pause dans une vie souvent rude. Dans certains tableaux de David Teniers on peut donc voir très souvent des personnages qui s'adonnent au plaisir de la musique. Souvent avec une simple pochette, un instrument souvent utilisé par les maîtres de danse pour accompagner leurs leçons. C'était un instrument à trois ou quatre cordes qui apparu au XVIe siècle. Bien sûr pour tout ce qui est scène populaire, l'influence de Pieter Breughel l'ancien est évidente. On retrouve en particulier chez David Teniers l'ancien ces personnages un peu trapus, aux gestes lourds, aux expressions légèrement caricaturales.

Peintres-genre-011.JPGAinsi grâce à la peinture flamande et à des petits maîtres oubliés, nous pouvons vivre tous ces petits instants précieux, fait de petits riens, où le temps semble s'arrêter, pour mieux savourer un certain bonheur de vivre, dans un temps où il n'y avait ni téléphone portable, ni ordinateur. Bien sûr la musique est représentée depuis l'antiquité et elle occupe depuis toujours une place importante dans le quotidien, apportant certainement au-delà de son rôle sacré, une forme de bonheur sans prétention à tous. Au XVIIe siècle, elle est aussi bien pratiquée par des professionnels que par des amateurs éclairés ou non. Elle appartient à tous et il est fort probable que même amateurs, tous ces musiciens soient dans l'ensemble de bons voir d'excellents interprètes. Certains pratiquant la musique de manière instinctive, sont probablement doués d'une très bonne oreille, leur permettant de créer des mélodies, reprenant des refrains connus.

@ Museum Kunstpalast Düsseldorf

La peinture de genre va donc se nourrir des tableaux de mœurs à valeurs morales qu'elle finira par supplanter. Elle n'inventera rien, innovera peu, mais développera sa propre personnalité liée à son époque. Elle cesse d'être dans les intérieurs un objet de piété pour devenir décorative. Elle est objet de plaisir et vient évoquer des instants de paix, alors que les Pays-Bas souffrent de pillages et de famines, sans compter les épidémies. Il n'est qu'à voir certains tableaux de Sébastian Vrancx, pour comprendre ce que la Flandre subit comme fléaux (comme cette attaque de mercenaires contre un village).

© R.M.N./H. Lewandowski

Ainsi ces peintures de genres, produites à grande échelle pour l'époque, viennent-elles orner les Cabinets d'Amateurs (Tableau de Frans Francken dit le Jeune, Ulysse reconnaissant Achille parmi les filles de Lycomède au Louvre) et jusqu'aux couvercles des épinettes. La musique est considérée comme faisant partie de ce mode de vie idéal, que seule la paix peut offrir. Au contraire des peintres du sud, aucune contrainte religieuse due à la Contre-Réforme ne vient faire barrage. L'humour et la dérision sont deux caractères essentiels de la peinture de genre. Ici l'on ne cherche pas à convertir, mais à amuser ou faire rêver. Anvers est alors une plaque tournante pour l'exportation de l'art et de nombreux artistes y ont leur atelier. Certains font le voyage d'Italie et sont en relation avec des marchands d'art d'origine flamande installés à Paris, Prague, Rome...

Cette peinture profane de genre, n'est pas apparu au XVIIe siècle. Plusieurs peintres et graveurs entre la fin du Moyen-Âge et celle de la Renaissance, ont été fortement influencés par ceux qui les précédèrent.

Ainsi dès le Golf Book (livre d'heures), la musique apparaît dans une scène profane, celle du Festin de février. Ce somptueux livre d'heures du XVe siècle, dont on ignore à qui il était destiné, illustre toutes les activités de loisirs de l'époque où il fut réalisé. La musique y accompagne les plaisirs de la table. 

@ Rijksmuseum Amsterdam

Durant tout le XVIe siècle, la symbolique religieuse et allégorique y possède encore toute sa charge, comme dans Le Mariage à Cana, qui date de la première moitié du XVIe siècle peinte par Jan Cornelisz Vermeyen (vers 1504 - 1559). Mais progressivement, la musique dans sa représentation tend à quitter la sphère du sacré pour devenir profane. Elle accompagne des  instants de convivialité. Et l'un des instruments les plus courants de ces moments là, le luth y est présent. Les peintres de genre flamand, vont réinventer les thèmes existants pour ne plus célébrer que les plaisirs de vie. Dès cette époque on voit les scènes galantes prendre le dessus sur le côté édifiant.

@ Paris, école nationale supérieure des Beaux-Arts (ENSBA)

Parmi les peintres graveurs qui influencèrent les peintres de genre, l'un d'entre eux tient une place importante, il s'agit de Lucas Van Leyden (entre 1489/1494-1533). Voir ci - contre à votre droite, la gravure des Musiciens.

(C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michèle Bellot

Mais aussi et surtout la gravure de la Danse de la Madeleine se livrant au plaisir du Monde, ou apparaît une scène de Cour d'amour, telle qu'on la connaissait déjà au Moyen-Âge. Datée de 1519, elle influencera plusieurs générations de peintres.

 

 

 

On retrouve dans ces œuvres, des instruments et des situations qui tout au long du XVIIe siècle vont occuper une place centrale dans la représentation de la musique.

Mon Cabinet d'amateur, comprendrait donc un certain nombre de gravures (dont celles ci-dessus) et de tableaux dont vous avez déjà également ci-dessus un aperçu. Sauf peut - être je l'avoue les Teniers. L'essentiel dans un cabinet d'amateur aimant la musique ce n'est pas tant la valeur financière du tableau que ce qu'il vous évoque.

Ce que j'aime dans la représentation de la musique, ce n'est pas seulement d'y découvrir de beaux instruments anciens, mais ce sentiment de participer à ces concerts qui à l'époque ne ressemblaient pas à ceux que l'on connaît aujourd'hui. A l'époque, le "public" s'amuse, rie, mange, danse... et je ne sais quoi encore, tandis que les musiciens jouent. Rien de compassé, la musique ne revêt pas ce caractère mondain et un peu stakhanoviste de rangées de siège, où chacun une fois installé, tente d'apercevoir des musiciens tout de noir vêtu, jouant dans un faux silence entre toux et sonneries de téléphones portables. Au XVIIe siècle la musique s'intègre parfaitement à toutes les activités profanes, dont chacun profite en société. Voici donc quelques tableaux de genre qui parfois sans être des chefs d'oeuvres me touchent. Commençons par ceux de la Famille Francken. C'est une famille  de peintres sur plusieurs générations , plutôt bien connue, mais dont l'attribution des tableaux est parfois teintée d'incertitude. Donc du début du XVIe siècle à celui du XVIIIe, ils sont une dizaine, installés à Anvers à avoir laissé un nom dans l'histoire de l'art. Les plus intéressants pour moi, sont François I et II et Jérôme II. Franz Franken1 un balLe premier naît en 1542, le second en 1581, le dernier en 1578, trois générations de père en fils qui dans la production "quasi industrielle" des peintures de genre à l'époque, nous offre quelques perles rares, au charme certain. Bien sûr, tous ces tableaux correspondent à des commandes thématiques : les cinq sens, la parabole du Fils prodigue ou un bal plus ou moins officiel, comme c'est le cas dans celui peint par François II, dont je ne peux que vous donner un lien vers un dessin du XIXie siècle qui se trouve au Musée de Chantilly. L'original est actuellement à la Haye. On y voit des musiciens dans une loge surplombant, les danseurs. Ces derniers sont exceptionnellement dans un tableau de genre reconnaissables pour certains d'entre eux. Le père de François II, avait lui-même réalisé, un tableau très proche, actuellement au Musée de Montauban (voir ci-contre).On y voit en revanche, les musiciens au milieu des danseurs et des buffets chargés de victuailles. Comme dans le petit tableau sur panneau de bois, nous offrant un bal dans un milieu plus bourgeois, on y voit épinette, luths et flûtes. De petits orchestres, dont on a le sentiment qu'ils pourraient bien être totalement improvisés. Les musiciens pouvant au fond faire partie des groupes de danseurs, tandis que dans le tableau de François II, on a clairement des musiciens professionnels. Le tableau de Montauban semble avoir besoin d'un bon nettoyage, mais on devine une palette ocre et chaude. Très fréquente chez les deux François.

francken1Un des thèmes favoris devenus purement décoratif chez les Francken sont les paraboles et tout particulièrement, celle du fils prodigue. Elle leur permet bien souvent sous forme de petites scénettes de nous raconter une histoire où les plaisirs de la vie nous sont montrés avec une certaine sensualité. Il s'agit de se laisser séduire par le cadre, les personnages et la composition de la toile, comme dans cet autre tableau de François II (aujourd'hui au Musée d'Etat de Kalsruhe). Ici les  ocres des pavillons, et les couleurs ambrées des personnages et de leurs costumes, baignent la scène dans un sentiment de douce et tendre plénitude.  Voici un tableau que j'aime tout particulièrement. Le banquet au premier plan est installé sur la terrasse d'un palais. Tout autour dans des pavillons différents épisodes de la parabole apparaissent en quatre scénettes : les adieux du Fils prodigue, son retour, son expulsion par les courtisanes et sa visite chez un prêteur sur gages. Dans une architecture héritée de la peinture flanco-flamande du XIVe siècle, elle-même héritée du théâtre médiéval, Francken ne cherche pas à édifier, mais au contraire à nous raconter et nous montrer avec beaucoup de fantaisie les plaisirs de la vie. Il y a de nombreux petits détails que je vous encourage à découvrir. carnaval vénitienVous êtes vraiment ici, sur une scène baroque. Les personnages extrêmement élégants, la blondeur de leurs cheveux bouclés, les coloris délicatement fondus et cette atmosphère chaude qui s'estompe en camaïeu, la table chargés de mets délicats et cette musique du luth et des flûtes, qui semble s'accorder au ton de la toile participent à un sentiment d'enchantement qui nous étourdi comme le vin que sert la servante.

Venons en à un peintre de la famille Francken qui m'intéresse tout particulièrement Jérome Francken I (1540-1610), l'oncle de François II qui travailla pour la cour de France. Il est considéré par les historiens de l'art comme étant celui qui dans la famille Francken tint le rôle le plus important dans le développement de la peinture de genre. Car c'est lui qui introduit au Pays-Bas le tableau de société, et tout particulièrement les scènes de bal. Ce que j'aime chez Jérôme Francken c'est que l'on ressent une véritable liesse dans certaines scènes de bals l'on y rencontre en particulier des personnages et de Commadia dell'arte, comme dans ce tableau titré "Carnaval Vénitien" daté de 1564 ou 65, identifié de manière certaine de sa main et se trouvant actuellement à Aix-la-Chapelle au Musée Suermondt. On y voit des seigneurs et des dames en costume vénitien, discutant, dansant et faisant de la musique. Une bande de personnages masqués, dont deux d'entre eux portent les habits des caractères les plus célèbres de la Commedia dell'arte, Patalon et Zani se sont introduits dans la foule et exécutent leur numéro de mime et leurs cabrioles.Gemälde des Hieronymus Francken - Die Compagnia dei Comici Pantalon appelle du geste une très belle Vénitienne qui part au bras d'un grand seigneur. La scène se déroule dans un intérieur dont les fenêtres s'ouvrent largement vers un paysage maritime et l'on aperçoit des gondoles. Les femmes potelées au visage rond, sont blondes et sont coiffées à la mode vénitienne à deux coques de cheveux. Sur la gauche, elles forment un groupe qui discutent entre elles. Si bien sûr l'on pense à Véronèse, on est loin malgré tout de la somptuosité du grand maître vénitien. Mais ici les couleurs sont traitées avec une grâce infinie. Les robes sont tantôt blanches, coupées d'un peu de bleu, tantôt jaunes ou oranges, rose lie de vin ou vertes. Le sol est rosé, les murs gris-verts. Des couleurs atténués qui s'harmonisent dont surgit le rouge des "masques" dans la fenêtre. Ce rouge tranche d'autant avec les autres couleurs qu'il est lui-même sur un fond gris-bleu et blanc du ciel. Du même Jérôme Francken, du moins lui est-il désormais attribué, je vous propose cet autre tableau, plus connu par les amateurs de Commedia dell'Arte. Il s'agit de la Troupe des Gelosi qui se trouve au Musée Carnavalet. Jérôme Francken vécu la plus grande partie de sa vie à la Cour de France au service de la reine Louise de Lorraine et du roi Henri IV. S'il est si courant de trouver des tableaux de lui où figurent des personnages de la Commedia dell'Arte, c'est parce que cette dernière fut fort en vogue à la cour de France jusqu'en 1577, date à laquelle elle fut interdite car "celles-ci n'enseignant que paillardise et adultère"... Il existe un autre très beau tableau, avec des masques de Commedia et deux musiciens, illustrant parfaitement le couple d'amoureux que j'aime beaucoup.

elegant company music banquet hiAlors que bien souvent le luth est un instrument courant dans toutes ses scènes de genre, on trouve un instrument plus rarement représenté aux mains des élégantes dans la première partie du XVIIe siècle, du fait de sa réputation à l'époque, en faisant un instrument plus populaire : la guitare. Pourtant chez Hieronymus Jannsens (1624-1693), elle apparaît aux mains de dames fort élégantes.

 

 

 

bal janssensCe peintre anversois fut surnommé "le danseur". Il avait la réputation d'être un joyeux drille et fut un des grands spécialistes des représentations des scènes de bal. Il rend parfaitement l'image à travers son  œuvre d'une société jeune et frivole. Le soin qu'il apporte aux costumes, le rend d'ailleurs plus qu'intéressant pour ceux que l'histoire du costume intéresse. Les personnages sont posés avec soin dans un décor de palais ou aux abords d'un parc, les coloris toujours tendres et les plis des robes, sont autant de petites touches qui font le charme de ses tableaux. Une scène de bal, aujourd'hui au Musée de Lille a directement inspiré Watteau pour ses Plaisirs du bal. Des musiciens assez nombreux sont placés sur une estrade sur la gauche. Ici, tout n'est que grâce et élégance. Janssens-Hieronymus.jpgLes personnages sont disposés avec beaucoup d'a- propos et des espaces sont ménagés entre les danseurs et les autres groupes. Si les attitudes sont gracieuses, elles sont toutefois un rien trop apprêtées. L'homme qui danse a la main fine et un maintien qui tend à démontrer qu'il a suivi des cours auprès d'un maître de ballet. Les dames ont une taille fine et bien faite, une tête petite et avenante. Le décor ici n'a plus rien de bourgeois, mais semble très nettement princier. L'architecture et le ciel, la verdure du parc et les statues baignent dans les gris et bleu-gris.


CET ARTICLE EST EN COURS DE REDACTION MERCI POUR VOTRE COMPREHENSION. JE VOUS INVITE A REVENIR POUR EN SUIVRE LES CHEMINS DE TRAVERSE. N'HESITEZ PAS A ME FAIRE PART DE VOS REMARQUES. 

 

 

- M. A. Kadrizky : The art of commedia : a study in the "Commedia dell'Arte" 1560-1620 Chez Rodopi 2006

- F.C. Legrand : les peintres flamands de genre au XVIIe siècle aux Editions Meddens 1963

 

 

 

 

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Giacomo Torelli : un scénographe maître de l'art de l'irrationnel

27 Mai 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Dossiers Musique

carton_invitation.gifDécouvrir un univers où tout est possible, où le merveilleux règne, où musique et arts de la scène vous enchanteront, c'est à cela que vous invite le Signor Torelli, à un voyage au cœur de l'imaginaire baroque.

C'est à la Grèce antique que nous devons l'étymologie du mot "scénographie" : puisque que la "skênegraphia", désignait le décor, réalisé au moyen de panneaux peints, représentants des architectures. Giacomo Torelli fut le créateur de la scénographie "moderne"

 

 

Au XVIIe siècle, la scénographie tant en Italie pour l'opéra qu'en France pour le ballet de cour, tient une place essentielle dans les œuvres proposées au public. Elle lui offre des univers oniriques où l'impossible est roi. Dans ces spectacles, la quintessence de ce goût pour le rare et l'irrationnel qui caractérisent si bien l'esprit baroque s'exprime en une fusion totale de la musique et des arts de la scène, suscitant l'émerveillement, la surprise et l'émotion.

torelli.jpgSi j'ai déjà eu l'occasion de vous parler de certains des compositeurs, tel Francesco Cavalli qui fut à l'origine de l'opéra public à Venise, j'ai eu envie de vous évoquer non seulement celui qui fut l'un des plus grands scénographes du XVIIe siècle, Giacomo Torelli, mais également au passage, d'autres personnages moins connus tel Gissey, le costumier des premiers ballets de cour de Louis XIV.

Torelli avec Cavalli a en commun d'avoir séjourné en France. L'un comme l'autre ont eu une forte influence sur les évolutions du théâtre lyrique. Tous deux après un succès qui fût plus éphémère pour Cavalli regagnèrent l'Italie où ils finirent leurs jours.

 

Epouse-Torelli.jpgGiacomo naquit le 1er octobre 1604 à Fano, ville qui se situe sur les côtes de l'Adriatique où il mourut également en 1678. Il appartenait à une famille de petite noblesse. On ignore encore aujourd'hui dans quelles circonstances il fit le choix de devenir ingénieur. Il épousa le 20 novembre 1660 une parisienne de petite noblesse Francesca Sué.


Programme-fano.jpgSon premier spectacle dont on sait peu de chose date de 1633 à Fano et fut donné à la demande d'un noble répondant au nom de Gabrielli. Deux ans plus tard, il créa sa première société de spectacle avec un certain Giovan Francesco Bertozzi. En 1637, il monte alors la pastorale Filarmindo de Ridolfo Campeggi (1565 - 1624) toujours à Fano.

 

Les années vénitiennes.


IncognitiCrestS.jpgIgnotoDeo.jpgPour des raisons probablement politique, il quitte sa ville natale entre 1639 et 1640 et s'installe à Venise en 1641. Il y ouvre le Teatro Novissimo grâce à l'aide de ses amis de l'Accademia degli Incogniti, dont il est l'un des membres. Ce qui est une des nombreuses singularités de cette salle. Car contrairement à tous les autres opéras vénitiens, elle n'est donc pas le fruit de la volonté de paraître d'une famille patricienne, mais née de la complicité d'un ensemble de jeunes nobles de la Sérénissime. Bien au-delà d'une amitié de confrérie, tous ont en commun la volonté de célébrer la gloire de la Sérénissime.

 

s22torelli1 bellerofonteVenetia-edificata.gifAvant de continuer j'aimerais m'arrêter un cours instant sur l'Accademia degli Incogniti, car son rôle fut vraiment fondamentale dans l'apparition de l'opéra commercial public. Elle fût fondée en 1630 par le patricien Giovanni Francesco Lorédan (1607-1661). Les sujets des discussions entre membres de l'Accademia pouvaient aussi bien porter sur des questions relatives à la relation entre corps et âme, que sur la puissance des larmes à l'opéra, pour mieux en exprimer la puissance des sentiments amoureux. Ils eurent pour objectif de se livrer à une véritable propagande antipapale favorable à Venise.

Cette Académie fut fortement influencée par l'enseignement de Cesare Cremonini (1550-1631), professeur de philosophie à l'Université de Padoue. Ce philosophe eut de nombreux problèmes avec l'inquisition. Sa vision aristotélicienne du monde, en faisait un sceptique prêchant l'importance de "l'ici et maintenant" et de la valeur du plaisir qu'il plaçait bien au - dessus de la morale chrétienne.

  Cadmus et HermioneOn comptait parmi les membres de l'Accadémia de nombreux acteurs de la vie politique mais plus encore de la vie musicale vénitienne. Parmi eux Giulio Strozzi ou Gian Francesco Busennelo qui écrivirent de nombreux livrets d'opéra pour tous les compositeurs vénitiens dont Monteverdi. C'est à Busennelo que nous devons le Couronnement de Poppée. On y trouvait également un personnage particulièrement intéressant, le Marquis Pio Enea degli Obizzi (1592-1674) auteur d'un opéra monté à Padoue en 1636 dont le livret repose sur l'histoire de Cadmus et Hermione (que Lully devait mettre en musique en 1672 sur un livret de Philippe Quinault) l'Ermiona (sur une musique de Sances).

L'Accademia degli Incogniti su faire connaître le Novissimo en se donnant des moyens pour le moins moderne. La publicité en faisait partie. Ces membres firent également imprimer les livrets avant chaque représentation. Ils avaient avant tout une vision politique de l'opéra tendant à affirmer la splendeur de Venise par les arts et tout particulièrement la musique.

09farnese-platea_parme.jpgS'il ne nous reste même aucune gravure, ni plan du Novissimo, du moins savons nous un certain nombre de chose de cette salle, notammachine1JPGment qu'elle était en bois et disposait de cinq cent places construite selon les plans de Torelli lui-même. Ce dernier souhaitait y faire la preuve de son génie  et y montrer toutes ses nouvelles inventions en matière de machineries. Contrairement aux trois salles qui l'ont précédé c'est une salle neuve construite pour l'opéra ("eroiche opere, solamente in musica, e non commedie"). D'où son nom, Teatro Novissimo.

Anna Renzi

Elle est inaugurée le 14 janvier de cette année là avec la Finta Pazza (La Folle supposée), un drame de Giulio Strozzi (1583 - 1652) sur une musique de Francesco Sacrati (1567 - 1623). (Signalons au passage que Giulio Strozzi a écrit pour Monteverdi le livret de la Finta Pazza Licori, dont la musique est perdue, mais qui ne fut probablement jamais terminé. Pour cet opéra Monteverdi, avait particulièrement travaillé, l'interprétation de la Folie, pour lui essentielle. Des lettres qu'il a adressé à son librettiste, nous en apportent le témoignage). Des musiciens romains furent embauchés pour l'occasion. Et la première "prima donna" de l'histoire, Anna Renzi (c 1620 - après 1660) faisait partie de la distribution. Elle y tenait le rôle de Deidamia. Elle eut une brillante carrière ("e perfettissima voce") et créa le rôle d'Ottavia dans l'Incoronazione di Poppea. Plusieurs librettistes écrivirent spécialement pour elle, dont Giulio Strozzi avec la Finta Pazza et en 1644. Un livre écrivant ses louanges fut spécialement écrit à sa gloire. 

Livret_Finta_Pazza.gifLa Finta Pazza (voir livret original en ligne) fut donc le premier opéra qui fut monté au Novissimo. On peut le considérer comme le modèle de l'opéra vénitien par excellence. On y trouve tout ce qui caractérise le genre et que l'hiver dernier, l'Egisto de Cavalli dans la mise en scène de Benjamin Lazar avec le Poème Harmonique sous la direction de Vincent Dumestre, nous a rappelé et que la Calisto du même Cavalli, dans la belle mise en scène d'Herbert Wernicke sous la direction de René Jacobs nous avait permis de découvrir en 1993 .

D'un côté le burlesque, emprunt parfois d'obscénité tient une place non négligeable dans l' œuvre. Par ailleurs, les machines permettent de créer deux niveaux ou hommes et dieux partagent les mêmes affects. Ils se déplaçant tous de l'un à l'autre, semblant ainsi rompre avec les lois d'un monde jusqu'alors en parfaite harmonie. Entre le niveau terrestre qui est le monde des humains et le niveau céleste, celui des divinités, des passages y deviennent possibles, brisant ainsi des lois ancestrales. Enfin la scène de folie tient une place essentielle dans le livret.

s22torelli1 bellerofonteGiacomo Torelli, montre dans cette salle tout un savoir-faire qui prend en compte toutes les contraintes du lieu. A Venise, impossible de faire disparaître les décors sous la scène, c'est de la hauteur et de la profondeur qu'il joue. "Ses inventions sont nombreuses, en particulier sur les machines où son expérience d'ingénieur naval lui permet d'imaginer des systèmes permettant de créer l'illusion, des changements à vue rapides, des effets de perspectives et les "gloires", qui permettent de faire voler et se mouvoir dans les airs les acteurs". Ils sait enfin utiliser les éclairages avec subtilité, permettant des transitions en douceur entre les différentes scènes.

 

s23torelli4-copie-1.jpgS'il ne reste aucune image de la Finta Pazza, Torelli devait par la suite faire imprimer afin de les faire diffuser des gravures des différentes scènes des spectacles, dont celles du Bellerofonte qui suivi la Finta Pazza au Novissimo. Mais l'on sait par une publication de l'époque (Le Cannocchiale de Maiolino Bisaccioni, un noble gênois) qu'elles furent élaborées, riches en effets visuels.

s24torelli2-copie-1.jpgBellerofonte fut l'autre grande production du Novissimo. L'auteur du livret, Vincenzo Nolfi était lui-même un gentilhomme de Fano, la ville natale de Torelli. La musique fut composée par Sacrati. Les toiles furent réalisées par le peintre Domenico Bruni de Brescia (1600 - 1666). Bellerofonte fut conçu pour le théâtre à machines, en fonction des désirs de Torelli. Une distribution à la hauteur de l'événement en provenance de toute l'Italie fut réunie. Pour montrer l'importance de ce grand moment artistique, le prince Matthias de Médicis prêta le contralto Michele Grasseschi. La soprano Anna Renzi faisait bien évidemment partie de la distribution. Avec 8 décors et sept machines, cette production fût somptueuse. Le succès fut immense et Bellerofonte connût plusieurs reprises à travers toute l'Italie et les décors furent gravés par Giovanni Giorgi.

 

s25torelli5-copie-1.jpgUn certain nombre des complices de la création quitte après Bellerofonte le Novissimo pour retourner au Teatro San Giovanni e paolo (Strozzi et Anna Renzi en font partie), mais Torelli y monte encore Venere Gelosa dont il fait publier les images. Cet opéra fut composé par Sacrati sur un livret de Niccolo Enea Bartolini. En un prologue et trois actes, comme son titre l'indique, Vénus amoureuse y perd la raison, constamment sujette à des crises de jalousie.s27torelli6-copie-2.jpg

 

Il réalise également à la même période la scénographie d'un Ulisse Erante pour le San Giovanni.

Il achève son travail pour le Novissimo avec Deidamia. Il s'agissait d'une tragédie dont le livret fut écrit par Scipione Errico (Messine 1592 - 1670), un poète appartenant au courant marriniste et membre de l'Accademia degli Incogniti. La musique était de Francesco Cavalli. Deidamia fut présentée au public du 5 janvier au 30 mai 1644 puis redonnée à Florence le 8 février 1650. Ce fut à l'époque un véritable triomphe pour Torelli. Cette tragédie fut considérée à l'époque comme l'aboutissement de tout le travail réalisé par ce dernier au Novissimo. L'histoire présente des situations à la limite de l'improbable et l'on peut y voir un véritable manifeste de la "bizarrerie baroque". Seul Haendel devait également par la suite reprendre le scénario de cet opéra.

Geant2Le Novissimo qui passait pour le théâtre d'opéra le plus novateur de son époque, dès sa construction, ne connut que cinq saisons et fut fermé en 1645. Les propriétaires du Novissimo n'ayant probablement pas les moyens d'assurer le renflouement de la salle ruinée en partie par les extravagances de Torelli. Détruit, il fût d'abord remplacé par une autre salle de spectacle qui à son tour devait disparaître. Aujourd'hui on trouve sur son emplacement l'Ospedale Civile SS Giovanni e Paolo.

Quant à la carrière de Torelli, elle va connaître un tournant... Il va devenir le Grand Sorcier, au royaume du Roi Soleil.

Un second article reviendra sur sa carrière en France. Et j'enrichirais cette première partie avec le temps.

Bateaux_venitiens.jpgSources : 

- Actes du colloque (en italien) consacré à"Giacomo Torelli : L'invenzione scenica nell'Europa barroca" qui s'est tenu à Fano du 8 juillet au 30 septembre 2000

- Per Bjurström (1928) : Giacomo Torelli and stage design

- Jérôme de la Gorce : Divers ouvrages et articles

- Décorations et machines aprestées aux nopces de Tétis, 1654, ballet royal, BNF/Gallica, illustrations Israël Sylvestre

 - Feste theatrali per la Finta pazza, drama del sigr Giulio Strozzi, (texte imprimé et gravures en fin de volume) - 1645, BNF/Gallica, illustrations : Noël Cochin, (1622 - 1695)

- Dessein de la Tragédie d'Andromède de Corneille représenté sur le théâtre royal de Bourbon contenant l'ordre des scènes,la description des théâtres et des machines (de Giacomo Torelli) et les paroles qui se chantent en musique - 1650 - BNF/Gallica

- Olivier Lexa, L'Eveil baroque chez Karéline

 

Iconographie tous Droits réservés sauf indications contraires :

- Carton d'invitationTeatro S. Giovanni Grisostomo. Venice, Biblioteca del Civico Museo Correr

- Portraits de Torelli et de son épouse à la Pinacoteca Civica à Fano. 

- Gravure du fascicule réalisé par Torelli pour Filarmondo à Fano (1637)

- Degli Incogniti - Cantate, Ariete a una, due & tre voce de Barbara Strozzi publié chez Gardana à Venise en 1654

- Gravure Bellerofonte par Giovanni Giorgi avec Venise en toile de fond

- Venetia Edificata par Giulio Strozzi

- Cadmus et Hermione production du Poème Harmonique photo : E. Carecchio

- Théâtre Farnèse à Parme - Modèle pour un triomphe d'Amalia Castelli à Milan à l'Accademia di Belle Arti et Brera

- Anna Renzi, gravure, Venise 1644 extrait du livre Le glorie de la Signora Anna Renzi romana parJacobus PecinusVenetus Venice, Fondazione Scientifica Querini Stampalia

- Frontispice du livret de la Finta Pazza

- Porte de la Cité avec Venise en toile de fonds Acte I, scène 1 et 3 de Bellerofonte - Gravure réalisée par Giovanni Giogi en 1642 - Ile de Magistea (ile de la Chimère) Acte II, scène 3 - Grotte d'Eole Acte 1 - Scène 11

- Venere Gelosa - Peinture à l'huile sur toile anonyme - Cité de Nasso - Acte II, scène 1 à 7 et Acte III, scène 5

- Deidamia - Prologue, Statue d'Hélios à Rhodes - huile sur toile

- Armoiries de Giacomo Torelli

(Les tableaux des scènes de Venere Gelosa et de Deidamia appartiennent à une série offferte au Musée de Fano par le Comte Gregorio Amiani. Elles furent données à sa famille  par les descendants de Torelli).

Armoiries.jpg

 


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Caligula... La redécouverte des pupi siciliennes.

24 Mars 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Dossiers Musique

 

 

@ Maroussia Podkosova pour le Poème Harmonique

Utiliser les marionnettes pour remplacer les acteurs/chanteurs à l'opéra n'est pas en soi une nouveauté, d'ailleurs tout laisse à penser que les marionnettes ont précédé les acteurs sur scène.

L'originalité artistique de ce projet monté autour de Caligula delirente  est multiple. 

Tout d'abord parce qu'elle est le fruit d'une co-production qui montre combien cet artisanat de la musique baroque est avant tout une aventure humaine, permettant à chacun (des musiciens aux chanteurs en passant par de nombreux artistes, techniciens et administratifs) de trouver sa place et de partager avec enthousiasme la création autour d'un projet sortant de l'ordinaire participant tous ainsi à l'enchantement du  public.

Si c'est Vincent Dumestre qui a découvert à la Marciana à Venise la partition et le livret de ce Caligula c'est grâce à ce système économique de la Co- production que cette œuvre a pu revoir le jour. Et c'est l'Arcal  (Compagnie nationale de théâtre lyrique et musical) qui est ici le producteur principal aux cotés du Poème Harmonique.

Parmi les autres co-producteurs (qui participent ainsi, aussi bien au développement culturel qu'à l'économie locale de différentes régions), l'on trouve l'Opéra de Reims, la Fondation Orange, le Venetian Center for baroque Musicl'Athénée Théâtre Louis-Jouvet coréalisant et le Festival mondial des théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières ayant acceuilli la première de ce spectacle en 2011.

@ Maroussia Podkosova pour le Poème Harmonique

Quant aux marionnettes parlons-en. Elles seraient nées sous l'antiquité en Inde et en Chine, associée aux rites religieux. Elles ont acquis par mimétisme les caractéristiques locales des pays où elles se sont implantées. Le théâtre étant à l'origine un art sacrée, elles participent au rituel permettant ainsi à chacun de comprendre les mythes fondateurs. Elles sont le fruit d'un rite de création, d'un démiurge qui peut faire naître de quelques bouts de bois et de chiffons, la vie. C'est en Grèce qu'elles se libèrent de la religion.
On trouve de nombreux témoignages de leur existence. Chez Plutarque qui nous dit qu'elles servaient à l'amusement des enfants et des adultes. Chez Xénophon qui nous apprend qu'elles permettaient de distraire lors de banquets. Tandis que Diodore de Sicile considère comme excessif la passion qu'elles engendrent chez certaines personnes. Lorsqu'elles arrivent à Rome, elles ne serviront plus qu'à distraire. Durant le Moyen-âge, leur rôle oscillera encore et ce jusqu'à la Renaissance où elles tiennent à la fois un rôle religieux et participent également aux distractions sur les foires et durant le carnaval. Au moment de la Contre-Réforme elles seront interdites dans les églises catholiques pour mieux répondre à Luther qui les condamnait.

En France, son lien avec la religion est d'autant plus marqué par son étymologie, puisque le mot marionnette trouverait son origine dans "Petite Marie", la marionnette de la Vierge. Partout ailleurs en Europe, elles sont des "poupées qui bougent", en Sicile des Pupi.

 

Bartolomeo Pinelli - , Il Casotto dei Burattini in Roma

Et c'est donc non vers la France mais vers l'Italie que nous allons nous tourner. Là comme ailleurs à côté des poupées à gaine (en France la plus connue est celle du Théâtre de Guignol) que l'on trouve dans les rues, les théâtres connaissent deux autres types de marionnettes. A Venise par exemple elles sont à fils tandis qu'en Sicile, elles sont à tringles.

@ Maison Goldoni à Venise

On sait que le Cardinal Ottoboni (1667 - 1740) faisait monter des opéras, où les acteurs étaient des marionnettes. Par le témoignage de l'Abbé Du Bos (1670-1742), on sait également que de grands opéras étaient représentés en Italie par une troupe de marionnettes que l'on appelait "bambocchie". La voix des chanteurs qui chantaient pour elles sortait par une ouverture pratiquée sous le plancher de la scène. Il y eu à cette époque en Italie une véritable passion pour ces petits acteurs.

@ la siciliainrete.it

Pour le spectacle de Caligula, Vincent Dumestre est allé jusqu'en Sicile pour trouver les marionnettes qui s'inscrivent dans une tradition de théâtre artisanal. Mimmo Cuticchio descend d'une famille qui se transmet depuis plusieurs décennies le métier de "puparo-oprante". Succédant à son père, Giacomo, il a suivi à ses côtés un premier apprentissage qui comprend aussi bien l'art de fabriquer les pupi et les équipements scéniques, que l'art du conteur, dont les puparo sont les descendants. Il a aussi parfait cet apprentissage auprès d'un autre maître, Peppino Celano (1903-1973).

 

@ Maroussia-Podkosova pour le Poème Harmonique

Mimmo Cuttichio est aujourd'hui le seul survivant d'une tradition qu'il a su, à la suite de son père, adapter au public d'aujourd'hui. L'émigration, le cinéma puis enfin la télévision faisant disparaître ce métier unique, porteur de rêves. Il crée d'abord son théâtre la Compagnie Figlie d'Arte Cuticchio en 1973 puis en 1977, l'Association "Fligli d'Arte Cuticchio" afin de pouvoir produire de manière artisanale ses propres spectacles. En 1984, il organise un festival de théâtre intitulé "  La  Macchina dei Sogni" (La Machine des songes), puis crée une école pour pupari en 1997, et venant couronner tout ce travail, en 2001, l'Unesco reconnait l'opera dei puppi comme "patrimoine culturel et immatériel de l'Humanité". Depuis, il collabore à travers le monde à des projets visant à faire connaître ce répertoire unique que les pupi dévoilent. Des acteurs leur prêtant leur voix, c'est tout naturellement qu'ils ont été ici remplacés par des chanteurs.

@ Maroussia-Podkosova pour le Poème Harmonique

C'est aussi tout l'intérêt de ce spectacle de faire découvrir au public français, ce métier d'art qui appartient à une tradition médiévale qui avait été perdue et qui fut retrouvée au XIXe siècle. Au XVIIe siècle, Cervantès décrivait dans Don Quichotte un spectacle de marionnettes avec des cavaliers en armure et c'est tout naturellement que les puparo vont s'inscrire dans l'épopée médiévale de la chanson de geste, d'autant plus qu'ils sont les successeurs et héritiers du cunto (le conteur) qui sur les places publiques donnaient vie aux légendes. Les marionnettes prennent vie grâce à de nombreux artisans et à tout un savoir - faire unique au monde : peintres, graveurs... mais le plus important est l'oprante. Du milieu du XIXe siècle jusqu'aux années 1950, ils vont tous ainsi apporter au public insulaire "une lueur de rêve, de connaissance et de réflexion... ravivant les passions, esquissant des modèles de comportement, offrant un champ à l'imaginaire collectif."

Le_Poeme_Harmonique_Philippe_Delval

Caligula delirente (dont vous pourrez lire le livret sur ce site de la Bibliothèque de Munich) fait partie du répertoire particulièrement important des opéras vénitiens du XVIIe. A cette époque la sérénissime vibre et se passionne pour la musique et la voix. Représenté pour la première fois en 1672 à Venise au Teatro Santi Giovanni e Paolo, ce fut un des plus grands succès du siècle. Repris une quinzaine de fois à Naples (1672) puis à Rome, Bologne, Vicence, Milan Pesaro, Ferrare et Palerme, Venise, Gênes et Crema entre 1674 et 1680. Il n'avait pas été prévu pour des marionnettes, mais il se prête d'autant mieux à ces petits acteurs de bois que ceux-ci se prêtent au merveilleux par essence. Ne sont-elles pas le fruit de cet impossible auquel la folie donne corps ? Cet impossible dont rêve Caligula dans sa folie ?

Par Monique Parmentier

@ Maroussia-Podkosova pour le Poème Harmonique

Sources et Illustrations : Bartolomeo Pinelli (1781-1835), Il Casotto dei Burattini in Roma et marionnette conservé à la Casa Goldoni du XVIIIe siècle
Photos des marionnettes de Caligula Delirente  : Maroussia Podkosova
Sources : Histoire des Marionnettes en Europe Charles Magnin chez Slatkine Ressoures 1981
Notes Arcal sur les pupi siciliennes ainsi que le dossier presse sur Caligula Delirente

 

 

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Caligula... de la beauté d'un art sensible et poétique

18 Mars 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Dossiers Musique

Caligula9(c)Maroussia PodkosovaJe publierais prochainement un article de fond, sur les acteurs uniques, d'un opéra vénitien,  Caligula delirente, que le Poème Harmonique vient de recréer après quelques siècles d'oubli. Ces acteurs de l'éphémère, de l'illusion, du songe baroque, sont des marionnettes ... on plutôt des Pupi que l'on doit à un artiste artisan sicilien, dernier survivant de toute une tradition unique et poétique.

 

Caligula3-c-Maroussia-Podkosova.jpgComme je souhaite vous faire un travail soigné je vous propose en attendant, avec l'aimable autorisation du Poème Harmonique, deux  photos, il y a en aura d'autres dans le dossier, à mettre au crédit de Maroussia Podkosova.

 


Ne manquez pas ce spectacle s'il passe à côté de chez vous. On le retrouvera cet été au festival de Sablé et l'hiver prochain à l'Opéra de Paris.

 

Par Monique Parmentier

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Le "beau chant" au coeur de la vie de société au XVIIe siècle

28 Février 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Dossiers Musique

Concert dijon
©  RMN : Le Concert par Janssens Hiéronymus au Musée de Dijon
 

Alors que vient de sortir chez Saphir, le très beau CD de l'ensemble à Deux Violes Esgales : "Bertrand de Bacilly ou l'art d'orner le "beau chant", j'ai eu envie de vous parler de l'air de cour et de son environnement,  ces salons parisiens où se côtoyaient aussi bien musiciens et poètes, que la noblesse de cour et la bourgeoisie parisienne.
L'air de cour naquit à la fin du XVIe siècle et se développa dans les centres urbains, et tout particulièrement à Paris, dans les salons que tenaient quelques dames de la haute aristocratie et de la bourgeoisie. Il occupa aussi une part importante dans les soirées de la cour, et trouva également sa place dans un genre tout aussi français et ô combien important durant les règnes de Louis XIII et de Louis XIV, le ballet de cour. Je parlerais prochainement du ballet de cour et des raisons qui firent son succès en France.
 
Cette musique de chambre, propre au baroque français, va connaître son âge d'or durant le règne de Louis XIII. Epoque où le roi, lui-même musicien et compositeur, aime à réunir autour de lui, un cercle restreint, avec lequel il partage un de ses très rares plaisirs, avec la chasse : la musique.
 
Louis-XIII-Pourbus.jpgCe roi ombrageux, taciturne et mélancolique, qui devint roi trop jeune et dans des conditions tragiques que tout le monde connaît, contrairement à son fils ne trouva aucun bonheur à être roi : "Je voudrè bien n'estre pas sitost Roy, et que le Roy mon Père fust encore en vie". Cette phrase répété par Héroard, son médecin, nous révèle toute la profondeur de cette blessure qui va désormais le miner.  Elle est celle d'un enfant de 8 ans qui non seulement doit faire face au profond chagrin de la perte de ce père, avec lesquels il partageait une réelle complicité, mais aussi celle d'un jeune roi qui va subir après la mort d'Henri IV et durant toute une partie essentielle de enfance, des humiliations de sa mère, Marie de Médécis et ses protégés les Concini. Une grande solitude va s'abattre sur lui, le 14 mai 1610, dont il ne se remettra pas. La musique sera pour lui vitale. Elle l'accompagnera tous les jours. Il l'a pratiquera en tant que compositeur et luthiste averti. Les oeuvres qu'il composa qui sont arrivées jusqu'à nous en témoigne.
 
Mais les salons parisiens où se développent des cénacles raffinés, donnant d'ailleurs naissance à la préciosité, lui offre également, ce cadre intime qui lui permet d'exprimer toute la saveur de l'air de cour.    
Ces salons sont le fruit d'une époque qui au sortir des guerres de religion tente d'adoucir les moeurs cavalières, parfois brutales et manquant singulièrement de raffinement, non seulement de la cour d'Henri IV, mais de toute la société. En pleine délisquescence cette société, éprouve sous l'influence des femmes le besoin de retrouver tout un art de vivre. Honoré d'Urfé (1567 - 1625), qui fut lui - même un combattant de ces heures sombres dans son roman fleuve l'Astrée, préfiguraient ces règles de la galanterie qui firent les beaux jours de ce mouvement de la préciosité auquel il n'appartint pas mais qu'il influença.
 
marquise_rambouillet.jpgC'est la grande époque de la "Chambre bleue", le salon de la Marquise Catherine de Rambouillet (1608-1648) qui va donner à ce mouvement ses plus beaux moments. C'est d'ailleurs à la flamboyante Arthénice, anagramme de Catherine, que nous devons le nom de ces fameuses "ruelles", lieux de rencontres et de conversations. Car de santé fragile, elle recevait depuis son lit qui était séparé du mur par une "ruelle". Chez elle, on se livrait à des discussions fines et lettrées, souvent complétées par des intermèdes musicaux. Il faut imaginer à l'époque, autour de cette dame, des persoMme de Scuderynnages tel que Corneille, Mme de Sévigné ou de La Fayette (vous savez celle à qui l'on doit l'inoubliable Princesse de Clèves), la Rochefoucault et bien d'autres. L'heure n'est pas encore alors à cette préciosité qui fera bien rire Molière. Les Précieuses Ridicules ne datent que de 1659, alors que le salon de Mme de Rambouillet s'éteindra vers 1648. Autour de la Marquise tous ces fins lettrés aiment avant tout les jeux d'esprits, et font preuve d'une gentillesse légère et piquante. Leurs "armes" sont le sonnet, le rondeau, l'énigme, le madrigal. Avec Madeleine de Scudéry on passera au roman fleuve et la préciosité entrera dans une nouvelle ère où parfois un certain pédantisme viendra alourdir les conversations. Sans compter les exagérations vestimentaires et de comportements.
   
 
La musique Van Horst musiciensest en tout cas partout présente. D'une chanteuse s'accompagnant au Luth dans la "chambre bleue", elle est souvent pratiquée par plusieurs chantres de la chambre du roi, accompagnés de nombreuses violes et luth et participe aux somptueux spectacles que sont les ballets de cour.  
       
Musique recitAlors qu'à la même époque, et même avant l'Italie, développe un art du chant nettement plus expressif, la France elle crèe des "miniatures poético-musicales" telles que les nomment Georgie Durosoir aux charmes délicats, parfois pittoresques, rarement dramatiques. Si en Italie les Camerate (telle la camerata Bardi) considèrent la musique comme un art noble, les français semblent l'apprécier bien plus comme un loisir, qui participe à tout un art de vivre en société. Loin du débat sur un retour à l'antique comme en Italie, la musique semble être une activité au même titre que la conversation ou le jeu dans ses sociétés "savantes" et courtoises, où l'on paraît se distraire de ce qui aujourd'hui passent pour des "petits riens".  
   
elegant_company_music_banquet_hi.jpg Mais les apparences sont trompeuses, car si des textes émanent une sentimentalité précieuse, entre insatisfaction et soupirs, avec un goût prononcé pour des personnages issus de la pastorale, certains compositeurs tel Pierre Guédron, s'attachent à la déclamation et à un travail sur le récitatif dont Lully lui-même saura se souvenir, tandis que d'autres tel Antoine Boësset ou Michel Lambert, nous offrent des mélodies dont l'apparente simplicité est d'une telle beauté, d'un tel raffinement qu'elles ne peuvent aujourd'hui encore, que nous atteindre au coeur même de nos émotions les plus intimes. Révélant ainsi une architecture d'une réelle complexité.   
 
Contrairement aux madrigaux italiens, dont les textes sont souvent des poètes les plus renommés de la littérature classique, les auteurs des textes des airs de cour français sont souvent anonymes. Les plus grands poètes de l'époque tels Théophile de Viau ou Tristan l'Hermite ne s'y sont pas intéressés. Mais ces anonymes se révèlent être de fins lettrés, témoins d'une poésie conçue pour cette musique et si proche de cet "art de la conversation" que l'on pratiquait dans les "ruelles". Tous ces textes sont d'une grande unité de style et d'esthétique.
   
Le thème de ces petits poèmes est donc l'amour et généralement une belle indifférente pour laquelle on se languit. Mais on se console aussi parfois. Comme dans ce poème anonyme mis en musique par François de Chancy : Je goûte en liberté.
 
"Je gouste en liberté
Les plaisirs de la vie,
Depuis que j'ay quitté
Les beautez de Silvie
La bouteille et les pots,
Me mettent en repos.
 
Un excellent repas,
Contente plus mon ame,
Que les charmans apas
De la belle dame..."
 
Précieuse et gracieuse, cette poésie peut aussi bien se chanter à quatre ou cinq voix, a capella ou par une voix de dessus accompagnée au luth. 
 
1645 1670 non datee Les cinq sens l ouieSi aujourd'hui certains compositeurs de ces airs de cours sont plus connus que d'autres tel Pierre Guédron, Antoine Boesset, Estienne Moulinié et Michel Lambert, il en existe d'autres qui mériteraient de retrouver les faveurs du public tel Bertrand de Bacilly. Malheureusement, les sources musicales manuscrites sont rarement parvenues jusqu'à nous. C'est peut-être ce qui rend d'autant plus exceptionnelle la redécouverte de ce manuscrit de Bertrand de Bacilly à l'origine de l'enregistrem ent de l'ensemble à Deux violes Esgales. S'ils sont parvenus jusqu'à nous, c'est souvent grâce à la retranscription dès les origines de ce répertoire par des luthistes mais aussi et surtout grâce au travail d'édition de la famille Ballard et tout particulièrement pour l'air de Cour de Pierre Ballard, actif de 1599 à 1639.      
Visuel PH
Pour trois compositeurs majeurs du genre, nous disposons de plusieurs enregistrements,   dont les trois CD du Poème Harmonique, qui ont été regroupé dans un coffret "Si tu veux apprendre les pas à danser". Les trois CD que comporte ce coffret sont aujourd'hui une référence pour ce  répertoire.
   
Ces trois compositeurs sont Pierre Guédron (v. 1570 - v 1620), Antoine Boësset (1587 - 1643) et Estienne Moulinié (1599 - 1676). Si le premier fut rattaché à la musique de la chambre du Roi Henri IV, remplaçant Claude le Jeune, les deux autres furent actifs sous le règne de Louis XIII. L'un fut directement rattaché à sa musique tandis que l'autre exerça ses talents auprès du frère du Roi : Gaston d'Orléans.
 
cornelis-bega-woman-playing-a-luteMais cette période connut de nombreux compositeurs travaillant auprès de différentes grandes maisons de l'aristocratie, voir comme Charles Tessier (v.1550- ?) furent des "esprits libres". La musique de ce dernier, qui a également fait l'objet d'un très bel enregistrement du Poème Harmonique, nous révèle tout à la fois cette poésie de l'intimité si chère à ce répertoire, fantasque et mystérieux comme "Me voilà hors du naufrage" ou "Quand le flambeau du monde" ;  mais aussi des airs à boire comme "J'aime à la dizaine" qui nous font participer à une joie de vivre l'instant, avec une gouaille sans retenue et pourtant sans vulgarité. De "Paris sur Petit Pont" de Pierre Guédron ou "Amis enivrons-nous" d'Estienne Moulinié, en passant par les airs plus aristocratiques ou mélancoliques de Boësset comme "Je meurs sans mourir", ou par ces airs anonymes comme "Nos esprits libres et contents"... c'est ainsi tout un univers aux frontières du songe, aux clairs-obscurs enchanteurs et secrets que cette musique nous dévoile. Souvent les frontières sont extrêmement minces entre musique de cour et musique populaire. Les musiques nobles puisant leur inspiration sur ces routes qu'empruntaient aussi bien la cour que les marchands, les paysans que les soldats. Comme des peintres observant leurs sujets, avant d'en dessiner les contours, les musiciens étaient à l'écoute de ce monde où la diversité était une source d'une extraordinaire richesse. La chaconne qui connut un tel succès au XVIIe et XVIIIe siècle, ne venait-elle pas des lointaines Amériques.
Certains de ces compositeurs furent aussi des théoriciens ce qui est d'ailleurs le cas de Bertrand de Bacilly ou de son maître Pierre de Nyert (1597-1682).  Jacques-Gaultier--by-Jean-de-Reyn.jpg
Ce dernier fut non seulement un des musiciens préférés de Louis XIII, mais également un de ses premiers valets de chambre - charge officielle qui n'avait rien d'un simple domestique. C'est lui qui introduisit en France cette technique de l'interprétation que l'on nomme le "beau chant".
C'est en Italie, à Rome, où il s'était rendu en 1633 afin d'y parfaire ses connaissances en matière de musique que Pierre de Nyert découvrit cet art de chanter si propre aux italiens et auxquels les français étaient si rétifs, comme à tout ce qui venait d'Italie. Il y resta près de deux ans, assistant à des représentations d'opéra chez les Barberini, faisant la connaissance de très nombreux musiciens qui le lui firent découvrir. Il le mêla ensuite à l'art vocal français, donnant réellement naissance à ce "beau chant" qui devait faire les belles heures de toute une partie du XVIIe siècle jusqu'à la naissance de la cantate profane et sacrée. Quant à Bacilly qui fût donc l'un de ses élèves, il "préconisait dans son "Art du bien chanter", une prosodie plus naturelle, une déclamation plus nuancée, une virtuosité plus agile dans l'exécution des ornements et des diminutions (doubles) et insistait sur l'importance de la prononciation et d'une bonne respiration".
passQuel sont ces ornements si caractéristiques du chant baroque ? Peut-être avez-vous déjà entendu parler de "port de voix" ou de "frelons" ? Au fil du XVIIe siècle, après 1630, les termes et les moyens techniques de l’ornementation ont gagport.jpgné en complexité. Pour Marin Mersenne, ils se limitent aux ports de voix, tremblements (sur les cadences), passages et diminutions (plus des éléments de nuance et d’accentuation pour exprimer les passions) ; chez Bertrand de Bacilly, on use du port de voix, et du demi-port de voix, de la cadence (« que l’on distingue du tremblement ordinaire, que plusieurs nomment flexion de la voix »), double cadence, tremblement étouffé, soutien de la voix, accents (ou plaintes), passages et diminutions.
   
Claire Lefilliatre copyright Sébastien BrohierDans le dictionnaire de l'Académie de 1742, donc beaucoup plus tardif, Montéclair parle "d'agréments" :"Il y a Dix huit agréments principaux dans le Chant. Sçavoir, Le Coulé, Le Port de Voix, La Chûte, l'Accent, LeTremblement, Le Pincé, Le Flatté, Le Balancement, Le Tour-de Gosier, Le Passage, La Diminution, La Coulade, Le Trait, Le Son filé, Le Son enflé, Le Son Diminué, Le Son glissé, et le Sanglot".
 
 monique-zanettiCet art du chant donne la part belle au mot. Il magnifie les textes, demandant au chant de se faire plus expressif, plus riches en nuances et beaucoup de souplesse aux chanteurs. Claire Lefilliâtre et Monique Zanetti  font aujourd'hui partie des interprètes qui maîtrisent le mieux cette virtuosité unique tout en la dépassant pour mieux nous faire ressentir cet art de l'émotion.
 
reve st joseph nantesL'air de cour est quête d'harmonie. Plus que jamais, pour sa grâce, sa lumière ambrée si proche des tableaux de La Tour, vacillante, mais ardente, il nous touche, nous bouleverse. Sa musique est celle du silence, un murmure amical. Ses plaintes chuchotées expriment espérances, joies, mais aussi ces blessures que génèrent les incertitudes et les doutes. Raffinée, subtile, la musique de l'air de cour, peut aussi nous faire rire de ces galimatias burlesques, comme l'air du Juif Errant "Salamalec Ô Rocoba" d'Estienne Moulinié, s'inscrire dans nos mémoires pour ces éclats de rire qui réchauffent par leur gouaille comme un bon vin, faire chatoyer la nuit comme le "Flambeau du Monde".
 
Aucun snobisme dans l'air de cour, d'ailleurs l'un des ballets dont est extrait l'air du Juif errant se déroule au Royaume des Andouilles, et l'on rencontre y rencontre dans d'autres, des fées au nom "à coucher dehors", comme "Jacqueline l'Entendue, la fée des estropiez de la cervelle".
 
Ce répertoire est donc pour tous un enchantement, qui vous apportera l'apaisement, l'oubli des soucis, de cours instants, précieux bijoux, volés à une vie qui court trop vite.
    Jan-Miense-Molenaer3.jpg Molenaer_interieur_avec_musiciens.jpg
 
Sources et bibliographies :
Georgie Durosoir, L’Air de cour en France : 1571-1655, Liège, Mardaga, 1991
Textes réunis par Georgie Durosoir, Poésie, musique et société chez Mardaga
Programme des grandes journées anniversaires du CMBV de 2007 consacré à Louis XIII
Illustrations :
© DR : Louis XIII enfant par Pourbus
© DR : Madame de Rambouillet et sa fille Julie
© DR : Madeleine de Scudéry
© Le concert / National Gallery of Ireland /Gerrit van Honthorst
© : RMN : Ballet des Fées de la forêt de Saint Germain "Musique servant de Grand ballet" ; quatorze figures/Daniel Rabel© :DR Abraham Bosse. Les cinq sens : l'Ouie
© :DR/Collection particulière : Le banquet par Janssens Hiéronymus
© Sébastien Brohier : Claire Lefilliâtre
© DR : Monique Zanetti 
© Galleria degli Uffizi, Florence - Cornelius Bega - Femme jouant du luth
©  Songe de Saint-Joseph - Musée des Beaux - Arts Nantes
© DR Portrait présumé de Jacques Gaultier, par Jean de Reyn.
© DR - Jan Miense Moleaner Allegorie et Intérieurs avec musiciens
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Egisto : un rêve vénitien

24 Janvier 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Dossiers Musique

 

  

egisto

cloris

 

 

 

 Après le Bourgeois Gentilhomme en 2006 et Cadmus et Hermione en 2008, Vincent Dumestre et Benjamin Lazar nous reviennent avec une nouvelle production Egisto de Francesco Cavalli.

 

  poeme-harmonique.jpg© Guy Vivien

 

Le 1er février, l'Opéra Comique donnera la première de ce nouveau spectacle, affirmant ainsi son soutien à la création dans toute sa diversité "classique" et à la troupe qui il y a trois ans et demi, nous avait enchantée dans la redécouverte de la première tragédie Lyrique de Jean-Baptiste Lully. Il s'agit aujourd'hui d'un opéra vénitien, qui fit le succès de son compositeur et du théâtre vénitien qui l'hébergea en 1643.

 

Le Sommeil vous invite à vous abandonner à ces songes éphémères qui vous enchanteront, au risque de sombrer dans la Folie: © BNF

 Sommeil

Cet opéra figure parmi les premiers d'un nouveau genre, l'opéra public. Car c'est Venise, qu'a été inventé l'opéra tel que nous le connaisons. Pour la première fois s'ouvrent à un public payant des salles où sont produits des spectacles alliant musique et théâtre, accompagnés de décors et de machineries complexes. Ce qui jusqu'alors était réservé à l'élite des cours florentines et mantouanes, devient ainsi un plaisir populaire. Les différents théâtres deviennent des lieux où l'on se retrouve pour des instants de plaisirs que l'on partage avec passion.

 

Egisto voit le jour au Teatro San Cassiano Nuovo dans la Cité des Doges. Un premier théâtre construit en 1581 (en bois bien évidemment ) fut détruit par un incendie. Jusqu'à sa destruction il servit au théâtre de prose. Tel le phénix (et la Fenice), il put renaître. Mais cette fois, ses propriétaires, les Tron, optèrent pour la pierre, d'où l'épithète de "Nuovo". Cette nouvelle salle fut inaugurée en 1636 avec une Andromeda que l'on doit au poète et musicien Benedetto Ferrari et au compositeur Francesco Manelli. Elle connut un tel succès, que les Tron s'associèrent à Francesco Cavalli, alors un jeune compositeur prometteur, pour la création d'Egisto et ce fut un succès.

 

 

 

 

 

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    © BNF Décors de Giacomo Torelli pour Andromède à Paris

 

Si vous allez à Venise vous ne verrez plus le théâtre San Cassiano... Il a disparu, tout comme d'ailleurs l'ensemble des autres salles qui firent les beaux jours, de ces opéras que le public vénitien avait pourtant idôlatré. Il ne reste aucune image précise du San Cassiano. Juste quelques plans...  Sur son emplacement, un jardin vous accueille désormais, invitant votre imagination à  le recréer.

 

Quant à la Venise baroque... c'est peut être justement dans sa musique que nous pouvons vraiment la percevoir, vibrante, colorée, libre, curieuse. Cavalli était un vénitien amoureux de sa cité et des rêves qui avaient porté bien au-delà des horizons, ses habitants pendant des décennies. Mais à l'heure où Cavalli compose Egisto, Venise entame inexorablement sa lente décadence. La musique et les arts en sont ses derniers feux.

 

Egisto est un une Favola dramatica musicale.

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Elle fut donc composée par Francesco Cavalli.

 

Lorsque ce dernier naquit à Crema (ville d'une province vénitienne de la Terra Ferma), il s'appelait en fait Pier Francesco Caletti Bruni. Il était le troisième des neufs enfants du Maestro di Capella de cette ville : Battista Calleti. Baptisé le 14 février 1602, il reçu probablement de son père sa première formation musicale. Il fut remarqué par le gouverneur de Crema Federico de Cavalli, pour ses talents de jeune chanteur. Ce dernier l'emmena avec lui à Venise en 1616. 

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Par la suite, par gratitude Francesco en prendra le nom comme pseudonyme et dans la cité des Doges, il aura pour maître Claudio Monteverdi.

 

 

 

 

 

 

On a longtemps cru que fort de son succès, Egisto qui connu une tournée dans toute l'Italie (Rome, Florence, Gênes...) avait également bénéficié d'une représentation exceptionnelle, en 1646, au Palais Royal à Paris devant Anne d'Autriche et Mazarin, à l'invitation de ce dernier.


On sait depuis peu que ce n'est pas le cas. C'est en fait le premier biographe de Cavalli, au début du XXe siècle, le grand musicologue français Henry Prunières (1886 - 1942), qui interpréta certaines sources de manière erronée (voir son Cavalli et l'Opéra vénitien). Grâce au travail de Barbara Nestola (musicologue italienne rattachée au Cmbv) on sait désormais qu'il s'agissait en fait d'un opéra romain de Marco Marazzoli et Virgilio Mazzocchi sur un livret du Cardinal Giulio Rospigliosi, portant en sous-titre "Chi Soffre, speri" (Qui souffre espère) repris récemment par Jérôme Corréas et les Paladins.

 

DSC7448Fiera di Farfa avec au centre Marc Valéro et son a

© Didier Saulnier

Ce n'est donc que plus tard, en 1660, au moment du mariage de Louis XIV que Cavalli séjournera en France pour y donner une adaptation de son Xerxe (devenant Xerxès) et y créer Ercole Amante.

 

Le livret d'Egisto est dû à Giovanni Faustini (1615 - 1651). Sa collaboration avec Cavalli dura une dizaine d'années, commençant en 1642 avec la Virtù de’ strali  d’Amore et se terminant avec le décès du librettiste. Cet avocat était le fils de la soeur du Titien, Isabetta Vecelio et d'Angelo Faustini.  Il fut également impresario et libretiste de différents théâtre à Venise. Il écrivit plusieurs livrets pour Cavalli, dont celui de Calisto. (l'opéra de Cavalli le plus donné depuis la redécouverte du compositeur dans les salles du monde entier). La collaboration entre Cavalli et Faustini représente un moment crucial dans l'histoire de l'opéra, puisque ce sont eux qui ont défini les codes de l'opéra vénitien. Faustini se révèle particulièrement attentif aussi bien à la musique qu'à la dramaturgie.

 

Ces codes sont simples : trois actes où se joue une double histoire d'amour, où l'on retrouve une scène du sommeil, des personnages d'origine plus ou moins mythologique (issus bien souvent des Métamorphoses d'Ovide, comme dans Calisto) - ce qui n'est pas le cas dans l'Egisto où les personnages semblent issus d'une tradition pastorale provenant de sources multiples - et enfin une fin heureuse obligatoire.

 

Dans certains livrets de Faustini, un détail peut permettre de mieux les analyser, ce sont les excuses qu'il adresse à ses lecteurs dans une courte introduction qui n'est pas sans faire penser à celles qu'adresse Puck à la fin du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare. 

 

EGT 120128 172 Ana Quintans, David Tricou

Il y cite comme pour Egisto ses sources : "L’episodio d’Amore che vola a caso nella selva de’ mirti dell’Orebo [II, IX-X], ove lo prendono quelle Eroide ch’uscirono per amore miseramente di vita, quali lo vogliono far perire di quella morte ch’egli fece loro morire, ti confesso d’averlo tolto d’Ausonio con quella licenza ch’usarono i poeti latini di togliere l’invenzioni da’ greci per vestire le loro favole ed i loro epici componimenti."

 

On y découvre ainsi cette culture raffinée des cercles littéraires de la Venise du début du XVIIe siècle, héritière de la culture humaniste du XVIe siècle. Le poète dont il est question dans cette introduction, écrivit un poème sur Cupidon "Cupido cruciatus" pour l'empereur Valentinien (vers l'an 370). Mais il y a d'autres influences possibles pour Egisto comme l'Adone de Giovan Battista Marino (dont on reparlera prochainement pour la Catena d'Adone, que Scherzi Musicali vient d'enregistrer) ou Francesco Colonna et son Songe de Poliphile écrit au XVe siècle.

 

Dans la mythologie grecque Egisthe est le fruit d'un inceste entre un prince et sa fille, tandis que Faustini en fait dans Egisto l'arrière petit-fils d'Apollon.

 

©Pierre Grosbois

 

 

Que nous conte L'Egisto de Cavalli/Faustini ?

 

Deux couples Egisto/Clori et Lidio/Climène voient leur fidélité mise à l'épreuve. Egisto et Clori qui s'aiment, ainsi que Climène promise à Lidio ont été enlevés par des pirates et séparés. L'action se déroule sur l'île de Zakynthos où Egisto et Climène viennent s'échouer après avoir pu échapper à leurs ravisseurs. Ils retrouvent Clori et Lidio qui entre temps sont tombés amoureux l'un de l'autre.

Comme nous l'annonce le programme "travestissements, rapts, menaces, illusions, démence : les puissances de l’imaginaire troublent les cœurs des passions les plus extrêmes". Et si ici l'amour est un jeu cruel, fruit des dieux, la poésie des affects est traitée avec subtilité. La jalousie est le nectar des furies mais c'est bien l'Amour qui finit par triompher.

Benjamin Lazar entouré de toute une équipe qui l'a accompagné sur les précédentes réalisation du Poème Harmonique - Alain Blanchot aux costumes, Adeline Caron aux décors, Christophe Naillet aux lumières et Mathilde Benmoussa aux maquillage et coiffures - devrait être dans son élément. Gestuelle, prosodie et éclairage à la bougie peuvent offrir à cette production d'Egisto, une dimension à l'onirisme baroque envoutante. Il est certainement aujourd'hui le metteur en scène le plus proche dans l'esprit du "Grand Sorcier", surnom de Giacomo Torelli (1608-1678), qui a "mis en scène" plusieurs des spectacles de Cavalli.

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Quant à la partition, il en existe une à Vienne et une autre à Venise dans une collection privée, nécessitant forcément une reconstitution, ce qu'a réalisé le maître d'oeuvre du projet, Vincent Dumestre.

 

Alors, tel Orphée, avec le Poème Harmonique pour lyre, saura-t-il nous transporter vers les rivages de cette Grèce rêvée où la nuit les songes trompeurs peuvent conduire de la Folie à l'Harmonie ? Au vue de toutes les précédentes productions du Poème Harmonique, nous n'avons aucune raison d'en douter. Rendez-vous est pris pour 6 représentations à partir du 1er février à l'Opéra Comique à Paris, qui seront suivis de 3 représentations à l'Opéra de Rouen les 16, 17 et 19 février.

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Orphée  © BNF

 

La distribution :

Egisto, Marc Mauillon
Lidio, Anders Dahlin
Clori, Claire Lefilliâtre
Climene, Isabelle Druet
Hipparco, Cyril Auvity
Aurora, Amore, Ana Quintans
Didone, Voluptia, Luciana Mancini
La Notte, Dema, Serge Goubioud
Apollo, David Tricou

 

http://www.lepoemeharmonique.fr/#/fr

 

http://www.opera-comique.com/

 

http://www.operaderouen.fr/#flash

 

Sources : Henry Prunières pour sa Vie de Francesco Cavalli et Cavalli et l'Opéra Vénitien ; Olivier Lexa, Venise l'éveil baroque chez Karéline,  Denis Morrier pour son article dans l'Avant Scène "Pier Francesco Caletti Bruni", dans le numéro consacrée à Calisto ; Note du programme Egisto, Chi Soffre Speri, donné par les Paladins dans le cadre des Festivals de Royaumont/Pontoise et au Théâtre de l'Athénée à Paris ; Actes du Colloque " L'invenzione scenica nell'Europa baroca" en italien consacré à Giacomo Torelli  en 2000 ; Thèse en italien de doctarat de Nicola Badolato "I drammi musicali di Giovanni Faustini" per Francesco Cavalli à l'Université de Bologne.

 

Illustrations : photographies de l'Opéra Comique publiées avec leur aimable autorisation. Du livret des Fêtes de Bachus qui se trouve à la BNF faite par mes soins, du Poème Harmonique et des Paladins avec copyright indiqué sous les photos.

 

Par Monique Parmentier

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Egisto à l'Opéra Comique

22 Janvier 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Dossiers Musique

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Nous sommes nombreux à attendre cette nouvelle production du Poème Harmonique. Après le Bourgeois Gentilhomme et Cadmus et Hermione et la musique de Lully, c'est donc avec celle d'un de ses contemporains que cet ensemble nous revient : Francisco Cavalli, de son vrai nom Pier Francesco Caletti Bruni.

 

Mais ce n'est pas la musique qui nous en arrive en premier, mais des images, celles des dessins de certains des costumes réalisés par Alain Blanchot, qui déjà habilla les précédents spectacles du Poème Harmonique. Avec l'aimable autorisation de l'Opéra Comique je publie donc certaines de ces photos, tout en préparant un dossier plus complet sur cet Egisto, où la Folie ici ne sera plus un simple sujet d'amusement, mais bien traitée comme une souffrance maladive à part entière... La musique venant guérir les plaies du coeur et de l'âme, cette mélancolie amoureuse qui nous touche si profondément.

 

D'autres photos des costumes et illustrations suivront dans mon dossier.

 

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Puisse cette courte introduction en image vous donner envie de découvrir, cette très belle production que nous offre l'Opéra Comique. N'hésitez pas à pousser la porte du théâtre, le merveilleux baroque vous invite à retrouver cette atmosphère unique où la vie moderne et ses tracas s'effacent le temps d'un Songe

 

egisto-tyo-festival.gif Que l'ensemble des coproducteurs de ce spectacle, l'Opéra Comique, l'Opéra de Rouen-Haute Normandie, Les Théâtres de la ville de Luxembourg et Le Poème Harmonique en soient remerciés. Grâce à eux Egisto et Clori, comme avant Cadmus et Hermione permettront à l'Harmonie de régner sur nos coeurs

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Les derniers feux de l'école de luth français

17 Janvier 2012 , Rédigé par Parmentier Monique Publié dans #Dossiers Musique

  Le disque qui sort ce mois ci chez Ramée d'Anthony Bailes est l'occasion d'évoquer les derniers représentants de l'école du luth française, qui font l'objet de cet enregistrement.

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Celui auquel avec beaucoup de tendresse Anthony Bailes semble dédier ce CD : Charles Mouton (1617 - ca 1699) a longtemps été considéré comme trop académique, manquant de poésie. Pourtant il fut extrêmement apprécié, voir aimé de son vivant.

 

Nous avons la chance d'en avoir un portrait réalisé par le peintre François de Troy.

 

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Ce très beau portrait actuellement au Musée du Louvre fit également l'objet d'une gravure (cette dernière étant finement analysée dans le livret par notre interprète) réalisée par Gérard Edelinck dont la fille fut une élève du compositeur. Et la dédicace qui l'accompagne nous en dit lont sur l'opinion de ses contemporains :

 

Cher Mouton a te voir si bien représenté

Par des charmes secrets je me laisse surprendre

Je suis de ton portrait doublement enchanté

Je te vois et je crois t'entendre

 

Notons que sur ce portrait Charles Mouton joue un luth à 11 choeurs de forme allongée, avec 9 frettes nouées sur le manche et une place pour une 10e à la jonction avec la caisse. Et l'on peut souligner également la position caractéristique de la main droite, avec le petit doigt posé à l'avant du chevalet, en accord avec les recommandations savantes.

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Voici ci-contre le seul luth à 11 choeurs, aujourd'hui conservé à Paris, ayant jusqu'à nous traversé les aléas du temps et qui aurait pu servir de modèle à ce tableau. Il est de facture française. Il a fait partie de la production importante d’instruments neufs émanant des ateliers parisiens. il fut réalisé par Jean Desmoulins un des luthiers parisiens les plus importants du XVIIe siècle. Ces instruments au profil caractéristique, étaient très réputés et recherchés.

 

Charles Mouton fut l'élève d'Ennemont Gaultier (1575-1651) l'un des plus grands maîtres de l'école du luth française.Si Charles Mouton semble n'avoir tenu aucune fonction officielle à la Cour de France, il fit un cours passage à la cour de Savoie, puis s'installa à Paris où il était l'invité des cercles littéraires, se produisant fréquemment dans les salons de l'époque. il fut également un professeur recherché, comme le prouve bien sûr la dédicace d'Edelinck, mais aussi par le nombre de ses élèves venant de toute l'Europe pour bénéficier de son tutorat.

Il sut au-delà de la reconnaissance formelle à son maître, créer un style propre, dont Anthony Bailes se plait à nous parler dans le livret et dont l'interprétation nous semble si délicate . Un style moins "émotionnel", plus classique, en conformité avec les goûts de la fin du règne de Louis XIV. Mais qui au-delà des apparences, évoque une mélancolie raffinée aux harmonies délicates et aux ornementations soignées.

Il publia vers 1680, des Pièces de Luth sous différents modes dont 2 copies sont connues et des pièces éparses. Je vous invite à en visionner la tablature à l'adresse suivante :

 

http://musicontempo.free.fr/mouton_tablatures.pdf

 

Anthony Bailes parvient par son talent à effacer ainsi l'image conformiste de ce compositeur.

 

Si aujourd'hui on connait (ou reconnait mieux) les compositions des différents membre de la famille Gallot, dont deux sont représentés sur ce CD c'est en partie grâce à une source précieuse : René Milleran, l'interprète de Louis XIV, grammairien et professeur d'anglais et d'allemand, élève de Charles Mouton.

 

Jacques Le Gallot (ca 1625 - c. 1690), connu sous le nom du "vieux Gallot de Paris" occupe ici une place qui lui revient d'autant plus que son oeuvre innovante et finement ornée, est d'une envoûtante beauté. Il est l'oVan-Horst_musiciens.jpgncle de Pierre Gallot
(c. 1660 - après 1715) qui figure également au programme d'Anthony Bailes. Jacques le Gallot fut également l'élève d'Ennemont Gaultier après avoir commencé l'étude de cet instrument avec son père, Antoine qui assura une charge de Luthiste auprès de la Chapelle des Rois de Pologne Sigismond III et Ladislas IV. Il composa des portraits musicaux qui firent sa renommée (La Fontange, la Montespan,...), ainsi que des Tombeaux (dont figure dans le CD d'Anthony Bailes celui de M. Le Prince de Condé). il publia aux environs de 1684 ces Pièces de luth composées sur différents modes qui débute par un bref traité sur le jeu de cet instrument avec des schémas montrant la manière de réaliser les doigtés et certains ornements (tremblement, martellement, chute ou tombé). A sa mort Robert de Visée composa son Tombeau.

Pierre Gallot quant à lui est donc le fils du frère de Jacques Le Gallot, Alexandre. Il est souvent désigné dans les manuscrits de l'époque comme étant "Gallot le jeune" ou le "Gallot de Paris". Il fut un virtuose dont les compositions firent le tour de l'Europe au tournant des deux siècles. Ces compositions sont souvent des arrangements  (ce qui jusqu'alors était extrêmement mal perçu, puisque les compositions pour luth devait normalement être exclussivement réservées à cet instrument, mais que Charles Mouton avant lui avait déjà pratiqué), de la musique des ballets comme cette chaconne d'Atys qui figure dans l'enregistrement d'Anthony Bailes. Il fut enfin également un professeur renommé.

 

Dans une discographie qu'Hopkinson Smith survole toujours, ce nouveau disque d'Anthony Bailes est une invitation à la découverte d'un monde où le temps se fige et vous soulage.

 

Monique Parmentier 

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Source : Le livret rédigé par Anthony Bailes pour Ramée et différents ouvrages où sont évoqués les compositeurs.

Illustration : La pochette du Cd chez Ramée. Un portrait de Charles Mouton par François de Troy au Musée du Louvre, Le concert par Gerrit Van Honthors à la National Gallery of Ireland (à Dublin), le Luth par Hans Holbein le jeune (fragment du tableau les Ambassadeurs français à la cour Anglaise) à la National Gallery de Londres

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Antoine Dauvergne

12 Août 2011 , Rédigé par Susanna Huyghens Publié dans #Dossiers Musique

Chaque automne, le Cmbv consacre sa saison a un compositeur Français, parfois réellement méconnu du grand public. Antoine Dauvergne, qui n'est resté dans les mémoires que grâce aux Troqueurs, un des tout premiers opéras comiques,  va ainsi revenir de loin.

 

Il n'existe de lui qu'un portrait présumé. De son vivant, il avait déjà la réputation d'être poursuivi par la malchance. 

 

Portrait-presume-de-Dauvergne_article.jpg 

 

Parmi les oeuvres présentées, nous redécouvrirons l'Hercule mourant :

 

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et la Vénitienne :

 

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Ces deux gravures sont conservées pour l'une des les collections du Harvey Theatre à New York et l'autre à Oxford à la  Taylor_institution_library

 

De belles redécouvertes s'annoncent donc durant la saison d'Automne à Versailles.

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